La note du président - N°4/2011 des « Langues Modernes », par Jean-Marc Delagneau

mercredi 21 décembre 2011
 Jean-Marc DELAGNEAU

Je tiens tout d’abord à remercier les membres du conseil d’administration qui m’ont élu à la présidence de notre association lors de l’Assemblée générale qui s’est tenue à Reims les 5 et 6 novembre derniers. Cette mission que je souhaite accomplir en parfaite collégialité, confortée par un dialogue permanent avec les membres du bureau et les responsables des différents secteurs, ne sera pas facile dans une période marquée par des turbulences de tous ordres. Ayant toujours milité dès mon entrée dans le métier pour la diversification linguistique en adhérant à l’APLV, j’ai toujours pensé qu’une langue dont la survie de l’enseignement dépendait parfois aléatoirement de la volonté de décideurs locaux ou régionaux, et subissait les attaques liées à divers préjugés répandus dans l’opinion publique, l’allemand en l’occurrence, avait besoin de l’engagement collectif des enseignants de la discipline, mais aussi de l’appui collégial des enseignants des autres langues et réciproquement. C’est dans cet esprit que j’ai fait créer autrefois les LV2, et donc l’espagnol LV2, dans un lycée technique où il n’y avait que l’anglais et l’allemand LV1, tout en menant des projets communs avec des collègues anglicistes. J’ai persévéré au niveau universitaire, et mes collègues majoritaires des langues romanes (espagnol, italien, portugais) m’ont fait confiance en m’élisant responsable d’un département commun de langues romanes et germaniques. Une autre réciprocité tout aussi collégiale s’est manifestée cette année quand le groupe d’étude et de recherche en allemand de spécialité a été créé avec le soutien logistique du groupe d’étude et de recherche en anglais de spécialité. J’associerai naturellement le français langue étrangère et seconde, les langues régionales de France, et toutes les autres langues, dans la poursuite de la promotion et du maintien de la diversification linguistique à tous les niveaux.

Notre vénérable association plus que centenaire a commencé, sous la direction des équipes précédentes, à prendre la voie de la modernité, avec les aléas humains et techniques qui accompagnent naturellement tout changement profond des modes de fonctionnement et entraînent des divergences sur les choix stratégiques. Le dévouement inlassable de notre secrétaire générale qui a assuré durant toute une période le fonctionnement du site Internet, la présence dans les médias et sur des salons, la continuité du travail administratif et la poursuite de son informatisation avec une présence régulière au local en l’absence de secrétaire administratif, a permis le maintien du cœur de notre vie associative dans un contexte général difficile. Le renouvellement de l’appui solide de membres du bureau précédent à la rédaction du site et aux prises de position officielles de l’APLV, les prises nouvelles de responsabilités définies par secteurs et le recrutement d’une nouvelle secrétaire administrative à temps partiel, devraient permettre de réunir les premières conditions d’un nouvel élan, si les engagements de tous les membres de l’équipe, sans exception, sont tenus. Mais il faudra que d’autres collègues nous rejoignent, viennent renforcer la rédaction du site dont le succès et l’influence ne se démentent pas, tandis qu’une campagne active d’adhésions devra être menée. Le site avec la possibilité qu’il offre aux collègues de terrain d’échanger sur des forums doit en être un élément moteur. La présidence précédente avait privilégié un nouvel axe orienté vers des projets extérieurs avec la participation de l’APLV au lancement de la fédération européenne REAL et un accord avec la Bibliothèque Nationale pour la numérisation de la collection des Langues Modernes, et je remercie mon prédécesseur de continuer à les suivre au sein du bureau. Notre revue Les Langues Modernes publie des dossiers alimentant une réflexion pédagogique de haut niveau dont les thèmes se sont révélés être en phase avec les besoins d’approfondissement théorique et didactique des collègues comme avec l’actualité dont témoigne ce numéro consacré à l’environnement et aux langues vivantes ; celui-ci paraît à la fin d’une année riche en évènements parfois dramatiques et en débats relevant de choix politiques dans de nombreux pays étrangers ainsi que dans l’hexagone, dans le domaine de l’environnement et de l’écologie. La rédaction en chef, le comité éditorial et le comité de lecture savent qu’ils peuvent compter sur mon entier soutien pour la poursuite de ce travail, tout en ne perdant pas de vue la nécessité vitale d’élargir l’assise du lectorat de la revue et donc aussi le nombre d’adhérents de l’association pour en assurer l’existence pérenne vers un nouveau centenaire, les deux entités ne pouvant être dissociées.

Parallèlement, les réformes scolaires et universitaires se succèdent à un rythme accéléré, elles déstabilisent les collègues sur le terrain, mettent en péril le remplacement d’enseignants partant à la retraite – suppressions de postes, diminutions du vivier des concours – et laissent de facto planer des menaces sur l’avenir de la diversification linguistique, surtout quand des mesures réductrices sont inspirées par des critères strictement financiers à court terme ou des préjugés véhiculés par des décideurs vivant majoritairement en vase clos ; ceux-ci n’ont au mieux qu’une expérience personnelle, très parcellaire, de la vie en contexte plurilingue avec usage de langues étrangères - anglais lingua franca, traduction simultanée lors de sommets ou colloques ponctuels - tout à fait différente du travail quotidien à tous les échelons d’une entreprise étrangère ou française travaillant sur les marchés internationaux. Or en période de crise, le déficit des compétences linguistiques des acteurs de terrain amenés à mener des négociations plus ardues et à concevoir des projets techniques internationaux de pointe ou des « joint-ventures » multinationales est très visible, au plan économique, au travers du déficit du commerce extérieur de notre pays. C’est justement dans ces circonstances que la dimension culturelle des langues-cultures montre toute son importance. La réforme du Baccalauréat doit nous mobiliser pour que les langues vivantes y conservent toute leur place, au niveau des programmes et des horaires dans les cursus du second cycle. Il est urgent de soutenir directement les collègues et les étudiants futurs collègues dans cette période difficile, d’entreprendre toutes les actions nécessaires en ce sens, en multipliant aussi les audiences et rencontres avec les responsables ministériels et décideurs régionaux, en étant présent sur les salons importants comme Éducatec et Expolangues, en menant des actions communes avec les autres associations de linguistes et de spécialistes ainsi qu’avec les organisations syndicales, en s’adressant aux médias et en organisant des débats dans le cadre de nos compétences. Le brillant débat sur la formation des maîtres organisé à Reims le 5 novembre 2011 lors de notre assemblée générale nous encourage, par exemple, à renouveler ce type de manifestation.