« La formation initiale des enseignants de langue : état des lieux et perspectives »

mercredi 9 novembre 2011

La journée d’étude organisée le 5 novembre 2011 par l’APLV à Reims a tenu toutes ses promesses, avec trois exposés d’une exceptionnelle qualité et des échanges très constructifs avec la salle, au cours desquels sont notamment intervenus de jeunes collègues stagiaires actuellement aux prises avec leurs premières classes, sans accompagnement formatif suffisant.

L’APLV tient à remercier les intervenants qui sont venus à l’Université de Reims pour y faire part de leur expertise : Claude Normand et Myriam Pereiro, enseignants-chercheurs en didactique des langues (espagnol et anglais), chargés du parcours Master Formation aux métiers de l’enseignement à l’Université et à l’IUFM de Nancy-Metz ; Gilles Baillat, enseignant-chercheur en Sciences de l’Éducation, directeur de l’IUFM de Reims-Champagne-Ardenne et président de la Conférence des Directeurs d’IUFM ; Jean-Louis Auduc, historien, ancien directeur des études à l’IUFM de Créteil/Université Paris Est Créteil, dont les recherches portent actuellement sur les processus d’apprentissage des élèves et la crise d’identité des jeunes adolescents.

Avec cette journée d’étude, l’APLV cherchait à faire tout d’abord le point sur l’existant, celui des masters « Métiers de l’Enseignement », et sur l’accompagnement formatif des lauréats de concours, fonctionnaires stagiaires. En second lieu, il s’agissait de déterminer quelles perspectives il fallait envisager pour améliorer cet existant.

Claude Normand et Myriam Pereiro ont présenté le parcours de master « Formation aux métiers de l’enseignement » dans lequel ils dispensent les cours de didactique des langues, dans un dispositif interlangue anglais-espagnol. Forts de leur expérience de formateurs d’IUFM et de chercheurs au laboratoire CRAPEL, ils construisent un lien aussi fort que possible de ce diplôme avec le terrain et les stages, notamment à travers l’écriture d’un mémoire de M2 explicitement adossé aux données de la recherche en éducation et en didactique, dont les objectifs ont dans l’ensemble été bien perçus par les étudiants, même si ces derniers ont parfois du mal à se situer par rapport à des contenus de formation auxquels leur cursus de licence ne les a pas préparés. Dans les différents enseignements de ce parcours, les deux enseignants-chercheurs s’efforcent de créer des zones de contact entre les contenus académiques et les contenus didactiques, tout en tâchant de mettre en cohérence ces enseignements avec les épreuves d’un concours qui ne valide pas encore assez les savoirs professionnels et qui s’intéresse encore trop aux « savoirs d’amont ». Quoi qu’il en soit, dans ce paysage que la politique ministérielle a beaucoup saccagé, Claude Normand et Myriam Pereiro construisent le cursus master sur un modèle intégratif en rupture avec le modèle successif qui prévalait avec les anciens CAPES. Pour l’heure, en attendant mieux, il s’agit de profiter de toutes les possibilités de mises en synergie des différentes composantes de la formation.

Gilles Baillat a introduit son propos en soulignant que les IUFM avaient souhaité une réforme de la formation initiale, mais pas celle que nous connaissons. Le système créé en 1990 avec la création des IUFM connaissait des limites, et il fallait aller vers plus d’universitarisation. La totalité des directeurs d’IUFM se sont prononcés pour l’intégration des instituts dans l’Université. Mais le modèle actuel d’intégration est erroné dans ses présupposés.
Dans le parcours master actuel, cinq obligations pèsent lourdement sur les étudiants : les exigences propres au master ; les exigences propres au concours ; les stages à finalité professionnalisante ; la formation à la recherche ; la préparation à une réorientation éventuelle. À ces 5 exigences s’ajoutent les 2 certifications CLES 2 et C2i2e. À l’heure actuelle, la surcharge de travail pour les étudiants est une évidence, et dans bien des cas, elle les contraint à des arbitrages.

