Un cas inquiétant de politique linguistique

Le Politecnico de Turin instaure une discrimination scandaleuse
jeudi 15 novembre 2007
 Michel MOREL

La nouvelle nous est parvenue par un message de Claire Goyer, présidente de l’association DLF-Bruxelles-Europe, diversité linguistique qui qualifie ce cas de grotesque.

La direction du Politecnico de Turin a décidé qu’à partir de cette année les étudiants italiens qui décident de suivre les programmes de niveau Bachelor (BAH) dispensés en anglais ne paieront pas les taxes universitaires. En revanche, ceux qui veulent suivre les programmes en italien devront les payer. On peut trouver la confirmation de cette décision aux pages 4, 18 et 31 du guide d’inscription.

Il s’agit là déjà d’une forme de discrimination scandaleuse.

En outre, des programmes d’études en italien ont été supprimés et remplacés par des cours exclusivement en anglais, à partir du premier niveau (BAH).

On peut trouver une analyse complète en italien et un forum en français sur babelblogs de Cafébabel.

Contrairement à ce que disent Claire Groyer ci-dessus et Michele Gazzola dans son article publié sur le site Cafébabel, dont je recommande la lecture (en italien), ce cas n’est ni grotesque ni absurde, hélas ! Il correspond à une volonté délibérer d’imposer le Wall street English dans de nombreuses universités européennes comme langue unique d’enseignement.

Il est dans le droit fil du programme culturel et scolaire de l’ancien chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, qui peut se résumer à la patente delle tre I : inglese, informatica, impresa (mot à mot, le permis des trois I : anglais, informatique, entreprise).

Depuis des décennies, les classes dirigeantes, la « grande presse » aux mains des premiers et certaines catégories d’intellectuels sont pris d’une véritable frénésie de destruction de la langue et de la culture italienne, avec pour objectif connexe de ramener le citoyen à la condition d’homo economicus, pardon, d’economic man. Cela se traduit linguistiquement par l’usage envahissant de l’anglo-américain qui se substitue, dans la langue écrite et orale, à l’italien le plus courant, le cas le plus symptomatique étant sûrement la création d’un Ministero del Welfare aux cours des années Berlusconi. C’est au point que l’italien semble avoir perdu cette faculté d’italianiser qui avait donné naissance à l’italiese, parlé par les immigrés italiens d’Amérique du Nord. C’est vrai dans le domaine économique et encore plus dans le domaine technique : en informatique, par exemple, la quasi totalité du lexique est anglo-américain.

Personnellement, je ne serais pas étonné si certaines universités françaises imitaient dans un proche avenir le Politecnico de Turin.

Michel Morel