Contribution du lycée Jean-Marc Boivin de Chevigny Saint Sauveur, académie de Dijon, à la consultation nationale sur les projets de programme de langues vivantes de la classe de seconde

vendredi 5 mars 2010

Les professeurs de langues vivantes du lycée Jean-Marc BOIVIN nous ont envoyé ce texte qu’ils ont adopté à la majorité et qu’ils ont aussi adressé à leur hiérarchie et à l’IPR d’anglais.
Un forum est ouvert à la suite de ce texte pour permettre à d’autres équipes de langues vivantes ou collègues individuels de s’exprimer à ce sujet.


Ecrit par Isabelle CONVERS, professeure d’anglais, et adopté par l’équipe pédagogique de Langues vivantes du lycée Boivin de Chevigny (21), à l’unanimité moins une voix.

Madame, Monsieur,

Depuis 24 ans je suis professeur (certifiée, hors-classe) d’anglais en lycée, et je suis coordonnatrice de la section.
J’ai souhaité répondre à la consultation sur les Projets de programmes de Seconde, Langues Vivantes, en remplissant le formulaire en ligne, mais cela m’a été impossible, car ce que j’ai à dire ne tient pas dans les cases... Aussi ai-je choisi de rédiger ce courrier, qui s’articule autour de remarques critiques, puis de propositions.

En tout premier lieu, je dois dire que j’ai d’abord été très surprise de découvrir que les programmes ne présentent plus aucune distinction entre les langues vivantes, alors que jusqu’à présent, ils avaient toujours tenu compte des différentes spécificités de chacune.

J’ai ensuite présenté ce courrier aux 10 autres collègues de langues vivantes, à savoir allemand, anglais, espagnol et italien, de mon lycée. Neuf d’entre eux ont été entièrement d’accord avec moi, et co-signent ce texte, qui devient donc la réponse globale à la consultation sur les Projets de programmes de Seconde en Langues vivantes des professeurs du lycée Jean-Marc BOIVIN de CHEVIGNY SAINT SAUVEUR, académie de DIJON.

Remarques critiques :

1) Programmes intenables à moins de 3 h par semaine (en effet, 5 h 30 pour les deux langues vivantes, cela fait 2 h 45 par langue... ce qui est déjà difficile à organiser !), de plus à 35 élèves par classe, et avec suppression des modules... Cela rend impossible l’utilisation des salles informatique, l’apprentissage de l’utilisation des dictionnaires, le travail de l’oral en général, l’interaction orale de type débat, dialogue, etc.

2) Le « dialogue entre les professeurs » est annoncé comme « nécessaire »... Très bien, mais quelle forme va prendre cette concertation ? Sur quels horaires ? Rémunérée comment ?

3) Pourquoi mélanger LV1 et LV2 alors que les programmes continuent à faire une distinction de niveau (A2 - B1) ?

4) Comment intégrer le culturel, toujours vital et incontournable à notre avis, mais également d’après les programmes, si tout fonctionne par groupes de compétences ?

5) D’autre part, comment mettre ce système en accord avec le baccalauréat qui n’est absolument pas évalué de la même façon à ce jour ?
Et surtout, comment préparer les élèves au baccalauréat 2013, annoncé comme différent, si nous ne savons pas d’avance ce que sera ce nouveau baccalauréat ?