Gilles Baillat a confirmé ce que l’APLV avait appris peu de jours avant : Le Ministère nuance très fortement sa volonté d’imposer le CLES 2 pour tous les étudiants non spécialistes en langues, en rappelant la possibilité pour beaucoup d’entre eux, en référence à l’article 6 de l’arrêté du 25 avril 2002 relatif au diplôme du master, de produire un simple relevé de notes en langue vivante qui pourra être retenu si ces notes ne sont pas compensées. Ce qui aura certainement des conséquences sur la qualification en langues des futurs professeurs des écoles. [1]

Parmi les questions vives que le dispositif actuel laisse sans réponse, figure celle du caractère national de la formation, qui s’est posée dès le début avec l’autonomie des universités. Par ailleurs, la tension entre diplôme et concours peut fortement fragiliser ce dernier : avec un diplôme de master, pourquoi faut-il un concours, disent déjà certains (notamment le rapport Grosperrin) ? Le dispositif actuel ne montre pas assez que l’enseignement est un véritable métier : Gilles Baillat a souligné que, sur ce point, il n’y a pas consensus à l’université, ni chez l’employeur non plus, ce qui hypothèque lourdement l’identification d’objectifs clairs de formation.

Enfin, pour Gilles Baillat la crise de recrutement, qui se confirme et s’amplifie dans un contexte de chômage, est un signe palpable de la nécessité de reprendre ce dossier au fond, notamment à l’approche des élections de 2012.

Jean-Louis Auduc s’est prononcé pour une refondation de la formation des enseignants. Il a lui aussi analysé la crise de recrutement, et souligné que les femmes commencent à délaisser les métiers de l’enseignement, car leur niveau moyen de formation s’est élevé à un point qui leur permet d’envisager désormais des carrières plus gratifiantes.
Il a pointé les difficultés d’exercice grandissantes, la montée du stress, une véritable crise de conscience chez les enseignants. Comme Gilles Baillat, commentant l’abandon du CLES, il a souligné qu’avec ce master, les professeurs des écoles n’ont aucune formation en langues, alors que les inspections d’académies vont considérer qu’ils ont la compétence requise. Il a insisté sur les oubliés de la mastérisation que sont les filières technologiques et professionnelles, alors que c’est grâce à ces filières que les « 80% de la classe d’âge au bac » sont désormais atteints.
L’enjeu fondamental pour Jean-Louis Auduc est que la formation permette d’adapter un enseignant au monde où il est, de le rendre capable d’y intervenir. Actuellement, il n’y a pas de réflexion sur les compétences nécessaires à construire, notamment dans trois directions :
l’enseignant est un passeur, qui doit être capable d’adapter ses connaissances à la diversité, capable d’enseigner à tous et à chacun ; il doit avoir une solide formation au diagnostic ;
l’enseignant est un concepteur : il prend des dizaines de décisions pendant sa séquence ; il doit être formé à et par l’analyse des pratiques ;
l’enseignant est un veilleur–aiguilleur, une « tour de contrôle », connaissant sa professionnalité pour pouvoir identifier les compétences de ses partenaires d’équipe au sein de l’établissement

Il doit savoir être constructeur de la responsabilisation de ses élèves, notamment au collège, où les enfants sont emmenés vers la majorité, dans une situation de disparition de tout rituel collectif.
Refonder le métier d’enseignant supposera donc de le sécuriser ; les enseignants ont de moins en moins le sentiment d’appartenir à un service public d’éducation ; ils manquent d’espaces collectifs communs (les élections professionnelles par vote électronique ont été de ce point de vue très significatives).

Enfin, pour Jean-Louis Auduc, refonder le métier d’enseignant suppose de réfléchir à la refondation de l’école.
Quelles conditions pour une école pour tous ? Quel contrat de la Nation avec ses enseignants ?

Gilles Baillat et Jean-Louis Auduc nous communiqueront très prochainement chacun un texte approfondissant ces questions, dont je ne rends compte ici que partiellement [2]. Qu’ils en soient ici d’avance remerciés. Quant à Claude Normand et Myriam Pereiro, ils travaillent à un article qui paraitra en 2012 dans Les Langues Modernes.

Pascal LENOIR

[1Voir le dernier texte paru sur le site du Ministère.
Voir également la prise de position de l’APLV sur ce point.