La note de la présidente 3/2020, par Françoise Du

dimanche 18 avril 2021
 Françoise DU, Jean-Marc DELAGNEAU

Je vous présente dans ce numéro de janvier 2021 un résumé du compte rendu de l’enquête lancée par le CA de l’APLV sur l’enseignement des langues vivantes étrangères et régionales au collège et au lycée suite aux réformes de 2016 et 2019.
L’association a été reçue par différentes commissions de travail, a rencontré plusieurs fois la DGESCO, le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) et des conseillers du ministre, personnes ou instances qui développent un discours positif, voire enthousiaste, sur les conséquences des réformes, et balaient quelquefois les objections de l’APLV comme autant de discours conservateurs et passéistes. Pour pouvoir argumenter plus efficacement face à ses interlocuteurs au ministère, l’APLV a souhaité disposer d’un état des lieux de l’enseignement des langues au collège et au lycée aujourd’hui,
L’APLV a reçu près de 1000 réponses au total, dont, après vérification de l’identité des répondants et élimination des doublons, 878 sont exploitables. Ce sont ces 878 témoignages qui constituent l’échantillon sur lequel l’association a travaillé pour élaborer son analyse. Le nombre de réponses reçues est un indicateur important du sentiment d’isolement et de malaise qui prévaut parmi beaucoup de professeurs de langue.
La réforme du collège de 2016 n’avoir amélioré en rien la situation dans les classes, puisque 60,5% des collègues considèrent que le niveau des élèves en fin de 3e a régressé. Les collègues témoignent de l’extrême difficulté à gérer une situation qui combine horaire insuffisant, effectifs en hausse, flou institutionnel sur les attendus et public hétérogène et/ou rétif à accepter les règles et exigences de l’école et de ses enseignants. En fait, les professeurs se trouvent obligés, par un empilement d’inadaptations ou de difficultés comportementales, à la fois sociales et scolaires, des élèves à entrer dans un premier cercle vicieux : la baisse du niveau et les conditions d’enseignement difficiles entraînent une baisse des exigences des professeurs et l’impossibilité d’amener tous les élèves à fonctionner avec efficacité. Un autre cercle vicieux est à l’œuvre dans l’organisation gestionnaire étroite mise en place par l’Education Nationale. Chaque élève dans chaque groupe et chaque heure de cours sont comptabilisés et que des normes drastiques créent et défont les groupes de langue sans égard pour les conditions de vie et de travail des élèves et des professeurs. On déplace ces derniers au gré des fluctuations des effectifs en leur imposant des compléments de service dans d’autres établissements quelquefois très éloignés, ou bien on fait appel à des contractuels ou vacataires dont la compétence pose parfois problème.
La réforme du lycée de 2019 est désastreuse. La volonté du ministère de tout changer en même temps, les enseignements, les programmes, l’examen, induit une charge de travail considérable pour les professeurs, qui, dans leur immense majorité (de 76 à 80% selon les questions), déclarent qu’ils ont été insuffisamment, mal ou jamais informés ou formés à la nouvelle organisation du lycée et du baccalauréat. L’année scolaire a commencé alors que les sujets zéro n’étaient pas disponibles, pas plus que les banques de sujets permettant de préparer les séquences. Tout le corpus des manuels scolaires a été manifestement créé à la hâte, et un simple coup d’œil permet de remarquer à quel point tous les manuels se ressemblent.
Les professeurs des langues autres que l’anglais et l’espagnol se trouvent de plus en plus dans des situations précaires, qui leur imposent des services partagés sur plusieurs établissements, des postes instables, le risque de voir leur discipline disparaître, D’une manière générale, les professeurs se trouvent face à une situation décrite comme anxiogène, déprimante, démotivante, stressante, et le terme de « burn out » revient dans plusieurs des commentaires des collègues.
Un nombre important des réponses reçues porte sur des aspects quantitatifs au demeurant assez classiques, tels que les effectifs des classes, les horaires, les moyens matériels, une formation continue qui soit à la hauteur des enjeux, les traitements et salaires. Mais les aspects qualitatifs sont aussi très présents. On demande au ministère d’avoir de la considération pour les enseignants et le travail qu’ils accomplissent au quotidien. On demande aussi de la cohérence dans la politique éducative On demande de la confiance envers les enseignants, qui se revendiquent parfaitement capables de choisir des thèmes de travail en fonction des besoins réels des classes. On demande que soit reconnue la compétence professionnelle, que soit garantie la liberté pédagogique, que cesse la pression exercée par la hiérarchie.
Apprendre une langue vivante ne peut se faire que dans le cadre d’une exposition intensive à la langue et d’activités centrées sur la communication d’idées, de réflexions, de sentiments, dans la langue. Cela signifie que 2h00 ou 2h30 de cours hebdomadaires en groupes de 30 à 40 élèves (l‘enquête montre que de nombreux groupes atteignent cette taille) ne peuvent avoir d’efficacité pour l’apprentissage, d’autant plus pour des élèves en difficulté. Le rapport Manès-Taylor de septembre 2018 sur l’amélioration de la maîtrise des langues vivantes étrangères par les jeunes Français se penchait sur la contradiction entre le dynamisme des cours de LVER « parmi les plus innovants » (p.19) et le fait que le pays « arrive bien au dernier rang des pays européens quant à la maîtrise des langues étrangères » (p.3) et maintient de fortes inégalités liées à l’origine sociale et au genre. Les auteurs du rapport apportaient deux éclairages fondamentaux :
« Les effectifs en France sont parmi les plus élevés d’Europe. […] L’Estonie a des groupes classes de 15 à 16 élèves, y compris en langues […]. Les responsables avec qui nous avons échangé ont confirmé que c’est un des facteurs identifiés des très bons résultats scolaires de ce pays. » (p.39).
« La question des horaires de langues vivantes occupe une place centrale dans les préoccupations exprimées par les enseignants. […] Leur demande porte en priorité sur l’augmentation à trois heures dans le tronc commun, […] La présente mission n’est bien entendu pas opposée à une telle demande tout en étant consciente qu’elle emporte des conséquences budgétaires lourdes qui risquent d’en affaiblir la faisabilité » (p.52).
La mission Manès-Taylor savait que le ministère ne tiendrait pas compte de ses remarques sur les horaires. Au contraire, depuis septembre 2018, les DHG ont été réduites, le nombre de postes aux concours de recrutement de professeurs de LVER a continué à diminuer et les effectifs à augmenter. Il n’est pas étonnant que la colère et la grogne dominent dans les réponses des professeurs de LVER à l’enquête de l’APLV.
Ce constat peu optimiste et l’épidémie qui bouleverse nos habitudes n’a pas simplifié le travail des enseignants. Mais ce contexte complexe n’empêchera pas l’APLV de continuer à défendre les langues vivantes et régionales en 2021.
En ce début d’année civile il est encore temps de vous souhaiter une très bonne année 2021.