6) Les voyages scolaires, échanges, virtuels ou non, sont mis en avant. Or ils sont de plus en plus difficiles à mettre en place, ne sont pas rémunérés et entraînent un nombre croissant de difficultés logistiques, légales, etc. Les professeurs volontaires s’épuisent et en organisent de moins en moins... Préparer sérieusement un voyage scolaire, linguistique et culturel, entraîne facilement 200 heures de travail... Et cela, sans compter le voyage en lui-même ! Quid d’une reconnaissance et d’une rémunération à la hauteur de l’investissemement, et de réels moyens, humains et financiers, pour relancer le système ?
En outre, même lorsqu’ils sont mis en place par des professeurs volontaires, ces échanges ou/et voyages ne peuvent en aucun cas concerner tous les élèves. Ce ne sont jamais les plus défavorisés qui partent, et cela ne concerne qu’une minorité de lycéens de toutes façons : j’organise encore régulièrement (mais plus pour longtemps car en effet, je m’épuise !) des voyages, qui concernent entre 23 et 48 élèves selon les années et les styles de voyage (pour un classe ou pour un niveau). Sur le petit lycée où je travaille, cela laisse quand même plus de 80 % des élèves qui ne partent pas... Et ce serait le cas, même s’il y avait un voyage par langue et par année au lycée, ce qui ne s’est jamais produit !
De plus, malgré la « priorité nationale » donnée par le gouvernement à l’intégration des élèves handicapés à l’école, aucun moyen supplémentaire n’est apporté lorsqu’on essaie d’intégrer ces élèves dans les voyages scolaires : en mars 2001, j’ai organisé un voyage à Londres intégrant une lycéenne en fauteuil roulant. En mars 2004, un voyage en Écosse avec deux lycéens en fauteuils roulant. Et en décembre 2009, un voyage à Londres, à nouveau avec deux lycéennes en fauteuil roulant. A chaque fois, cela a signifié pour moi encore au moins une centaine d’heures supplémentaires de travail (non rémunérées, bien évidemment !) pour intégrer ces élèves, organiser différemment le voyage en prenant en compte l’accès aux transports utilisés, aux sites visités, aux logements sur place, trouver les moyens humains et financiers supplémentaires : l’A.V.S. habituelle de l’élève peut-elle accompagner ? Sinon, qui ? Qui prend en charge le coût du voyage pour ces A.V.S. ? A chaque fois, il faut se relancer à l’assaut des administrations qui se renvoient la balle sans fin car ce financement n’a jamais été prévu , de la SNCF qui fait la sourde oreille et tente de faire appliquer le tarif 1re Classe aux élèves en fauteuils et à leurs A.V.S. alors que c’est illégal, etc. D’autre part, dans ces cas-là le groupe ne voyage pas dans le même wagon que les élèves en fauteuil, ce qui pose encore d’autres problèmes de sécurité et de responsabilité...
Les mêmes questions se posent pour les échanges, réels ou virtuels, avec des établissements étrangers. En effet, je fais également un échange virtuel (courriels, lettres, vidéos, etc) avec un établissement américain, mais cela ne concerne que quinze élèves de ma classe de 1re L : classe à petit effectif, et à 3 h 30 de cours par semaine... échange impossible à mettre en place avec de plus gros effectifs, et moins d’heures de cours... donc cela laisse de côté ma centaine d’autres élèves cette année !

7) Les programmes parlent de baladodiffusion, d’internet, etc... Même s’ils sont maintenant une minorité, les élèves n’ayant toujours pas accès à internet chez eux sont encore nombreux, et ne doivent pas être laissés de côté. Comment allier ces programmes à la réalité quotidienne des lycéens moins favorisés ?

8) Pourquoi ne pas trouver une réelle solution pour que les professeurs puissent utiliser des films, vidéo, en classe légalement ? Nous sommes toujours hors la loi lorsque nous utilisons des DVD pour montrer et travailler sur un film...

9) Les programmes parlent d’autonomie des élèves, de lectures individuelles, etc... Nous savons bien que tout ce qui n’est pas obligatoire est très rarement fait par les élèves, qui ne prennent guère au sérieux le travail facultatif, ont de moins en moins le goût de l’effort, et accordent très peu d’importance aux matières à faible horaire hebdomadaire. Combien de fois entend-on "ah ben non, j’avais des maths à faire" (sous-entendu "c’est bien plus important") ? Croire qu’ils vont se mettre à lire en langue étrangère, alors qu’ils lisent de moins en moins en français, simplement parce qu’on le leur conseille, est totalement utopique et irréaliste. D’autre part, en moins de trois, puis deux heures par semaine, les professeurs n’ont pas le temps d’évaluer ce genre de travail, pour s’assurer qu’il a été fait...

