Les nouvelles modalités de recrutement des professeurs des écoles : que signifie l’absence des langues étrangères ? Analyse de l’APLV

vendredi 17 mai 2013

Dans l’arrêté du 19 avril 2013 qui définit les nouvelles épreuves du concours de recrutement des professeurs des écoles (JORF n°0099 du 27 avril 2013), on remarque que les langues étrangères ne figurent pas sur la liste des « domaine[s] d’enseignement relevant des missions ou des programmes de l’école élémentaire ou de l’école maternelle » pour la première épreuve orale d’admission du nouveau concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) dite de « mise en situation professionnelle ».

Comment comprendre cette disparition de la langue vivante étrangère dans la présentation des missions de l’école quand, dans les programmes du primaire actuellement en vigueur, l’enseignement d’une langue étrangère est obligatoire à partir du CE1 et fait suite à une première sensibilisation à l’oral en CP ?

Si l’on observe les évolutions successives de ce concours sur ces vingt dernières années, on peut constater que cette disparition a été progressive et que l’arrêté du 19 avril est l’acte ultime du processus :
- de 1991 à 2002 toutes les disciplines à l’oral d’admission au CRPE ont un volet « scientifique » et un volet « didactique ». C’est donc le cas pour l’« Option 2 langue » ;
- mais à partir de la session 2003, outre le passage à l’utilisation d’un support audio ou vidéo pour la partie de l’épreuve « scientifique » (= expression orale dans la langue étrangère), qui représente alors un choc pour les candidats qui n’y étaient pas préparés par leurs études scolaires ou universitaires, le barème est modifié au détriment du volet « didactique » ;
- à partir de la session 2005 (arrêté du 10-5-2005 publié au JO du 14-5-2005), l’épreuve de langue, option jusque-là, est rendue obligatoire pour tous les candidats. Exit alors de fait l’« habilitation » en langue étrangère que nombre d’IUFM continuaient de proposer aux lauréats lors de leur année de stage. Mais, surtout, disparition du volet « didactique » pour les langues étrangères, seule discipline concernée. Malgré les protestations des enseignants en IUFM et des associations professionnelles, l’arrêté ne sera pas modifié. Dans le même temps, le coefficient de l’épreuve passe de 2 en 2003 à 1. C’est ainsi que nombre de candidats sont lauréats du CRPE avec une note très faible en langue, alors même que seule leur performance orale a été évaluée au terme d’une épreuve qui s’apparente désormais à celle du baccalauréat des années 70.

Ces décisions successives non seulement déstabilisent les candidats au CRPE, mais elles mettent aussi en difficulté les professeurs stagiaires, qui sont nombreux à déclarer être très angoissés à l’idée de devoir enseigner une langue, voire à chercher des moyens de l’éviter, ce qui ne contribue pas à augmenter leur motivation pour se former à la didactique et à la pédagogie des langues étrangères pour jeunes apprenants.
Dans le même temps, l’État déclare que désormais tous les professeurs des écoles pourront être amenés à enseigner une langue – simplement « parce que c’est obligatoire au concours de recrutement ». Mais personne n’est dupe très longtemps. Même le grand public comprend qu’on on ne peut amuser les enfants pendant plusieurs années avec juste quelques jeux de bingo et quelques chansons chantées en chœur avant la sortie en récréation, pas plus qu’on ne peut noyer les élèves dans un flot de langue complexe et/ou faire un cours de collège en CM1 – c’est ce que font fréquemment les enseignants débutants les plus à l’aise en langue étrangère.

La « mastérisation » (2010) a consacré la disparition de toute épreuve de langue au concours, la remplaçant par l’exigence du CLES 2 (Certificat de Compétences en Langues de l’Enseignement Supérieur) pour la stagiairisation, soit d’une certification de niveau B2. Cela a eu pour conséquence la tentation en de nombreux endroits de ne pas mettre de langue dans les maquettes de masters conduisant au professorat des écoles. Or, d’une part les futurs professeurs des écoles doivent continuer de pratiquer une langue étrangère, déjà en raison de l’obligation inscrite dans l’arrêté de 2002 relatifs aux masters (art. 6), mais en sortant des thèmes de société pour la redécouvrir dans des situations professionnelles en lien avec le futur métier, d’autre part il doivent apprendre à l’enseigner, surtout quand le public est jeune.
Conformément à l’arrêté de 2002, la « nouvelle mastérisation » (rentrée 2013) exige une unité d’enseignement (UE) langue étrangère dans tous les masters MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). Mais c’est une façon de renoncer à l’exigence du niveau B2 qui aurait été garanti par l’obtention du CLES 2, puisque les résultats des étudiants dans ces cours de langue ne seront pas homologués.
Quant à la récente « Note à l’intention des porteurs de projet "ESPE" et des responsables des masters MEEF » (datée du 9 mai 2013, envoyée par le MESR), elle ne fait que confirmer l’absence de toute exigence de compétences pour enseigner les langues en deux endroits de sa rubrique
« Sur les parcours types de formation ». Voici le premier extrait :

