Compte rendu de lecture « Le corps et la voix de l’enseignant : théorie et pratique » de Marion Tellier et Lucile Cadet (eds)

mercredi 16 décembre 2015

Ce compte rendu fait partie des publications du numéro 4/2015 des Langues Modernes.

Le corps et la voix de l’enseignant : théorie et pratique de Marion Tellier et Lucile Cadet (eds), par Jean-Luc Breton, lycée Racine, Paris
Éditions Maison des Langues, Paris, 2014, 310 p., 24€

Les éditrices de cet ouvrage collectif se sont entourées d’une équipe pluridisciplinaire fournie, de manière à traiter avec exhaustivité la question fondamentale mais pourtant peu abordée de la présence vocale et corporelle de l’enseignant dans sa pratique pédagogique. Dans leur contribution, Camille Robieux et Antoine Giovanni indiquent de manière précise un certain nombre de réalités statistiques de terrain :
« La moitié des enseignants présentent au moins un épisode de troubles de la voix au cours de leur carrière. […] Ces troubles semblent insuffisamment intégrés dans la démarche d’évaluation des risques professionnels dans les établissements et très peu d’actions de prévention sont réalisées » (p.30).
« Le risque de présenter des troubles vocaux [est] environ trois fois plus élevé chez les enseignants que dans la population générale » (p.31).

Et pourtant, comme le rappellent plusieurs des auteurs, très peu de dispositifs existent aujourd’hui, ne serait-ce que pour fournir aux enseignants des informations sur les troubles vocaux et posturaux ou des exercices simples qui permettraient de retarder la survenue de phonotraumatismes ou de diminuer leurs effets. Si l’étude de la voix, de la posture et de leurs traumatismes est au programme de la formation des comédiens et des chanteurs, il est étonnant et dommageable que ces questions ne figurent pas ou pas assez dans les programmes des ESPÉ et au sommaire des stages organisés pour les professeurs :
« Afin d’apprendre aux futurs enseignants à préserver leur voix, il serait utile d’intégrer un module « travail sur la voix et stratégies de communication » dans leur formation » (Margaret Bento, p.46).
« Nous souhaiterions proposer, pour la formation initiale, que [la prise de conscience de la gestuelle pédagogique] soit intégré[e] dans les divers cursus universitaires […] afin de consolider les savoirs théoriques sur la gestuelle que les futurs enseignants acquièrent » (Alexandra Gadoni et Marion Tellier, p.217)

Une étude menée par Marion Tellier, Laetitia Michel et Ludivine Wolff avec des professeurs des écoles quadra- et quinquagénaires suggère qu’un enseignant souffrant de fatigue vocale compense en produisant davantage de gestes, de rires et de tics nerveux, y compris en situation d’interaction non scolaire. Cet enseignant se trouve ainsi pris dans un cercle vicieux : pour compenser un handicap souvent non diagnostiqué, il adopte une attitude plus tendue, plus agressive, notamment face à ses élèves, ce qui crée d’autres facteurs d’instabilité professionnelle et personnelle, qui, à leur tour, ont un impact sur la voix et la posture du professeur.

L’institution éducative et les instances de formation des jeunes professeurs que sont les ESPÉ ont trop souvent tendance à faire comme si les enseignants possédaient naturellement les qualités pédagogiques et la sérénité qui permettent de poser sa voix et de mouvoir son corps avec aisance et efficacité pédagogique. Cette façon nativiste de percevoir le métier d’enseignant est de manière très nette considérée comme erronée par les auteurs de Le corps et la voix de l’enseignant, qui plaident, en s’appuyant sur les résultats de nombreuses recherches, pour une politique volontariste de prévention et de sensibilisation en direction des enseignants, d’autant plus nécessaire que les compensations spontanées qu’on a tendance à adopter face au stress vocal, comme le raclement de gorge, sont en général contreproductives. La première partie de l’ouvrage de Marion Tellier et Lucile Cadet sera utile à tout professeur soucieux de préserver sa voix, avec de nombreuses pistes d’analyse posturale ou vocale et des gammes d’exercices d’échauffement que les enseignants en situation de stress phonique temporaire ou chronique pourront pratiquer avec profit.

Cette dimension prophylactique disparaît presque totalement de la deuxième partie de l’ouvrage, consacrée au corps de l’enseignant, et c’est un choix éditorial qu’on peut comprendre, puisque, dans un ouvrage universitaire, il ne peut être question de poser des diagnostics ou suggérer des traitements sans tenir compte de la spécificité de chaque pathologie. Par contre, à la lecture de cette deuxième partie de Le corps et la voix de l’enseignant, les professeurs de langue pourront s’interroger avec profit sur leur utilisation pédagogique du geste, analysé ici comme partie intégrante, coverbale, du discours, puisqu’une information présentée selon différentes modalités est mieux comprise par les jeunes enfants et permet de laisser une trace plus riche en mémoire.

Le titre de l’ouvrage ne l’indique pas explicitement, mais les enseignants dont il traite sont les professeurs de langue, maternelle, seconde ou étrangère. Un des articles retenus, dû à Claire Pillot-Loiseau, pose la question, particulièrement intéressante pour les linguistes, de ce que la chercheuse nomme le changement de voix (p.53), c’est-à-dire l’alternance, dans le discours de l’enseignant, entre deux langues, qui requièrent des gestes vocaux et des postures corporelles différents, qui mobilisent de manière différente muscles et organes de la phonation, qui utilisent des spectres sonores distincts, et, du fait de cet ensemble de paramètres, peuvent être source de stress vocal.

Le corps et la voix de l’enseignant s’adresse à des publics divers. Les enseignants de terrain y glaneront des conseils, notamment grâce à la dizaine de fiches pratiques rassemblées en fin de chapitres et qui constituent des synthèses claires des notions techniques abordées par certains des auteurs. Les formateurs et les chercheurs trouveront des études de fond solidement adossées à la recherche dans de nombreux domaines qui ne se trouvent pas si fréquemment réunis au sein d’un même ouvrage. Une bibliographie de 20 pages et un glossaire de 10 aideront les chercheurs comme les néophytes à prolonger leur réflexion.

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