Note du président 2/2025, par Jean-Luc Breton

jeudi 12 juin 2025

Pour des raisons d’ordre privé, la présidente de l’APLV, Michèle Valentin, a quitté ses fonctions après le Conseil d’Administration (CA) du 29 mars. J’aurai l’honneur et la responsabilité de terminer son mandat, jusqu’à l’élection d’un nouveau président après l’Assemblée Générale (AG) du 6 décembre prochain.

Je tenais à commencer cette note par un hommage à Michèle Valentin, non parce qu’il s’agit d’un exercice rhétorique attendu, mais parce que le trop bref passage de Michèle Valentin à la présidence de l’APLV aura été pour moi, qui l’accompagnais en qualité de vice-président, une période particulièrement tonique et exaltante.

Pendant son mandat, Michèle Valentin a eu à cœur de rappeler et de soutenir le rôle formateur de l’APLV auprès des enseignants, en intégrant plus étroitement le travail de la revue et celui de l’association. C’est pour cette raison sans doute que Michèle Valentin avait choisi d’être à la fois présidente de l’APLV et rédactrice-en-chef adjointe des Langues Modernes. Cette proximité réaffirmée entre l’association et sa revue se manifestait clairement dans les notes de la présidente Michèle Valentin, qui étaient des articles scientifiques fondés sur une solide érudition dans le domaine de la didactique des langues.

Cette fine connaissance des travaux de recherche et de réflexion et l’articulation équilibrée de l’argumentation ont été des atouts majeurs dans les négociations que Michèle Valentin a menées pour l’APLV avec le ministère. En outre, la manière dont elle a impulsé et organisé la réflexion collective du CA et des associations adhérentes sur les projets de programmes actuellement soumis à consultation par le ministère, a été d’une grande efficacité et a permis à l’association de jouer un rôle pas uniquement de critique, mais également de proposition. J’ai essayé de m’inspirer de la méthode de Michèle Valentin pour la troisième et dernière phase de la consultation, qui portait sur certaines langues régionales.

Lorsque Michèle Valentin a été élue présidente de l’APLV après l’AG de novembre 2023, un de ses premiers soucis a été de faire approuver par le CA une liste de principes, qui constitue, en cinq points, un cadre de référence pour le travail de l’association : 1. défendre la variété de l’offre des langues, 2. porter les DNL (Disciplines Non Linguistiques), 3. défendre la formation des enseignants des premier et second degrés, 4. valoriser et défendre la perspective actionnelle, 5. défendre le principe que l’évaluation de la progression des élèves ne peut être menée que par les enseignants. Cette liste paraîtra, je l’espère en tout cas, de bon sens aux lecteurs de cette note, mais le quatrième point, « valoriser et défendre la perspective actionnelle », aurait, il y a quelques années, été difficilement acceptable pour des générations plus anciennes d’administrateurs de l’APLV, au nom de la défense du principe de la liberté pédagogique des enseignants.

Que s’est-il donc passé au sein de l’APLV pour que l’association fasse le choix d’afficher son soutien à une approche pédagogique ? Peut-être sentions-nous que la perspective actionnelle était, sinon menacée, du moins insuffisamment défendue par l’institution qui, soucieuse d’afficher des résultats aux niveaux national et international, semble penser de plus en plus en termes de référentiels critériés (certifications dans l’enseignement supérieur, dispositif Ev@lang…) là où la perspective actionnelle introduit par nécessité plus de souplesse et de labilité dans les pratiques et les évaluations ? Peut-être sentions-nous que le discours obsessionnel sur les faibles compétences en langue des Français induisait chez certains professeurs le souhait de retourner à des méthodologies plus mécanistes ou comportementales ? Les auteurs des projets de programme actuellement en consultation semblent d’ailleurs avoir entendu les mêmes sirènes, puisque tous les savoirs et toutes les compétences sont désormais passés à la moulinette du CECRL, jusqu’à rendre certaines propositions absurdes et, on peut le craindre (ou le souhaiter), inopérantes ?

D’abord, on peut peut-être souligner que ce débat sur la nature de la liberté pédagogique des enseignants semble être un faux problème. Lorsqu’on se plonge dans les premières décennies des Langues Modernes, on se rend compte que les administrateurs de l’APLV du passé ne craignaient nullement de prendre parti pour telle ou telle méthode, parfois de manière opiniâtre, dans la revue.

La proposition de Michèle Valentin, devenue celle du CA de l’APLV, ne constitue pas une révolution ou une prise de pouvoir. Il s’agit en fait de l’aboutissement d’un processus à l’œuvre depuis plusieurs années au sein du CA. Françoise Du écrivait déjà en 2022 : « Il est urgent de réaffirmer l’adhésion à la méthodologie actionnelle. L’aspect collaboratif de la perspective actionnelle est essentiel » [1]. L’adjectif « collaboratif » pose bien la question dans les termes où elle doit être formulée : au-delà d’être une méthodologie, l’actionnel est un choix politique.

Dans La Liberté dans le coma, le groupe Marcuse distingue « liberté » et « liberté pour quelque chose » [2]. Et il me semble que la question de la liberté pédagogique s’inscrit dans cette dichotomie-là. La perspective actionnelle donne aux élèves plus que la liberté, elle leur donne la liberté pour quelque chose, pour faire quelque chose qui, dans le meilleur des cas, les implique dans un projet d’ordre langagier et culturel. Et par conséquent, elle donne aux professeurs la liberté de concevoir leurs propres stratégies pour aider les élèves à développer leurs compétences, ainsi que, comme l’indique le dernier principe adopté par le CA de l’APLV, d’évaluer librement la progression de leurs élèves en fonction du projet conçu et mené par eux.

Il en est de la liberté pédagogique des enseignants comme de l’autonomie des apprenants : ces termes ne signifient pas licence de faire n’importe quoi. L’approche actionnelle est et doit rester un cadre, un guidage, dont l’existence même favorise l’efficacité, ou une certaine efficacité, de la démarche. Les mélomanes savent bien qu’à partir de la même partition, les interprètes disposent d’une liberté d’exprimer leur sensibilité si grande qu’on a parfois l’impression qu’ils jouent autre chose que ce qui est écrit.

Débat politique, mais aussi éthique, ou politique parce qu’éthique. En 2016, Pascal Lenoir écrivait : « La perspective actionnelle […] est et sera ce que les enseignants en font et en feront, puisque son principe fondateur est de l’ordre de l’éthique : elle vise à construire les compétences d’un acteur social » [3]. Défendre une approche éthique, respectueuse, qui vise à donner confiance aux professeurs et à leurs élèves, est un objectif qu’il me semble noble que l’APLV soutienne et continue à soutenir. Merci à Michèle Valentin de nous l’avoir rappelé.


[1Les Langues Modernes n°3/2022, également disponible à https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article9696

[2Groupe Marcuse, La liberté dans le coma, nouvelle édition, La Lenteur, 2019.

[3Les Langues Modernes, n°3/2016, également disponible à https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article6387