Éditorial des « Langues Modernes » n° 2/2019

Par Émilie Perrichon et Laure Peskine, rédactrices en chef
lundi 27 mai 2019

Ce numéro des Langues Modernes se propose de traiter une thématique riche et peu abordée malgré un engouement de plus en plus marqué : la littérature de jeunesse.
En 1935, un article de notre revue était consacré aux lectures scolaires [1] On peut déjà y lire des préoccupations à la fois pédagogiques et didactiques : comment sélectionner les textes, selon quels critères ? Comment le choix du texte peut-il favoriser l’apprentissage du vocabulaire, de la grammaire et de la culture de la langue étudiée ? Les aspects interculturels, même s’ils n’étaient pas nommés comme cela, faisaient aussi partie des arguments de l’auteur en faveur des lectures scolaires. La posture de l’enseignant face à ces choix littéraires (qui ne sont pas forcément liés à sa formation ou à ses goûts personnels) était également abordé par l’auteur, qui se posait déjà la question du rôle de l’enseignant :

« En cherchant pour nos élèves des lectures d’un attrait suffisamment puissant pour leur faire oublier les difficultés de la langue étrangère, il faut procéder autrement que pour le choix d’un texte à expliquer, à analyser, à commenter, susceptible de documenter sur l’histoire de la civilisation. Il faut dépouiller le pédagogue, faire le métier du directeur de journal qui à la faveur d’un feuilleton passionnant veut faire vendre son prochain numéro ou métier de directeur de cinéma qui choisit le film qui passionnera le plus son public. » (Kientz, p. 331)

En 1984, dans son article La littérature de jeunesse en milieu scolaire [2], Monique Mombert propose une définition de la littérature jeunesse, qui doit être une œuvre dont la totalité doit être accessible à un public aux compétences langagières encore limitées, et définit les critères selon lesquels l’enseignant doit choisir les titres (présentation, langue, thème, contribution à la « socialisation » du lecteur). Pour M. Mombert :

« L’accent [est] mis ici sur l’apprentissage de la lecture autonome, c’est évidemment de faire lire qui me paraît essentiel, et non pas d’"exploiter" le texte lu, ni de "contrôler" comment le texte a été lu/compris. Il s’agit de familiariser l’apprenti-lecteur avec une lecture extensive (approche globale, faisant intervenir le moins possible de traduction, le sens étant construit à partir de jalons qui permettent au lecteur d’anticiper) [...] ». (Mombert, p. 515)

Pour L. Kientz comme pour M. Mombert la lecture de jeunesse était envisagée comme une étape, de façon à préparer l’élève à des lectures « en dehors de la classe » (L. Kienst), et d’un faire un « lecteur autonome » (M. Mombert).
Ce numéro des Langues Modernes, coordonné par Nadja Maillard-De-La-Corte Gomez avec l’aide de Manuel Ruiz que nous remercions vivement pour leur engagement dans la revue offre une définition renouvelée de la littérature de jeunesse et tente de répondre aux interrogations précédemment soulevées. Traitant de la littérature jeunesse comme outil didactique à des fins d’apprentissage, on y aborde aussi la lecture plaisir en dehors de la classe.
La littérature jeunesse, tout comme les spectacles jeune public, fait en effet maintenant partie des secteurs les plus dynamiques du monde de l’édition comme du monde de la scène. Leur créativité et la variété des formes qu’ils adoptent en font un vivier de sources d’expression appréciées tout autant par les jeunes lecteurs et spectateurs que par le monde éducatif qui en exploite les possibilités didactiques à travers des projets, des plus directs (assistance à des spectacles, lecture) au plus élaborés (projets d’action éducative, ateliers d’écriture, accueils de conteurs, d’écrivains, de petites formes théâtrales dans les établissements scolaires, etc.).
Les articles qui sont présentés dans ce numéro reflètent le dynamisme et l’attraction particulière qu’exerce la littérature de jeunesse sur le plan pédagogique et didactique.
Que l’on soit enseignants dans le primaire, le secondaire ou même le supérieur, l’usage de ce type de littérature en classe suscite de nombreuses interrogations.
– Comment définir la littérature de jeunesse ? Comment la faire entrer en classe et l’adapter à l’âge et aux besoins langagiers de nos élèves ?
– Comment envisager la présence et l’utilisation de la littérature jeunesse à des fins d’apprentissage des langues étrangères et régionales en milieu scolaire, de la petite enfance au secondaire ?
– Quelle est la place de la littérature jeunesse dans la production éditoriale et quel est son rapport avec l’apprentissage des langues vivantes ?
– Comment envisager la littérature de jeunesse comme lien social, générationnel, spatial ?
Nous terminons cet éditorial en souhaitant la bienvenue à Fabrice Barthélémy, maître de conférences en didactique des langues à l’Université de Franche-Comté, qui vient rejoindre le comité de lecture des Langues Modernes et nous fait l’honneur de diriger ce qui constituera le premier numéro de l’année 2020, consacré aux enjeux de la comparaison pour les didactiques des langues-cultures vivantes.
Bonne lecture à tous.


[1KIENTZ L. « Lectures scolaires ». In Les Langues Modernes, 1935, n° 4, p. 329-335.

[2MOMBERT Monique. La littérature de jeunesse en milieu scolaire. In « Lecture et compréhension écrite ». APLV. Les Langues Modernes, 1988, n° 4, p. 509-5182