Pascal Lenoir, hispaniste, didacticien, Université d’Angers
Cette discussion passionnante me fournit l’occasion de livrer quelques réflexions sur la formation.
Je suis actuellement chargé de formation initiale en Master « Métiers de l’Enseignement et de la Formation », spécialité espagnol. Je prétends que la calamiteuse réforme dite de la « mastérisation » a paradoxalement ouvert de nouvelles perspectives en matière de formation initiale d’enseignants, en tout cas au sein des universités qui ont joué le jeu avec les IUFM et ouvert de vrais diplômes de Master, et non de simples « parcours » au sein de Masters existants, notamment en affirmant très haut l’adossement de cette formation à la recherche en éducation et en didactique.
L’enjeu est de former des enseignants réflexifs, capables d’évaluer constamment leur action et de rétroagir en conséquence. Sinon ? Sinon, ils ne tiendront pas le coup, tout simplement. Ça n’est pas une affaire de théoriciens d’un côté, et de praticiens de l’autre, et d’inspecteurs par-dessus tout ce beau monde. Il s’agit de relever un défi, et de le faire tous ensemble, depuis le point de vue de chacun.
Les membres des corps d’inspection ont la responsabilité d’évaluer les performances du système éducatif, ils ont à promouvoir les orientations définies par le gouvernement et le ministre en charge de l’EN.
Les chercheurs en éducation et en didactique se donnent pour mission de produire une recherche qui … fasse avancer la recherche ! Et qui fasse aussi œuvre utile, en sachant mettre en perspective les choix d’un pays en matière de politique éducative, d’un établissement scolaire dans l’accueil de son public, d’une municipalité en matière d’aménagement urbain ou rural, d’un enseignant en matière de contenus, d’évaluation, de pratiques, de théorisation, des parents d’élèves en ce qui concerne leur implication dans la scolarisation de leurs enfants… pour n’évoquer très rapidement que quelques-unes des directions que la recherche peut prendre.
Un enseignant, comme tout fonctionnaire, est censé concevoir son action en ayant à l’esprit les préconisations les plus récentes de son ministre de tutelle, l’actualité de sa discipline, mais aussi en gardant en vue la pérennité d’un certain nombre de missions de service public qui échappent à l’alternance politique.
Préconiser, du côté des corps d’inspection, modéliser tout l’héritage méthodologique et didactique disponible, du côté des chercheurs et des formateurs, savoir dans tout cela décider de manière opportune en ce qui concerne les enseignants, mettons en boucle ces trois points de vue,
préconiser – modéliser – faire des choix opportuns
… et nous obtenons, je crois, une complémentarité des tâches et des responsabilités de chaque corps impliqué dans la mission éducative qui incombe à ce pays.
Les débats auxquels donne lieu la réforme des épreuves de langues au baccalauréat sont un indice révélateur : on voit bien la concentration des différentes perspectives que j’évoquais plus haut : se croisent des conceptions de l’évaluation (celle de la compréhension écrite ou orale : quelle place pour la langue cible et pour la langue source ?), des conceptions de l’approche cognitive (que signifie « comprendre » un message audio ou écrit ?), des conceptions de l’enseignement-apprentissage (comment préparer les élèves à ces nouvelles pratiques évaluatives sans les « formater », par exemple ? Le fameux « bachotage »), des conceptions de la place des langues dans la formation d’un élève (quoi leur faire apprendre en langues à l’école pour quelles pratiques hors de l’école ?).
Ces questions, dont la liste n’est pas exhaustive, concernent tout le monde : enseignants, élèves, parents, chercheurs, responsables de l’administration scolaire, membres des corps d’inspection. L’important est que chacun ait la parole, pour la part qui lui revient dans la mise en place de cette nouvelle session d’examen. Les difficultés actuellement ressenties par les enseignants montrent que quelque part des données n’ont pas été prises en compte. Si les enseignants demandent qu’on leur fournisse des sujets zéro, ça n’est pas, me semble-t-il, pour être « commandés », mais par souci d’équité envers les élèves : c’est ce que j’ai constaté en lisant les messages de la liste de diffusion à laquelle je suis abonné. Et s’ils se découragent souvent d’une réforme à l’autre, c’est bien souvent parce que la précédente n’a fait l’objet d’aucune évaluation suffisante, ou en tout cas assez rendue publique.
Je suis pour ma part acquis à un modèle de formation initiale et continue qui permette aux enseignants d’avoir les moyens de prendre des décisions ajustées à leur contexte de travail. Ils sont les seuls à pouvoir le faire, parce que ce sont eux qui ont les élèves en charge. En revanche, il est du devoir des formateurs, des chercheurs et des évaluateurs que sont les membres des corps d’inspection de leur fournir un outillage et des informations qui leur permettent d’éclairer ces choix en toute responsabilité.
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