Le dossier proposé dans ce numéro 3/24 est intitulé « Des jeux pour collaborer et coopérer : avec ou sans outils numériques ? », et coordonné par Isabelle Audras (Le Mans Université, CREN), Caroline Venaille (Le Mans Université, CREN) et Euriell Gobbé-Mévellec (Université Toulouse – Jean Jaurès / LLA CREATIS).
L’appel à contributions invitait à aborder une question récurrente en didactique des langues, celle du jeu, en prenant un angle bien spécifique : les effets du jeu, qu’il comporte ou non une dimension numérique, sur « le développement de compétences collaboratives et/ou coopératives et sur les apprentissages langagiers et méta-langagiers associés ». Le dossier comprend au total cinq articles qui explorent ces pistes de réflexion, auxquels s’ajoute un entretien, conduit par Caroline Venaille, avec Emmanuel Zimmert, attaché de coopération pour le français qui témoigne de son expérience de développement de jeux d’évasion en didactique des langues.
Ce dossier résonne bien entendu avec l’actualité, puisque les Jeux Olympiques battent leur plein au moment où je rédige le présent éditorial et où les auteurs et autrices des articles effectuent les ultimes corrections. Et l’un de ces articles s’intéresse même à un concours, basé sur la résolution d’énigmes linguistiques, baptisé, précisément, les « Jeux olympiques de la diversité linguistique » !
Bien entendu, Les Langues Modernes ont, à de nombreuses reprises et très régulièrement, évoqué la place du jeu dans l’enseignement / apprentissage des langues, comme en témoignent les archives de la revue en ligne accessibles sur gallica.fr. L’un des premiers numéros, en novembre 1907, proposait déjà un encart publicitaire vantant les mérites d’un loto « amusant et intéressant » nommé « j’apprends les langues vivantes en jouant ».
La prise en compte d’une éventuelle dimension numérique des jeux est, évidemment, plus tardive, et l’on mentionnera, par exemple, le numéro 1/1983 consacré à « l’enseignement assisté par ordinateur » (EAO). Jean Janitza y expose les différents modèles d’apprentissage mis en œuvre par l’ordinateur, dont un « mode ludique », qu’il définit en ces termes :
« Il n’est pas spécifique à l’apprentissage langagier, il peut s’appliquer à tout type d’apprentissage comme type de motivation, mais peut-être n’a-t-on pas suffisamment exploité toutes les possibilités d‘une approche ludique de l’apprentissage des langues. Tout reste à inventer dans ce domaine, ou presque, surtout en liaison avec un médium aussi fascinant à ce point de vue que l’ordinateur. » (1983, p. 30)
Et dans le même numéro, Marie-Madeleine Kenning et Michael Kenning, qui consacrent un article à l’« EAO et les langues en Grande Bretagne », soulignent qu’« à côté des fréquents didacticiels de type “drill and practice“ », « exercices répétitifs portant sur des mécanismes morphologiques ou structuraux », les enseignants disposent désormais de « toutes sortes de jeux linguistiques s’accordant mieux avec la méthodologie actuelle » : « Non seulement des versions électroniques de jeux linguistiques courts : mots croisés, anagrammes, etc. mais des jeux écrits exprès pour micro-ordinateurs » (1983, p. 87). Ces jeux constituent à leurs yeux « un moyen de plonger l’apprenant dans un bain de langue qui ne peut lui être que bénéfique » et ils en listent plusieurs exemples, dont le jeu « Masker », créé par Tim Johns de l’Université de Birmingham :
« L’apprenant doit reconstituer un texte à partir d’un écran vide en puisant, si nécessaire, dans un budget qui lui permet d’acheter des parties du texte (tous les articles, etc.), le prix d’achat de chaque option reflétant son poids sémantique » (ibid).
Pour autant, les dynamiques collaboratives ou coopératives du jeu sont plus rarement mises en avant, a fortiori dans ses versions « électroniques » ou « pour micro-ordinateurs ». Dans le même dossier, est ainsi vantée l’« individualisation du travail » permise par l’EAO : il permet à l’élève de « travailler seul, à son rythme » et « de se concentrer beaucoup plus facilement que dans un groupe » (1983, p. 12).
C’est peut-être dans le dossier « Les jeux » du numéro 3/1984 que la dimension collective du jeu se retrouve clairement mise en exergue. Dans un article intitulé « Jouer ? Est-ce bien raisonnable ? », où elle « brosse un panorama général du problème » (1994, p. 5), Nicole Décuré souligne que :
« Le jeu est activité de communication par excellence. Pas de communication, pas de jeu. On joue à plusieurs. Pour jouer, il faut parler à ses camarades et non plus – sinon très fortuitement – à l’enseignante. Les jeux servent à établir la confiance au sein d’un groupe, la coopération, l’interdépendance. Ils font tomber les barrières entre les individus. […] Beaucoup de techniques de jeux, mais aussi de travail par paires, visent au contraire à exploiter au maximum les potentialités humaines. Toutes les configurations de l’échange sont possibles » (1994, p. 20).
