C’était il y a.... « Les stéréotypes », par Francis Wallet

dimanche 15 juin 2014

Lors de la création de l’association et du Bulletin de la Société des Professeurs de Langues Vivantes de l’Enseignement Public, les premiers numéros de la revue publiaient surtout des communications sur l’emploi de la méthode directe qui venait d’être prescrite (circulaire de 1902), mais dès 1907, le bulletin qui prend alors son nom actuel, se dote d’un comité de rédaction qui va étoffer la revue : sans cesser d’être un journal professionnel, un instrument de travail pratique, celle-ci « s’efforcera de donner des renseignements sur le mouvement des idées dans les pays dont nous enseignons la langue et la culture et de se mêler à la vie étrangère dans la mesure où cette information peut servir à notre enseignement dans les classes de la troisième période » (selon la terminologie de l’époque cela correspond aux classes de seconde à terminale).

Depuis on ne compte plus les articles ou les numéros spéciaux consacrés à la littérature, la civilisation, la culture en général publiés dans la revue ; la liste en serait trop longue... Je voudrais néanmoins mentionner un numéro de la revue portant sur l’exercice en civilisation paru en 1986 (n° 4-5) et citer quelques passages d’un article sur les « Objectifs et savoir-faire pour interpréter une culture étrangère »

Dans cet article, notre collègue Geneviève Zarate insiste sur les obstacles à éviter et souligne les points sensibles où se joue l’interprétation d’une culture étrangère : le passage du particulier au général et vice versa, l’approche de la relativité culturelle et rendre explicite l’implicite.

Voici ce qu’elle écrit : « « Comment sont les Anglais (les Allemands, les Italiens) » ? Lorsque les élèves expriment en ces termes leur curiosité pour le pays étranger, leur interrogation est en soi légitime. Mais elle rend compte aussi d’une vision naïve du monde social et convie, si l’on n’y prend pas garde, à réduire la description de la culture étrangère aux seuls procédés de la stéréotypie et de la folklorisation.

En effet, trois risques sont à contourner dans la classe de langues vivantes :
- présenter la culture étrangère comme un ensemble fini de savoir et valoriser ainsi un mode de description davantage fondé sur l’énumération et la théorisation que sur la recherche de principes de cohérence ;
- réduire la compétence culturelle à un découpage de matières scolaires (histoire, géographie, littérature...) et ignorer ainsi le travail de socialisation dont bénéficie le natif mais dont l’étranger est exclu ;
- retenir l’appartenance nationale d’un individu comme principe fondateur de son identité et masquer ainsi la pertinence de l’interrogation suivante : y a-t-il plus de différence entre un Anglais (un Allemand, un Italien...) et un Français qu’entre deux membres d’une même communauté linguistique dont le sexe, la génération, l’appartenance sociale, religieuse... varieraient ?

Le passage du particulier au général et vice-versa
À quelles conditions une expérience particulière est elle généralisable ? Jusqu’à quel point une propriété sociale, caractéristique d’un groupe donné, peut-elle s’appliquer à un membre de ce groupe ? À travers cette double interrogation, c’est le délicat problème de la norme sociale, de la différence culturelle qui est abordé. Points clefs où se joue dans le contexte scolaire la mise en scène de la culture étrangère. Le manuel prend-il le parti, dans un cours pour débutants, de construire le profil d’un individu (Espagnol, Anglais, Allemand...) moyen ? Le personnage du manuel est institué représentant une communauté nationale, les auteurs lui attribuent un caractère exemplaire et le créditent d’un nombre limité de proprietes. C’est un parti-pris très fréquent, alors que celui qui lui serait opposé - décrire individuellement chaque membre d’une communauté - apparaît tout à fait utopique.

Pour des raisons de méthode et d’organisation scolaire, la classe de langue doit
aborder la description d’une culture étrangère avec un certain degré de généralisation. Comment concilier l’effort générique propre au contexte didactique et la fiabilité de la description, si l’on constate que plus l’individu moyen représente un groupe important, plus cette fiabilité est menacée ? Cette question doit être prise en charge par les auteurs de manuels, les enseignants, mais nous postulons ici qu’elle est aussi à placer sous la responsabilité des élèves : savoir interpréter une culture étrangère, c’est en permanence avoir présente à l’esprit l’interrogation suivante : en quoi tel fait, telle affirmation, telle situation sont-ils représentatifs de la culture étrangère ?

La classe de langues vivantes peut ainsi être considérée comme lieu où l’on enseigne à mesurer la portée du particulier et du général. Comme nous le proposons ci-contre (voir exemple de plan de cours), la vision stéréotypée de l’étranger constitue un objet de travail dont on peut démonter en classe les mécanismes. Un double objectif oriente la démarche en classe et particulièrement le cours des débutants. Ils doivent apprendre à :

- identifier les stéréotypes de l’Anglais (de l’Allemand, de l’Italien) qui dominent en France ;
- identifier les stéréotypes de la France et des Français qui dominent en Grande-Bretagne (en Allemagne, en ltalie...).

Ce travail peut être abordé dans différents secteurs (contexte familial des élèves, presse nationale, informations touristiques, milieux économiques...) après une recherche de documents écrits, oraux (interviews par exemple) prise en charge des élèves par eux-mêmes. La variété des contextes peut aider à mettre en relief le rapport contradictoire qui peut exister entre les visions stéréotypées d’un même pays : telle génération de français, telle profession verra telle appartenance nationale comme un facteur positif alors que simultanément la presse française peut renvoyer, par le biais de la mise en scène médiatique de l’actualité, une image plutôt négative du pays en question ». Il me semble que le lecteur trouvera que ces quelques remarques sont toujours d’actualité.

C’était dans Les Langues Modernes, n° 4-5 de 1986