La note du président - N° 4/2008 des Langues Modernes, par Sylvestre Vanuxem Président de l’APLV

jeudi 18 décembre 2008

Annonces, réformes… Le premier trimestre de cette année scolaire a connu un véritable feu roulant ministériel : soutien en langues, stages linguistiques intensifs pendant les vacances scolaires, réforme du lycée, réforme de la formation et des concours de recrutement… On semble parallèlement avoir atteint le niveau zéro de la concertation. La politique du Ministre de l’Éducation Nationale semble être inspirée directement de la loi du Far West : « On tire d’abord et on réfléchit ensuite. » Ainsi se suivent des annonces présentant des projets dans leurs grandes lignes, des équipes ministérielles sont ensuite chargées de leur donner de la substance en un temps record, aucune association de spécialistes ou syndicat n’étant associé à ces travaux. On doit se contenter d’attendre des précisions…

Il arrive d’ailleurs que le ministre soit victime de sa précipitation et se voit contraint de rectifier le tir. Ce fut le cas lors des États Généraux du Multilinguisme (EGM) qui se tenaient dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne à Paris le 26 septembre 2008. Cette grandiose cérémonie, co-organisée par les ministères de l’Éducation Nationale, de la Culture et des Affaires Étrangères dans le cadre de la Présidence française de l’Union Européenne, avait pour but de célébrer la dimension multilingue de cette dernière. Une imposante armada d’interprètes avait été prévue afin que chaque participant puisse s’exprimer dans sa langue maternelle même pour poser une seule question, ou bien demander à ce que l’on ferme la porte en cas de courant d’air ! L’effet était réussi puisque les rares intervenants anglophones s’excusaient presque avant de respecter la règle et de parler leur langue, craignant de passer pour des prosélytes d’un idiome hégémonique. Dans ces conditions, il était difficile pour Xavier Darcos, qui intervenait en clôture des débats, de présenter ses mesures en faveur des langues vivantes exactement de la même manière qu’il l’avait fait quelques jours plus tôt lors de la rentrée des classes. Il était bien clair à ce moment-là qu’elles ne concernaient que l’anglais, le but étant de former une nation de « bilingues », et on avait même évoqué l’idée de recourir à des tests d’origine américaine pour évaluer les compétences. Changement d’angle lors des EGM : les mesures pourraient être étendues à d’autres langues (sans préciser lesquelles). Plus inquiétant, le ministre a cependant persisté dans l’emploi de l’adjectif « bilingue » avant d’annoncer l’organisation d’un « Erasmus des professeurs » sans plus de détails (comme si cela n’était pas déjà prévu dans certaines actions Erasmus !).

La précipitation conduit aussi à certaines incohérences flagrantes. Ainsi la mise en place de la validation obligatoire du niveau A2 du CECRL pour les candidats au Diplôme National du Brevet, dans des conditions loin d’être idéales qu’avait en son temps dénoncées l’APLV, ne pouvait apparemment attendre qu’une meilleure préparation soit faite. Il est par contre des domaines où la mise en conformité avec le CECRL a, semble-t-il, beaucoup moins d’importance. La suppression en catimini de l’épreuve de compréhension auditive en LV1 au Bac STG en est l’illustration. Cette activité langagière apparaît pourtant bien dans le CECRL mais n’est jamais vraiment évaluée dans le parcours scolaire des élèves français. Sans compter que rien n’a été fait en faveur d’une « exception pédagogique » facilitant l’emploi en classe de documents audio et vidéo authentiques dans le cadre de l’entraînement à cette activité. Évidemment la différence en matière d’impact financier explique ce paradoxe. La validation du niveau A2 au collège ne coûte rien, la préparation de sujets pour l’épreuve de compréhension auditive dans plusieurs langues a elle un coût…

Face à cela, l’APLV a bien entendu joué son rôle en lançant sur son site une pétition réclamant le rétablissement de cette épreuve, en signant l’appel du 4 octobre « pour une formation de qualité » issu des États Généraux de la Formation [1], en s’associant à la démarche de la SHF [2] et d’autres sociétés savantes pour demander, entre autres, le maintien d’épreuves disciplinaires au CAPES [3]. Ses actions ont même dépassé le cadre des réformes éducatives puisqu’une lettre a été envoyée au Garde des Sceaux [4] pour protester contre la réduction du nombre de langues vivantes proposées au concours d’entrée à l’École de la Magistrature à une seule, on sait laquelle ! Il est curieux qu’on incite ainsi les futurs magistrats à se référer à un modèle culturel étranger unique alors qu’il serait souhaitable qu’ils fassent preuve de la plus grande ouverture d’esprit.

Certes, dans ce contexte, notre association, connue pour sa réactivité, a bénéficié d’une grande exposition médiatique, mais l’APLV se veut d’abord un lieu de réflexion et une force de proposition comme le prouve encore le présent exemplaire des Langues Modernes. Elle préfèrerait donc être consultée en amont et être associée à l’élaboration des réformes comme ce fut le cas auparavant. On comprend évidemment l’intérêt de cette méthode. En mettant ainsi les enseignants et leurs représentants devant le fait accompli, on les pousse à s’opposer à des réformes concoctées sans leur concours alors qu’ils sont avec leurs élèves les premiers concernés. Il est ainsi aisé des les présenter ensuite comme des tenants de l’immobilisme peu crédibles aux yeux de l’opinion.

Le Ministre de l’Éducation nationale déclare volontiers s’inspirer du système finlandais réputé efficace. À juger par sa méthode, il semble pourtant en avoir ignoré un aspect essentiel, souvent souligné par les médias : ce système fonctionne aussi parce que les enseignants y sont respectés et considérés comme les acteurs incontournables de la transmission des savoirs.

Bonne lecture.


[2Société des Hispanistes Français de l’Enseignement supérieur

[4Voir la rubrique Vie de l’Association dans ce numéro et aussi sur le site : http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article1995