100 ans de publication : Être Rédactrice en chef des Langues Modernes il y a vingt-cinq ans, par Bernadette Grandcolas

samedi 21 avril 2007

Eh oui ! Avant même tous les débats sur la féminisation des noms de métier, j’avais souhaité que figure le mot Rédactrice dans l’ours de la revue. C’était d’ailleurs la première fois qu’une femme occupait ce poste, et certains de mes collègues du Bureau, un brin machistes, me voyaient arriver avec un peu de méfiance... Mes débuts ont été, heureusement, bien facilités par Maurice Antier, qui avait accepté de relire les épreuves avec moi, et j’avais fait mes premières armes sous le contrôle de mon prédécesseur, Jean-Louis Duchet, lors des Journées de Caen sur les méthodes et les manuels, au cours desquelles l’APLV avait invité les auteurs de manuels à venir présenter leurs ouvrages.

J’ai donc assuré cette fonction pendant six ans, entre 1979 et 1984. Le ‘bail’ habituel des rédacteurs en chef était habituellement de trois ans, car, comme l’a bien dit Maurice Antier, qui a raconté quelques souvenirs dans le dernier numéro, « occuper cette fonction est une lourde responsabilité, qui s’ajoute à celles de la vie professionnelle ». Comme je n’avais pas bien su préparer ma succession, j’ai exercé cette tâche deux fois plus longtemps ! Je ne le regrette pas du tout, car cette durée m’a permis d’impulser quelques changements, qui, je crois, ont donné à la revue une visibilité plus grande, sensible dans le nombre d’articles cités dans des revues de didactique. Je n’étais pas peu fière de voir Les Langues Modernes sur les rayons des bibliothèques de Harvard et Princeton aux U.S.A, de l’Université Humboldt à Berlin (mais désolée qu’elle ne se trouve pas dans tous les CDI français...).

La préparation matérielle des numéros

Quand j’ai raconté à un ami que je préparais cet article, il a éclaté de rire en me disant : « Pour moi, Les Langues Modernes évoque immédiatement une image : la moquette du salon recouverte de longues bandes de papier, et toi par terre, armée de ciseaux et de scotch, essayant d’organiser la mise en page... ». Il faut en effet rappeler que, dans cette époque lointaine, l’informatique était encore balbutiante et la composition des numéros se faisait à l’ancienne chez l’imprimeur (dont je suis d’ailleurs allée visiter l’atelier à Lyon, juste au moment où il commençait à se moderniser). Les épreuves arrivaient une première fois en placards, c’est-à-dire en longs bandeaux de deux ou trois pages ; il fallait vérifier qu’on n’y trouvait pas de bourdons (mots omis par l’imprimeur dans la composition typographique) et renvoyer le tout mis en page avant une seconde relecture.
Les propositions d’articles étaient parfois manuscrites et souvent très maladroitement tapées à la machine. Nous avions cru bon de publier des consignes précises :

Pour publier dans Les Langues Modernes

... Le manuscrit soumis par l’auteur doit être dactylographié sans surcharges manuscrites. Ce doit être l’original de frappe et il est souhaitable qu’un double soit joint. Les pages doivent être numérotées en haut à droite et attachées avec un trombone. Le nom et l’adresse de l’auteur doivent figurer au crayon sur la première page du texte en haut et à gauche... Les auteurs sont priés de bien vouloir relire leur manuscrit dactylographié avant de l’envoyer à la rédaction.

Pendant ces années, Les Langues Modernes publiaient encore 6 numéros par an, dont un numéro double, qui n’avait parfois de double que le nom, en raison des difficultés financières de l’Association. Ainsi, en 1981, nous écrivions : « Le trésorier, soucieux du bon équilibre financier de l’Association, nous demande de limiter le nombre de pages quand arrive le dernier numéro de l’année ». Le même message apparaissait au début du numéro 5/6 de 1983 : « Les décisions du bureau ont des conséquences immédiates sur la revue et les restrictions financières nous obligent à faire de ce numéro le dernier de l’année 1983 ». Tous n’étaient pas conscients de ce problème : je me souviens qu’un membre du comité, qui nous avait soumis un court article de son fils, que nous avions publié, est venu me demander le chèque, auquel, pensait-il, il avait droit !