« Pour prendre en compte la diversité des parcours antérieurs, il convient de garantir aux étudiants en fin du cursus de master, l’acquisition des compétences nécessaires à l’exercice du métier de professeur des écoles dans l’ensemble des disciplines : mathématiques, français, sciences, sciences sociales et art. » (p. 3, alinéa « 1− Le master MEEF "Premier degré" »)

Ainsi, selon ce premier extrait, les langues(-cultures) étrangères n’existent pas comme discipline à l’école. Les candidats pourront-ils la choisir lors de leur inscription au concours comme discipline support de leur dossier pour la première épreuve orale d’admission ? Rien n’est moins sûr.
Le second extrait insiste, lui, comme les versions 2003 puis 2005 des textes régissant le CRPE, sur la seule maîtrise personnelle d’une langue étrangère, jusqu’à en faire même un obstacle à l’obtention du diplôme de master :

« Les compétences liées à la maîtrise d’une langue étrangère, qui s’acquièrent tout au long du master, devront être validées par des crédits non compensables. »
(p. 4-5, alinéa « 5− Sur l’ensemble des mentions et parcours »)

L’absence de référence à tout niveau du CECRL dans cette note ministérielle a de quoi faire réfléchir quand on se souvient qu’en 2009, au moment de l’élaboration des textes régissant la première « mastérisation » et les « nouveaux concours », et à nouveau récemment, il a été question de B2, puis de C1, puis à nouveau de B2. Qu’en sera-t-il réellement ?
Cette exigence de crédits non compensables pourrait avoir pour conséquence qu’un étudiant n’obtienne pas son master « PE » à cause de la langue étrangère. Or on sait que, depuis le début des années 90 (mise en place d’une épreuve de langue au CRPE), environ 4/5 des étudiants futurs PE sont de niveau A2 ou B1 (et plus largement A2 que B1), notamment en expression orale. On devine alors que l’obtention d’une UE de langue ne garantira pas le niveau B2. On n’imagine pas, en effet, des lauréats du CRPE 2014 et suivants devoir s’inscrire une troisième fois en master, juste pour obtenir enfin cette UE, et voir ainsi, en pleine crise de recrutement, leur titularisation reportée d’une année, ce qui représenterait des postes non pourvus sur le terrain. Ainsi il semblerait que certains pensent déjà à organiser cette UE en « groupes de niveaux », et à caler l’évaluation sur ces « niveaux ». Un maximum d’étudiants pourraient donc valider quand même cette UE.

À l’heure où nous écrivons, tous les textes de cette « réforme de la réforme de la formation des enseignants » ne sont pas encore finalisés, et nous en sommes réduits aux hypothèses. Retenir le niveau C1 serait totalement irréaliste, retenir le niveau B2 le serait moins, mais pour que des étudiants qui entrent en master avec un niveau A2, parfois B1, parviennent à atteindre un niveau B2, il faudrait bien plus d’une vingtaine d’heures de cours. Tel est en effet le volume horaire qui sera sans doute consacré à l’UE de langue étrangère, dans l’enveloppe globale limitée des heures à dispenser annuellement en master. Il est aussi possible qu’aucune référence ne soit finalement faite à un niveau précis du CECRL. Plus rien ne s’opposerait alors à ce qu’un maximum d’étudiants valident une UE langue qui ne dirait rien des capacités en langue étrangère des futurs professeurs des écoles. En outre, le risque est grand qu’aucun volume horaire ne soit consacré dans ces nouveaux masters à apprendre à enseigner une langue-culture étrangère aux jeunes élèves, puisque cette discipline n’est pas mentionnée dans les nouvelles modalités du concours.

Quelles hypothèses avancer pour expliquer cet arrêté du 19 avril dernier ?
- soit les concepteurs et/ou rédacteurs des nouvelles épreuves du CRPE ont oublié que les langues sont dans les programmes de primaire, parce qu’elles n’y sont que depuis 2002 (seulement depuis 2002 !) et ne représentent qu’un volume horaire de 54 heures depuis le CP (BO hors série n° 3 du 19 juin 2008, p. 7). Pourtant, des disciplines plus récentes et représentant un plus faible volume horaire n’ont pas été oubliées ;
- soit a prévalu la conception selon laquelle il faut et il suffit de parler couramment une langue pour être capable de l’enseigner, conception hélas très vivace et qui a la vie très dure. On reviendrait alors plusieurs décennies en arrière, à une époque où l’on pensait qu’il suffisait de dominer une matière pour savoir l’enseigner. Cela serait pour le moins paradoxal quand on sait que la « pédagogie universitaire » est un objet émergent de recherches, et que des formateurs IUFM sont déjà sollicités pour intervenir en formation pédagogique des enseignants universitaires.

Si tous les textes et projets de textes qui affluent actuellement dans le cadre de cette « réforme de la formation des enseignants » ont le mérite d’être cohérents dans leurs énoncés successifs, ils ont comme point commun – et c’est grave – l’oubli, voire l’ignorance de la nécessité d’une formation épistémologique, didactique, et pédagogique, à la conduite des apprentissages, quels que soient l’âge des apprenants et la discipline.

Pour l’APLV
Jeanny Prat
Université Claude Bernard Lyon 1
IUFM de l’Académie de Lyon

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