Lettre ouverte de l’APLV au Ministre sur la réforme du lycée et du bac

mercredi 28 février 2018

Paris, le 18 février 2018

Monsieur le Ministre,

L’APLV se permet de vous écrire aujourd’hui pour vous faire part de son incompréhension par rapport au rôle laissé aux langues vivantes étrangères et régionales (LVER) dans la réforme du lycée et du baccalauréat que vous avez présentée le 14 février.

Le président de la République a clairement fait part de l’importance que les LVER ont à ses yeux. Vous-même nous avez assuré, lors de l’entretien que vous nous avez accordé le 15 septembre 2017, de votre conviction de l’importance des LVER pour les jeunes Français. Et la réforme du lycée semble avoir oublié ces discours positifs et volontaristes pour diminuer encore davantage l’importance des LVER dans le lycée français. Nous ne comprenons pas vos choix.

L’APLV a été consultée à deux reprises pendant la phase d’élaboration de la réforme. Elle a d’abord été reçue par la commission Mathiot le 29 novembre 2017. Le rapport publié le 24 janvier 2018 par la commission ne nous satisfaisait pas, pour quatre raisons majeures :
1. l’évaluation numérique des épreuves orales ;
2. l’ambiguïté de l’intitulé « Langues et littératures étrangères » ;
3. l’absence de parcours dévolus aux langues en dehors de cette spécialité ;
4. l’absence de référence aux langues régionales.
Nous avons expliqué nos griefs au directeur de la DGESCO, qui nous a reçus le 7 février.

Le nouveau lycée et le nouveau baccalauréat, que vous avez présentés le 14 février, tiennent compte de notre objection sur les modalités des épreuves orales du baccalauréat. L’APLV avait clairement expliqué au directeur de la DGESCO qu’il n’y avait aucun sens à évaluer un enseignement actionnel des langues vivantes étrangères et régionales (LVER), c’est-à-dire fondé sur des activités de communication aussi authentiques et en tout cas naturelles que puisse le permettre un contexte scolaire, par des épreuves numériques, qui ne pouvaient évaluer qu’une compétence linguistique ou une prise de parole en continu décontextualisées. Dans la réforme, vous renoncez à cette proposition de la commission Mathiot et maintenez les épreuves orales « selon les dispositions actuelles ». Même si celles-ci ne sont pas parfaites et si nous avons suggéré une modification de la durée de la partie restitution de l’épreuve actuelle de compréhension orale, nous nous félicitons d’avoir été entendus.

Cependant, l’APLV ne l’a pas été sur les autres points, fondamentaux, qu’elle a développés.

En premier lieu, la réforme place deux langues vivantes dans le socle de culture commune à raison de 4.30 globalisées en 1re et 4.00 en terminale, soit le maintien de l’horaire actuel, très insuffisant. L’APLV ne peut accepter que la détérioration des conditions de travail des élèves et des professeurs non seulement se poursuive, mais s’accentue, en donnant à l’enseignement des LVER des horaires insuffisants pour permettre des progrès substantiels aux lycéens qui n’ont pas la chance et/ou les moyens de pouvoir faire des séjours linguistiques.

La réduction de l’horaire d’enseignement par le ministre Claude Allègre, sur laquelle aucun de ses successeurs n’est revenu, et l’augmentation de la taille des classes ont rendu le travail des élèves et des professeurs de LVER souvent très difficile. Sauf lorsque les chefs d’établissement et les conseils d’administration ont favorisé en particulier l’enseignement des LVER, les classes de second cycle ont des effectifs pléthoriques allant jusqu’à 35 élèves, au moins en anglais et en espagnol. En classe de terminale, préparer des élèves à quatre épreuves de baccalauréat à raison de deux heures hebdomadaires dans des classes de 35 élèves relève d’une gageure. Se plaindre que les jeunes Français ne communiquent pas bien en LVER et leur offrir de telles conditions de travail montre un manque de de cohérence de la part du ministère de l’Education Nationale.

Par ailleurs, dans la réforme annoncée, les LVER n’apparaissent parmi les disciplines de spécialité que dans un seul cas, « Langues et littératures étrangères ». L’APLV avait demandé à la commission Mathiot et à la DGESCO la mise en place d’autres spécialités autour des LVER susceptibles d’intéresser les élèves non littéraires. Nous n’avons pas été entendus. Les conséquences du choix que vous avez fait seront très graves pour l’enseignement des LVER, puisque, dans le futur lycée, très peu de lycéens feront le choix de la spécialité « Langues et littératures étrangères » et que la plupart seront donc limités à l’horaire du socle de culture commune.

Pourquoi peut-on penser que le choix de la spécialité « Langues et littératures étrangères » sera très minoritaire ? D’abord, parce que, dans le lycée d’aujourd’hui, de très nombreux élèves pas vraiment scientifiques font le choix de la série S parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise en cours de lettres et n’ont pas d’appétence pour la littérature. Ceux-là risquent d’être rebutés par le couplage des langues et de la littérature, surtout si l’enseignement de littérature étrangère est dispensé, comme nous l’a laissé entendre le directeur de la DGESCO, par des professeurs de lettres. La deuxième raison est que les lycéens devront choisir 3 spécialités en 1re, puis 2 seulement en terminale, et que, vu l’absence des disciplines scientifiques et des SES dans le socle de culture commune, les élèves qui choisiront la spécialité « Langues et littératures étrangères » en 1re l’abandonneront en masse en terminale, pour conserver pour leurs épreuves finales du baccalauréat et pour l’enseignement supérieur des disciplines plus en rapport avec la ou les dominante(s) de leur parcours.

Cela signifie donc que les élèves se destinant à des études de sciences humaines, économie et sciences recevront encore moins d’heures de cours de LVER qu’aujourd’hui.

Cette situation est, pour l’APLV, totalement inacceptable, d’autant plus, et nous l’avons clairement répété à la commission Mathiot et au directeur de la DGESCO, que le pays a besoin de commerciaux et d’ingénieurs capables de pratiquer les LVER à un très haut niveau. Nous renouvelons donc notre demande de création de spécialités « économie et langues » et « sciences et langues », en plus de la spécialité « langues et littératures étrangères ».

Le souci de l’APLV est de donner au pays un enseignement de LVER efficace dans son propre intérêt et dans celui des générations futures. Les professeurs de LVER ne comprendraient pas que la réforme du lycée et du baccalauréat rende leur tâche plus difficile encore et moins créative que la situation actuelle. Elle vous demande de bien vouloir amender deux des éléments de la réforme que vous avez annoncée le 14 février, en augmentant de manière sensible l’horaire dévolu aux langues vivantes dans le socle de culture commune, et en annonçant la création d’autres spécialités, comme « économie et langues » et « sciences et langues ».

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de nos sentiments respectueusement dévoués.

Françoise Du, présidente de l’APLV