Appel à communications
Les problématiques de la spécialisation des langues en LEA : le cas de l’anglais et des autres langues
L’anglais de spécialité (ASP) et les formations LEA (Langues Étrangères Appliquées) ont partie liée depuis plusieurs décennies. En effet, de nombreux anglicistes de spécialité exercent en LEA, et les sections LEA sont aussi demandeuses de profils ASP que le secteur LANSAD. Pourtant, ces rapprochements professionnels tangibles ne se sont pas encore traduits par un dialogue de nature scientifique entre ces deux types de formation en langues étrangères, malgré de nombreuses tentatives et interrogations dans ce sens initiées par des collègues impliqué.e.s dans ces deux secteurs.
Le 41e colloque du GERAS se déroulera en 2020 à l’Université de Nantes, qui dispose d’une section LEA étoffée et dynamique ; son comité scientifique y voit une excellente occasion de relancer le questionnement sur les problématiques de la spécialisation des langues en LEA afin de doubler le rapprochement professionnel ASP-LEA d’un rapprochement sur les contenus linguistiques à enseigner et les méthodes pédagogiques à déployer.
Un point de questionnement majeur porte sur les relations entre l’anglais et les autres langues (souvent dites « langues B ») enseignées en LEA. La formation est bilingue, souvent avec l’anglais en langue A obligatoire et une sélection variable de langues B, qui va de quatre à douze selon les universités. Même si les colloques du GERAS se penchent sur des problématiques portant sur l’anglais, il est difficile d’imaginer une spécialisation graduelle de l’anglais en LEA qui en ignorerait les incidences sur les autres langues. Quand bien même l’ASP trouverait à s’intégrer dans des cursus LEA, profiterait-il de n’y figurer que comme la seule langue spécialisée des programmes ? Il semble bien que non et que l’ASP pourrait bénéficier pleinement d’une montée générale de la spécialisation linguistique dans ces cursus, perçue comme une dynamique fédératrice profitable aux LSP en général. D’une certaine façon, l’évolution rapide des LEA suggère que les perspectives monolinguistiques sont de moins en moins porteuses et qu’il y a même urgence à globaliser la réflexion. La démonstration en est fournie par le développement rapide et le succès croissant des programmes trilingues (qui incluent souvent de la traduction spécialisée), et l’émergence même d’options quadrilingues et multilingues. La logique interne de ces cursus exige qu’une éventuelle spécialisation linguistique ne puisse se limiter à une ou deux langues ; c’est l’ensemble de la formation en langues qui s’y trouverait engagée. À cet égard, le GERAS dispose d’une expérience déjà riche d’échanges et de concertations avec les hispanistes du GERES et les germanistes du GERALS. Elle pourrait être mise à profit pour relancer le projet de spécialisation des langues les plus fréquemment proposées en LEA : italien, portugais, arabe, russe… Des collègues enseignant ces langues pourraient contribuer à la réflexion générale selon des modalités que le comité d’organisation aura le soin de déterminer. Cet ensemble de questionnement s’ouvre évidemment aux approches contrastives entre langues et les propositions en linguistique contrastive sont également de nature à faire progresser la réflexion au sein de la communauté des linguistes.
Dans ce contexte, un autre questionnement concerne les divergences et les convergences scientifiques qui peuvent être identifiées dans la formulation « langue appliquée » et « langue spécialisée ». Apparemment, ASP et LEA ne tombent pas sous la coupe de la « contradiction » mise en évidence par Elisabeth Crosnier qui observe que l’univers professionnel et le contexte universitaire sont « deux mondes culturellement opposés » (2002 : 158–159). Tout au contraire, « spécialisation » et « application » en appellent toutes deux à un extérieur de la langue qui est de nature professionnalisante et/ou disciplinaire et elles semblent appartenir au même monde culturel « fonctionnel ». Quelles différences théoriques et pratiques les distinguent donc ? Quels éléments les opposent et/ou les placent en situation de complémentarité ? Dans cette perspective, des approches en linguistique appliquée/Applied Linguistics seraient bienvenues pour approfondir les réponses possibles.
On peut également s’interroger sur la place que peut jouer la spécialisation des langues en LEA. Parmi les multiples points d’accès à cette problématique, trois viennent à l’esprit. Le premier est porté par la tendance, généralisée aujourd’hui, à vectoriser les cursus de LEA de la pluridisciplinarité vers la spécialité. Autrement dit, à partir d’une base pluridisciplinaire de matières d’application au niveau licence, qui comprend généralement de l’économie, du droit et de la gestion, les formations poussent à des spécialisations professionnelles aussi multiples que variées au niveau master : marketing international ; logistique internationale ; commerce international ; gestion de projets humanitaires, culturels ou internationaux ; ingénierie en développement durable, en responsabilité sociale des entreprises, en commerce équitable, en documentation numérique ; restauration et tourisme ; économie du vin, œnologie, gastronomie… Ces spécialisations semblent difficiles à mettre en œuvre sans une spécialisation des compétences langagières correspondantes menée en parallèle. Comment procéder ? Quels sont les retours d’expérience en la matière ? Ces questions relancent le sujet récurrent de l’absence de relations entre langues et domaines d’application que E. Crosnier résume de façon lapidaire – « notion de “langue appliquée” peu mise en œuvre » – en commentant : « [a]vec cette formation générale, les étudiants ont parfait leurs connaissances de la langue sans réellement avoir accès à des domaines spécialisés en vue d’application » (2002 : 160). Cette vision est néanmoins battue en brèche par un certain nombre de formations LEA qui, depuis plusieurs années, ont précisément placé au cœur de leurs cursus l’enseignement des langues appliquées aux domaines propres à LEA.
