La note du président - N°1/2016 des « Langues Modernes », par Jean-Marc Delagneau

dimanche 27 mars 2016

Chers lecteurs, adhérents et abonnés, vous recevez cette première livraison pour l’année 2016 des Langues Modernes dans une période où nos inquiétudes concernant l’avenir de la diversité linguistique en langues vivantes étrangères et régionales sont loin d’être apaisées par rapport à l’année précédente.

À l’état de projets initiaux, les réformes touchant le collège et également les programmes de l’enseignement élémentaire, articulé désormais encore plus étroitement avec le collège dans le cadre du cycle 3 regroupant les deux dernières années du primaire (CM1, CM2) avec la première année du collège (6e), pouvaient, malgré certaines contradictions et incohérences, présenter aussi des aspects positifs, à condition de tenir compte des réalités du terrain et de ne pas s’enfermer dans des a priori idéologiques à propos de certaines sections créées antérieurement pour impulser le plurilinguisme et l’apprentissage renforcé de langues vivantes. Des modifications et des corrections ont été proposées par les acteurs concernés au travers de leurs différents représentants syndicaux ou associatifs, dont l’APLV, seule association d’enseignants couvrant l’ensemble des langues vivantes étrangères et régionales à tous les niveaux d’enseignement, de la maternelle à l’université. L’APLV n’a d’ailleurs pas ménagé courant 2015 ses interventions orales et écrites dans les médias, les communiqués sur son site, les consultations officielles et les audiences au cabinet de la ministre : je n’en reprendrai pas ici la liste et vous en retrouverez les références dans mes notes précédentes ainsi que sur le site de l’APLV. Si quelques points ont certes été pris en compte, surtout au niveau des programmes, le combat doit plus que jamais continuer pour une véritable politique nationale assurant sur l’ensemble du territoire un enseignement équilibré et diversifié des langues vivantes étrangères et régionales à tous les niveaux d’enseignement, avec une révision nécessaire de la politique éducative engagée actuellement.

La journée d’étude consacrée aux enjeux de l’enseignement des langues vivantes étrangères et régionales à l’école élémentaire, co-organisée par l’APLV et le principal syndicat national d’enseignants du primaire, le SNIupp, à Paris le 9 décembre 2015, a permis de renouer avec la tradition consistant à faire précéder l’assemblée générale annuelle de l’APLV d’un moment intense de réflexion didactique et de débats constructifs, en association avec des partenaires représentant majoritairement au niveau institutionnel les collègues concernés. Elle s’est inscrite pleinement dans cette nécessité d’articuler les approches d’ experts – Eric Charbonnier (OCDE), Michel Candelier (CELV), Norah Leroy (ESPE d’Aquitaine) – et d’acteurs du terrain afin d’argumenter scientifiquement dans une perspective constructive aussi bien les objectifs à moyen terme d’une véritable politique linguistique pour l’école élémentaire que les besoins pédagogiques urgents. Ces derniers concernent les impératifs immédiats d’inflexion de la mise en œuvre des réformes en cours et l’octroi de moyens adaptés pour assurer un enseignement diversifié de qualité, en particulier dans le domaine de la formation des maîtres, quasi inexistante, aussi bien au niveau de la formation initiale que de la formation continue. Les modules de formation ne peuvent se limiter au dispositif actuellement proposé de visualisation par les enseignants de dossiers d’exemples pédagogiques limités à quelques langues et privilégiant majoritairement l’anglais, mis en ligne sur le site Eduscol du ministère, en utilisant les technologies numériques parfois à des fins de reproduction pure et simple en classe, alors que les compétences personnelles de l’enseignant dans une langue vivante étrangère ou régionale sont essentielles.

