Rappel : il y a 93 ans dans « Les Langues Modernes » par Francis Wallet

mercredi 21 décembre 2011

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La célébration du 11 novembre [1] et les émissions de télévision sur la première guerre mondiale m’ont incité à feuilleter les exemplaires des Langues Modernes parus entre 1914 et 1918. En effet, la revue a continué à paraître pendant le conflit mondial. Parmi la rubrique « Au champ d’honneur » mentionnant les collègues tués, blessés, disparus ou décorés, les notes donnant des nouvelles des mobilisés, les débats d’opinion sur « la suppression, le maintien ou la transformation de l’enseignement de l’allemand en France », les problèmes des interprètes militaires, ou encore la lettre indignée de l’inspecteur général H. Hovelaque stigmatisant les « barbares » qui ont bombardé la cathédrale de Reims, j’ai trouvé dans une page écrite par un collègue un témoignage humoristique. Je propose aux lecteurs intéressés par les dictionnaires ce qu’écrivait A. Pinloche, passant en revue la presse allemande, dans une page intitulée « Brave vache » :

« Nous trouvons dans la Gazette de Francfort (n° du 13 octobre 1917) un exemple curieux, sinon nouveau, de la façon dont s’écrit l’histoire en Bochie. Ce journal sérieux parmi les sérieux, a cru, en effet, devoir reproduire quelques remarques suggérées au critique littéraire du Literarisches Echo (un nommé Otto Grautoff), par l’examen du Dictionnaire des termes militaires et de l’argot poilu publié chez Larousse, et qui prouve indubitablement - selon lui, bien entendu - le peu d’esprit avec lequel le Français proclamé si spirituel enrichit sa langue ».
Voyons ces preuves... L’on serait curieux à moins.
C’est d’abord la série « boche », cette mystérieuse racine escortée de tous ses dérivés : bochement, Bochie, panboche, bochonner (= cochonner), bochonnerie, etc., qui retient naturellement l’attention du sévère critique. C’est son droit, et s’il s’en tenait là, nous n’en parlerions même pas. Mais là où il nous oblige à contempler son œuvre avec quelque étonnement, c’est lorsque nous le voyons prendre pour des néologismes, des expressions telles que : canon (= verre de vin…, encore ignore-t-il que c’est seulement « sur le zinc » !), zouzou (= zouave), sous-off (= sous-officier), etc.

Mis en goût par ces révélations lexicologiques, nous continuons notre cueillette et nous trouvons des explications comme celles-ci :
« Abocher, voire amocher = rendre inoffensif (unschâdlich machen) ».
« Bourreur de crâne = fanfaron (Maulheld), dans le sens des jusqu’au-boutistes ».

Et enfin - last but not least :
« Bravache (toujours comme néologisme) = lâche, poltron, vient sans doute de “brave vache”. (Bravache ist ein Feigling und wohl aus “brave vache” entstanden) ! ». Après une perle comme celle-là, qui oserait douter, au moins parmi les lecteurs de la Gazette de Francfort, que ce délicat censeur de l’esprit français n’ait fourni amplement la preuve de ce qu’il affirmait au début ? Malheureusement pour sa thèse, hâtons-nous de le dire, il n’y a pas un mot de tout cela dans l’ouvrage recensé. M. Otto Grautoff joint donc à des qualités spéciales de critique dont on peut juger par ces quelques échantillons, celles d’un inventeur dont l’originalité, la sincérité et l’esprit, assurément, ne sauraient être saisis par notre « pauvre esprit français ».

C’était dans Les Langues Modernes n° 2 de avril-mai-juin 1918.


[1Le dernier poilu français est mort en 2008 et le dernier survivant britannique est décédé cette année.