Le même numéro donne d’ailleurs à lire un article de Francis Yaiche sur les simulations globales, qui permettent aux élèves de « construire collectivement un univers dans lequel chacun sera partie prenante », de faire « œuvre créatrice, œuvre individuelle intégrée dans une œuvre de groupe » (1994, p. 44 – 46).
Par la suite, comme l’évoquent l’appel à contribution rédigé par les coordinatrices du dossier, tout comme leur introduction à ce numéro, on retrouve dans la revue des articles qui mettent en synergie ces questionnements : celui de Delphine Chazot (« La télécollaboration à travers un scénario pédagogique ludique », dans le n°1/2017), ou plus récemment encore celui de Coralie Payre-Ficout et Virginie Zampa (« Conception d’un escape game sur la comparaison des langues en CE1 », dans le n°2/2024). Mais sans nul doute, le présent dossier des Langues Modernes offre une synthèse nécessaire, éclairante et riche de perspectives sur ces dimensions ludo-collaboratives de l’enseignement / apprentissage des langues, et je vous en souhaite bonne lecture !
Enfin, le temps est venu pour moi de passer le relais à Marie-Claire Lemarchand-Chauvin, après avoir assuré la responsabilité de rédactrice en chef depuis un peu plus de trois années – et 14 numéros, dont la parution est peu à peu revenue à un rythme normal après les bouleversements du covid et ses multiples répercussions. Ce travail, intense et passionnant, a nécessairement été un travail collectif, et je souhaite adresser mes remerciements les plus chaleureux :
– à l’ensemble des membres des comités de lecture et de rédaction de la revue, et tout particulièrement à Pascal Lenoir, qui m’a donné l’opportunité d’intégrer le comité de lecture, Émilie Perrichon et Jean-Marc Delagneau pour l’aide sans faille qu’il m’ont apportée ; à Laure Peskine, puis Michèle Valentin qui ont assuré à mes côtés la rédaction adjointe ; à Benoît Cliquet, dont les dessins apportent toujours une touche d’humour bienvenue ;
– aux coordinateurs et coordinatrices des numéros parus depuis que j’ai pris la responsabilité de la rédaction, ainsi qu’aux auteurs et autrices des articles qui auront, je l’espère, intéressé et enrichi les lecteurs et lectrices.
– à l’ensemble des membres du bureau de l’APLV, pour leur engagement en faveur de la dynamique et de la diversité dans l’enseignement des langues, et tout particulièrement à Jean-Luc Breton, Régine Dautry, Françoise Du, Jeanne Gianni et Ulrich Hermann, pour leur investissement dans la vie de la revue.
Les trois prochains numéros sont d’ores et déjà en cours : « Enseigner les langues dans des formations professionnalisantes », coordonné par Séverine Wozniak (4/24), « Apprendre les langues : une question de confiance », coordonné par Michèle Valentin (1/25) et « Enseigner les langues, une aventure émotionnelle », coordonné par Marie-Claire Lemarchand-Chauvin. Le comité de rédaction a d’ores et déjà commencé à travailler sur son accessibilité numérique, ce qui sera, sans nul doute, un chapitre important dans la longue histoire des Langues Modernes.
Et, comme me l’avait souhaité Émilie Perrichon (rédactrice en chef à laquelle j’avais succédé en avril 2021), je souhaite à la nouvelle équipe de faire perdurer la ligne éditoriale et la qualité de la revue.
PAR MARIE-CLAIRE LEMARCHAND-CHAUVIN, UNIVERSITÉ DE LORRAINE
C’est avec un grand honneur et beaucoup d’enthousiasme que je deviens aujourd’hui rédactrice en chef des Langues Modernes, succédant ainsi à Nadja Maillard-De La Corte Gomez qui a brillamment rempli cette mission ces trois dernières années. Je tiens tout d’abord à la remercier pour le travail accompli et la qualité qu’elle a su insuffler à notre publication. Grâce à notre collègue, la revue Les Langues Modernes a continué à jouer un rôle de premier plan dans le domaine de la didactique des langues, de la linguistique appliquée et des politiques linguistiques. Elle s’est affirmée comme un espace de réflexion incontournable sur l’enseignement des langues, favorisant le dialogue entre chercheurs et praticiens. Dans un esprit de continuité, nous poursuivrons cette mission essentielle en publiant des numéros thématiques de haute qualité, combinant articles de recherche et comptes rendus d’expérience de terrain. Cependant, fidèle à l’esprit d’innovation qui a toujours caractérisé Les Langues Modernes, j’ai le plaisir d’annoncer quelques évolutions significatives. Nous allons renouer avec une tradition ancienne de la revue en valorisant davantage le plurilinguisme. Ainsi, nous ouvrirons désormais, et ce dès les prochains numéros, la possibilité de publier des articles en langues étrangères, accompagnés d’une version française accessible via un QR code. Cette initiative vise à enrichir nos perspectives et à refléter la diversité linguistique qui fait la richesse de notre domaine.
Je suis convaincue que ces évolutions permettront aux Langues Modernes de rester à l’avant-garde de la réflexion sur l’enseignement des langues, tout en restant fidèle à sa mission première : être un outil précieux au service des enseignants et des chercheurs. Ensemble, continuons à faire des Langues Modernes un espace dynamique de partage et d’innovation au service de l’enseignement des langues.