La carte nationale des langues annoncée par la Ministre le 22 janvier dernier indique le maintien ou la création de 3 000 sections bilangues ainsi que l’existence d’un enseignement de langues étrangères ou régionales autres que l’anglais dans 5 500 écoles élémentaires pour alimenter des classes bilangues de continuité en classe de 6è. Nous aurions pu saluer cette annonce, si les décisions n’avaient pas été prises sur le terrain de manière entièrement désordonnée et inégalitaire, au travers d’une subsidiarité institutionnelle par délégation aux niveaux inférieurs locaux de la hiérarchie, prônée par les tenants de l’application des théories managériales de l’économie à l’administration publique ; elle est totalement inadéquate et malvenue en matière de politique éducative destinée à assurer l’égalité des chances pour tous les jeunes en tous les points du territoire. Les écarts constatés entre académies, départements et établissements au sein d’une même académie n’ont pas trouvé jusqu’à ce jour de justification convaincante et argumentée de la part des instances officielles. Une disparité – par ailleurs injustifiée – de traitement local des diverses langues étrangères et régionales, est en contradiction avec l’environnement local (pays voisins) ou les perspectives des bassins d’emploi, sans parler de l’éventuelle mobilité personnelle ou professionnelle ultérieure des élèves au cours de leur parcours scolaire ou universitaire ; elle ne permet d’assurer ni la diversité linguistique nécessaire, parfois même annoncée dans la communication officielle sans entraîner d’application réelle dans les faits, ni l’égalité des chances quant aux enjeux liés aux compétences en langues vivantes. Les horaires de langues vivantes prévus par la réforme sont maintenus en l’état avec un temps d’exposition insuffisant (par ex. 2h30 pour la LV2 introduite en classe de 5è), tandis que les effectifs propres aux langues choisies majoritairement par les élèves et leurs familles ne sont pas mieux plafonnés pour permettre la prise de parole de chaque élève dans de bonnes conditions. La suppression confirmée des sections européennes et de langues orientales (SELO) qui avaient fait leurs preuves pour permettre à des élèves motivés par l’apprentissage intensif de langues vivantes étrangères d’intégrer ensuite au lycée, puis dans les établissements d’enseignement supérieur, des formations de haut niveau avec des doubles diplômes binationaux de type Baccalauréat, puis Licences ou Masters dans diverses filières, constitue un abandon grave pour l’avenir. La mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) avec intervention en langues vivantes étrangères et régionales d’enseignants de disciplines non linguistiques, sans garantie des compétences en langues vivantes de ces mêmes intervenants, nous laisse craindre une instrumentalisation des heures dégagées, et prétendument destinées à compenser la diminution des horaires de langues que nous avons mentionnée, au profit d’autres disciplines tandis que les enseignements se feront essentiellement en français, avec de temps à autre une illustration aléatoire en langue vivante étrangère ou régionale.

Pour toutes ces raisons, nous demeurons inquiets quant à l’avenir de la diversité linguistique et l’égalité des chances pour les jeunes de notre pays au travers de compétences diversifiées en langues vivantes étrangères et régionales, à la hauteur des enjeux dans tous les domaines d’activité et en harmonie avec l’épanouissement personnel comme collectif de futurs citoyens d’un monde ouvert. Nous poursuivrons donc notre action sans relâche en ce sens.

L’assemblée générale du 12 décembre dernier a renouvelé mon mandat pour les deux années à venir, je saisis l’occasion pour remercier le conseil d’administration de l’APLV de sa confiance et vous remercier également pour le soutien que vous nous apportez ou apporterez par votre adhésion à notre association et l’abonnement à notre revue. Ces remerciements se substituent aux vœux de nouvelle année, que je ne peux plus formuler en cette période déjà avancée en la forme accoutumée. Je vous souhaite aussi une excellente lecture de cette livraison des Langues Modernes, revue de l’APLV, dont la thématique, la traduction, devrait être enrichissante pour tous les enseignants de langues vivantes étrangères et régionales, en matérialisant, au travers des deux numéros successifs qui lui sont consacrés en ce début d’année sous la coordination éminente d’Astrid Guillaume, les étrennes de l’APLV.