10) Cette réforme, en diminuant encore le nombre d’heures d’enseignement par professeur, va entraîner une augmentation du nombre de classes, et donc d’élèves, toujours par professeur... J’ai cette année 6 classes, 116 élèves... C’est peu par rapport à mes autres collègues de langues vivantes, car j’ai les L, qui sont peu nombreux, en première et en Terminale, et j’ai aussi la spécialité de L (spécialité difficile : étude d’un livre en langue étrangère) en première et en terminale, qui sont de fait des petits groupes..
L’an prochain, avec les modules de seconde qui disparaissent, je pourrais avoir 8 classes, et 200 élèves ou plus, et ce avec la même rémunération... Comment bien les connaître, comment les accompagner au mieux ? Comment les faire progresser ? Comment ne pas s’épuiser, comment ne pas se dégoûter de son travail ? Un métier qui était avant tout pour moi une passion pour une langue vivante étrangère, une culture, une ouverture au monde, le contact avec les jeunes, et une envie de faire partager cette passion ? Comment ne pas être désabusé, comment garder de l’enthousiasme, comment croire encore en ce que nous faisons, dans ces conditions de plus en plus détestables ?
Quoi que nous fassions, depuis plusieurs années (bizarrement, depuis la diminution dramatique d’heures d’enseignement en langues vivantes !) nous constatons que la majorité des élèves sortent du lycée moins bons en langues que lorsqu’ils y sont entrés...
Et nous, professeurs de langues, travaillons de plus en plus, nous épuisons... pour ce piètre résultat ! A quoi bon ?!

Propositions :

1) Enseigner en petits groupes (15 élèves) sur tout l’horaire de langues vivantes, et pas seulement sur une heure... Petits groupes stables, qui connaissent leur professeur, et que leur professeur connaît. En effet, il est toujours difficile de s’exprimer en langue étrangère, surtout lorsqu’on est adolescent. Il y a donc tout un travail de mise en confiance, qui ne passe absolument pas par des groupes qui changeraient régulièrement dans l’année, et rendraient les adolescents encore plus muets que d’habitude. Donc pas de groupes de compétence (lourds à mettre en place pour les emplois du temps, lourds à gérer en temps et organisation, nécessitant des heures de concertation non rémunérées, des évaluations ralentissant les acquisitions, et pédagogiquement inaptes).

2) Un véritable horaire de 4 à 5 heures par semaine et par langue vivante. On entend partout que les français sont mauvais en langues, or on diminue de plus en plus l’horaire d’enseignement de ces langues, alors que des études on prouvé depuis des années qu’en deçà du seuil minimal de 3 heures par semaine, un élève régresse. A 3 heures par semaine, il stagne. Pour progresser, il faudrait donc 4 h minimum. Dans les pays où les gens sont « bons en langues », ils ont tous plus de 3 heures de cours par semaine tout au long de leur scolarité !

3) Une vraie politique de voyages scolaires afin d’assurer à tout élève français, au moins une fois dans sa scolarité, un voyage scolaire, culturel et linguistique, de 15 jours minimum, dans le pays de chaque langue vivante qu’il étudie. Peut-être avec des professeurs détachés qui se spécialiseraient dans l’organisation, ou/et l’accompagnement de ces voyages, ou/et des professeurs volontaires qui auraient une réelle décharge annuelle, etc... Et des moyens spécifiques pour l’accompagnement des enfants handicapés !

4) Plus d’assistants de langues étrangères par établissement, afin que tous les élèves puissent en bénéficier... Ce qui est loin d’être le cas actuellement !
Par exemple, dans mon petit lycée (environ 600 élèves) il y a un assistant d’anglais, et un d’espagnol, à plein temps, c’est à dire 12 heures par semaine. Quant à l’assistant d’allemand, il partage souvent son service avec deux autres établissements. Cette année, la jeune femme n’assure que 4 heures dans notre lycée. Et il n’y a pas d’assistant d’italien...
Impossible dans ces conditions (qui sont les mêmes partout) de faire profiter tous les élèves des assistants !