Dès 1980, outre les comptes-rendus des Journées d’Etudes organisées par l’APLV (Pau, Montpellier, Bourges), nous avons commencé à centrer les numéros sur un thème précis, souvent sous la responsabilité d’un collègue qui voulait bien se charger de contacter des auteurs et de mettre en forme le dossier. Cette habitude a été conservée jusqu’à aujourd’hui et diminue beaucoup la charge de travail du rédacteur en chef. Pour le numéro Media, nous avions fait appel à Claude-Jean Bertrand ; Françoise Demaizières nous a initiés à L’EAO ; Enseigner la civilisation a été préparé par Daniel Thomières, qui devait me succéder comme rédacteur en chef. C’est d’ailleurs pour ce numéro de 1983 que nous avons décidé de moderniser la présentation de la revue et d’avoir une couverture en couleurs, qui sera bleue et orange jusqu’à la fin de 1984 . Cette année-là, pour Les exercices dans la classe de langue, c’est Marie-Hélène Clavères qui s’est chargée de la coordination, le numéro sur La vidéo a été supervisé par Albert Hamm et celui sur L’évaluation par Antoine Beck.

Il ne faut pas oublier en 1982, le Memento, un gros numéro de 400 pages, où toute une équipe a travaillé pour rassembler une foule de renseignements et d’adresses, qui concernaient toutes les langues enseignées en France (c’était une publication régulière de l’APLV et le précédent datait de 1975) . L’adhérent pouvait ainsi connaître le nom de ses inspecteurs, l’adresse et la spécificité des différentes U.E.R. de langues dans les universités, les textes officiels concernant les programmes ou les différents concours, etc. L’autre partie du numéro comprenait une bibliographie détaillée sur tous les thèmes pertinents pour l’enseignant de chaque langue et de toutes les langues... Ici aussi la révolution informatique et Internet rendent caducs ce type de travail et permettent que ces données soient régulièrement actualisées. Le site des Langues Modernes, avec ses liens, remplit bien cette fonction !

Il faut faire une place à part à un thème qui a donné naissance à une polémique assez forte au début des années 1980, à propos de la publication des nouveaux programmes. Nous avions accordé une tribune sur ce sujet à l’Inspecteur Général Denis Girard, dans le numéro 1 de 1982 ; cependant, nous n’avions pas souhaité qu’il en fasse une présentation détaillée, ne voulant pas que la revue apparaisse comme la courroie de transmission des nouvelles instructions du Ministère ! Dans le numéro 2 de 1982, pour la première fois, au début du numéro, au lieu de l’habituelle Note du Président, suivie de la Note de la Rédaction, Pierre Moreau et moi-même avons publié dans une Note conjointe :

Tout en reconnaissant l’abondance et la qualité du travail réalisé, nous regrettons l’absence de concertation... le fait que ces programmes ne prennent pas davantage en compte les conditions réelles de l’enseignement (horaires, effectifs, types d’élèves)... et le vide du programme de civilisation... Il est essentiel de traiter une bonne fois les enseignants en adultes et nous disons notre accord sur la nécessité de positions qui se présentent comme ‘évolutives’, qui acceptent les ‘diverses conceptions linguistiques’, qui soient une ‘démarche constituante’, avant d’être une ‘pratique pédagogique constituée’ qu’il n’y a plus qu’à adopter.

Dans le numéro suivant, Marie-Hélène Clavères, dans le ton des Lettres Persanes, écrivait « Comment peut-on être cognitiviste ? D’Usbek à Roxane au Sérail d’Ispahan » :

Le notionnel-fonctionnel, ma chère Roxane, est la plus jolie méthode du monde. Imaginons que vous décidiez d’apprendre l’anglais. Il n’est rien de plus simple désormais. Munissez-vous d’une trentaine de goussets de bonne toile. Brodez sur chacun d’eux le nom d’une des fonctions de la communication, dont vous trouverez la nomenclature dans les écrits du prophète. Glissez à l’intérieur tous les mots, tournures, expressions qui lui conviennent. Vous voici prête à communiquer. Qu’un Anglais vous tienne des propos qui ne vous agréent pas, il vous suffira d’ouvrir le gousset du désaccord, où vous pourrez choisir entre No, I don’t think that..., I disagree with et I object to. Ah, Roxane, la belle chose que de savoir quelque chose sans avoir été à la peine de l’apprendre !

Ma conclusion ne sera pas différente de la note de la rédaction que j’avais écrite pour la publication du dernier numéro dont j’ai eu la responsabilité (6/1984) :

Je terminerai cette note, comme je l’ai fait souvent, en vous rappelant que cette revue n’a de sens que si elle est faite avec et pour les enseignants de langues. J’ajouterai que, comme le rédacteur en chef travaille bénévolement, il trouve sa satisfaction essentielle dans les réactions des lecteurs. Notre association se compose d’enseignants qui ont une formation, une expérience et des publics très diversifiés : il est donc impossible que chaque article intéresse tous les adhérents. Mais si chacun, dans la centaine de pages qui compose chaque numéro, en trouve une dizaine qui lui fait découvrir un domaine nouveau ou le stimule dans son enseignement, nous aurons rempli notre but.