Une façon d’aborder le problème pourrait être de se pencher sur les différents genres spécialisés qui peuvent être ouverts, hybrides, évolutifs, transversaux, hypergenres, etc. Le propos serait de sensibiliser les étudiants en LEA au fait que les genres sont le reflet de messages propres à une culture professionnelle et offrent le moyen de poursuivre des buts particuliers dans des situations particulières. Une approche des genres – notamment contrastive – pourrait sensibiliser les étudiants en LEA au spécialisé et aux outils qu’il génère pour servir ses finalités.
Le deuxième point d’accès est la traduction spécialisée qui figure dans de très nombreux cursus en LEA sous des formes diverses (traduction professionnelle, d’affaires, juridique, d’entreprise, scientifique et technique…). Elle interroge sur les rapports entre la langue et une spécialité et le degré optimal de spécialisation à proposer selon les formations (Crosnier 2002 : 161–162). L’occasion se présente d’examiner à quel point les langues de spécialité (LSP) conçues comme des ensembles complexes « langue-discours-culture » permettent de dépasser un niveau de granularité spécialisée limité au lexique ou à la terminologie.
Le troisième point d’accès est la civilisation qui fait généralement l’objet de modules généreusement dotés en heures dans les maquettes LEA. Gilles Leydier souligne que « le caractère pluridisciplinaire et la vocation professionnalisante à débouchés multiples » des LEA sont demandeurs de civilisation, mais que « les programmes de civilisation en LEA ressemblent souvent à des catalogues à la Prévert » (2004b : 136). En effet, peuvent s’y côtoyer des modules très généralistes souvent directement importés de LLCE et des modules à orientations plus professionnelles. L’auteur souligne par ailleurs la convergence entre les LSP et la civilisation puisque « les études autour de la langue de spécialité se conçoivent difficilement sans la prise en compte du contexte civilisationnel environnant » (2004a : 18–19). Dans cette perspective, Michel Van der Yeught examine dans quelles conditions la langue de spécialité peut se mettre au service de la civilisation en LEA : « Les domaines et les langues spécialisées […] peuvent être vecteurs de civilisation et forts pertinents pour son étude. » (2006 : 258). De multiples pontages se présentent donc en LEA entre civilisation et LSP selon des modalités qu’il convient encore de préciser.
Face à la nécessité de travailler la cohérence entre ces contenus linguistiques spécialisés et les compétences professionnelles à développer en LEA, la question des méthodes pédagogiques à mettre en œuvre est posée. Comme le souligne Marie-Françoise Narcy-Combes (2008 : 133), les étudiants en LEA doivent « être capable[s] de mener à bien un projet en équipe, savoir mener une recherche documentaire et en rendre compte dans une ou plusieurs langues, être capable[s] d’autonomie et savoir prendre des responsabilités. » Dans une perspective actionnelle, l’approche par les tâches, la pédagogie par projet et d’autres méthodes pédagogiques innovantes telles que les dispositifs hybrides contribuent à réduire la distance entre le contexte universitaire et l’univers professionnel.
Tout indique que les problématiques de la spécialisation des langues en LEA brassent un nombre considérable de sujets cruciaux pour le domaine de recherche de l’ASP : culture et civilisation (et donc diachronie et communautés spécialisées), traduction (et donc lexicologie, terminologie, analyse des discours et des genres, travail sur les corpus), didactique, dialogue avec les autres LSP et leur culture… Sur le vaste ensemble de ces problématiques et sur des sujets apparentés, les auteurs sont invités à soumettre leur proposition selon les modalités suivantes :
Langues : français ou anglais
Nombre de mots recommandé : 300
Date limite : 10 janvier 2020
Envoyer à : isabelle.richard[arob]univ-nantes.fr ; sophie.belan[arob]univ-nantes.fr
Références
Crosnier, Elizabeth. 2002. « De la contradiction dans la formation en anglais Langue Étrangère Appliquée (LEA) ». ASp 35-36, 157–166.
Leydier, Gilles. 2004a. « The Jack of all trades, the master of one ». Babel 9 « La civilisation : objet, enjeux, méthodes ». Toulon : Université du Sud Toulon-Var, 7–27.
Leydier, Gilles. 2004b. « Penser la civilisation contemporaine en LEA ». Babel 9 « La civilisation : objet, enjeux, méthodes ». Toulon : Université du Sud Toulon-Var, 133–148.
Narcy-Combes, Marie-Françoise. 2008. « L’anglais de spécialité en LEA : entre proximité et distance, un nouvel équilibre à construire », ASp 53-54, 129-140.
Van der Yeught, Michel. 2006. « La langue de spécialité au service de la civilisation en LEA : Wall Street and the Making of America ». In Leydier, Gilles (dir.), Babel 14 « Enjeux contemporains dans le monde anglophone ». Toulon : Université du Sud Toulon-Var, 251–260.