5) Nous, professeurs de langues vivantes, en avons assez d’être hors-la-loi dès que nous montrons un film en classe... nous aimerions une "exception éducation" qui nous permettrait d’utiliser légalement tout document vidéo, auditif, etc... même dans son intégralité, à des fins purement éducatives !

6) Avoir un partenariat avec la SNCF, Air France, ou autres compagnies pour permettre à tous les professeurs de langues vivantes d’avoir des tarifs réellement avantageux (voire la gratuité, comme les cheminots), afin de pouvoir retourner régulièrement dans le pays dont ils étudient la langue. En effet, tout le monde sait que la meilleure formation continue pour un linguiste, est le bain régulier. Or de nombreux collègues ne retournent que très rarement (voire jamais pour certains) dans le pays dont ils enseignent la langue, essentiellement pour des raisons financières. Un séjour tous les deux ou trois ans minimum permet de redonner du dynamisme, de se tenir au courant de l’évolution de la langue, d’améliorer son accent (ou de ne pas le perdre !), etc etc... Les professeurs des autres matières n’ont pas ce problème financier... Problème financier augmenté par le fait que tout prof de langue a dû faire une année de stage à l’étranger pour sa formation, ce qui lui perd également une année par rapport à l’entrée dans le monde du travail et la retraite par rapport aux professeurs des autres disciplines... Année scolaire qui n’est pas non plus prise en compte dans le niveau d’études reconnu... Mais ceci est un autre problème !

7) De plus en plus de films en V.O.à la télévision et au cinéma. Ici encore, des pays comme la Finlande, entre autres, (tellement citée en exemple pour l’éducation, mais absolument pas imitée par notre gouvernement hélas !) ont prouvé qu’en plongeant les gens dans un bain linguistique grâce à la V.O., (associée à un nombre important d’heures de cours !) on peut améliorer leur aisance à l’oral (compréhension et expression). Les moyens techniques actuels (T.N.T. Par exemple) permettent de laisser aux gens le choix de voir certains programmes en V.O. ou en V.F. sur des chaînes privées... pourquoi ne pas étendre ce système à tous les programmes, et à toutes les chaînes, même publiques ?
De la même façon, et pour les mêmes raisons, il faudrait privilégier le sous-titrage plutôt que le doublage dans toutes les émissions où quelqu’un s’exprime dans une langue étrangère, toujours dans le but d’améliorer le bain linguistique pour tous les Français.

8) Faire rajouter systématiquement, les sous-titrages en langue d’origine également, sur tous les DVD vendus sur le sol français. Par exemple, version allemande sous-titrée en allemand, anglaise sous-titrée en anglais, etc... Ici encore, cela laisse le choix au public de regarder le film en français, ou en version originale sous-titrée en français, mais cela donne la possibilité encore trop rare actuellement, de regarder le film (pas du premier coup, la deuxième fois par exemple, si l’on n’est pas très bon en langues au départ) avec langue et sous-titres écrits en version originale, et ceci fait énormément progresser... Et ce, quelle que soit la langue étudiée !

Certes, à part les points 7 et 8 qui ne coûteraient pas grand-chose au gouvernement, les autres propositions ont un coût financier non négligeable, en contradiction totale avec la réforme. Je pense qu’éducation, santé et justice sont primordiales pour un peuple, et devraient être les priorités absolues de tout gouvernement..

"Vous trouvez que l’éducation coûte cher ? Essayez l’ignorance !"


 
 
 
J’ai l’espoir que les heures que je viens de passer à répondre à la consultation sur les programmes pourraient être utiles à mon pays et à tous les futurs lycéens... et maintenant je retourne à mes copies !

 
 
Isabelle CONVERS
Professeur d’anglais certifié hors-classe
Professeur coordonnateur
Lycée Jean-Marc Boivin
CHEVIGNY ST SAUVEUR
Académie de Dijon


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