Conférence donnée le 7 mars 2007 à l’Assemblée Générale de la Régionale de l’APLV de Grenoble, par Claire Bourguignon, Maître de conférences HDR, IUFM de l’Académie de Rouen claire.bourguignon@rouen.iufm.fr
INTRODUCTION
Dans le même temps qu’un rapport de l’Inspection Générale souligne que « la médiocrité des performances françaises [en langues], inférieures à celles des autres pays, constitue un défi à relever » [1], le Cadre européen commun de référence invite les enseignants à « prendre en considération un choix d’options plus large ou à mettre en question les hypothèses traditionnelles sur lesquelles ils fonctionnent et qu’ils n’avaient pas examinées auparavant. » (CECR p. 21)
C’est face à la constatation de l’Inspection générale - qui ne date pas de janvier 2007 mais remonte à 1996 (date de la première étude conduite au niveau européen !) - que j’ai tenté de trouver une solution en tenant compte du potentiel que renferme le CECR, sans renier l’existant mais en le faisant évoluer. Il suffit de lire à cet égard les propos d’une stagiaire à la suite d’un stage PAF sur la perspective actionnelle que j’ai animé pour comprendre qu’il ne s’agit pas de rompre avec les pratiques actuelles mais de les faire évoluer : « Je ne savais pas ce qu’était la perspective actionnelle mais souhaitais élargir le champ de la communication ; finalement, c’est une prolongation de la communication dans une application concrète et dans un but précis que j’ai découverte. »
Voilà 10 ans que nous constatons que le niveau de nos élèves est médiocre, et aujourd’hui nous voudrions faire du Cadre un simple levier d’une approche, l’approche communicative autour d’un apprentissage centré sur les compétences, qui remonte elle aussi à environ 10 ans et qui, par conséquent, ne semble pas avoir donné les résultats escomptés. Qu’il s’agisse maintenant de travailler les compétences, aujourd’hui appelées « activités de communication langagières » en vue d’un objectif à faire atteindre, les niveaux de compétences ne changent pas grand-chose à la démarche. Ce n’est pas la définition d’un objectif à atteindre qui donnera du sens à l’apprentissage des langues tant que ce dernier reposera sur des textes qui n’intéressent pas nécessairement les élèves, voire pas du tout. N’oublions pas que si ces derniers sont intéressés par un thème, ils n’ont pas besoin des cours de langues pour trouver des informations correspondantes ! Par ailleurs, ce n’est pas la définition d’un objectif qui évitera le cloisonnement entre les activités de communication langagières, ce cloisonnement empêchant les élèves de comprendre réellement à quoi sert la langue, étape incontournable pour qu’ils aient envie de l’apprendre. Communiquer pour communiquer a-t-il d’ailleurs réellement un sens ?
Dans le même temps, le désintérêt des élèves pour l’apprentissage des langues entraîne le découragement des enseignants, comme en attestent les deux témoignages suivants :
« Cette formation est arrivée comme une bouffée d’oxygène. Une nouvelle piste à explorer quand on a l’impression d’avoir tout essayé et que rien ne marche ! »
« C’est exactement l’aide dont j’avais besoin pour décoder le CECR, mais aussi pour trouver des solutions nouvelles d’enseignement auprès d’un public terriblement démotivant..... vu les résultats faibles malgré mon investissement total. »
(Commentaires de deux stagiaires à la suite d’un stage PAF sur la perspective actionnelle et le scénario d’apprentissage-action)
C’est donc dans un souci de donner du sens à l’apprentissage, mais aussi pour aider les enseignants « frappés » par le découragement, que j’ai réfléchi aux orientations préconisées par le CECR pour déboucher sur ce que j’ai appelé l’ « approche communic’actionnelle » autour du « scénario d’apprentissage- action ».
Après avoir rappelé brièvement les aspects du CECR sur lesquels s’est appuyée ma réflexion, j’en viendrai à l’objet de cette conférence, le scénario d’apprentissage-action autour de trois points : le scénario, c’est QUOI, c’est POURQUOI et c’est COMMENT et je terminerai par l’évaluation, pièce maîtresse de la démarche qui conditionne sa pertinence.
I.Les fondamentaux du CECR
La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (CECR, p.15)
Ces quelques lignes du CECR, parfois mentionnées mais presque toujours survolées, renferment pourtant la clef pour une nouvelle approche didactique et par là même une nouvelle démarche d’enseignement/apprentissage des langues.
Pour transformer la perspective préconisée en démarche didactique, trois éléments sont à prendre en compte :
- 1. Il s’agit maintenant de s’adresser à l’ « apprenant-usager » d’une langue. Nous sommes invités à repenser la logique causale : « meilleur apprenant je serai, meilleur usager je ferai ». C’est à travers l’usage de la langue que se fait l’apprentissage ; ce n’est pas à l’usage à travers des tâches scolaires auquel le CECR nous invite à réfléchir mais à l’usage à travers des « tâches qui ne sont pas seulement langagières ». Ceci nous amène au deuxième point.
- 2. Demander aux apprenants-usagers d’une langue d’accomplir des « tâches qui ne sont pas seulement langagières » impose d’inscrire la tâche communicative, aujourd’hui considérée comme une finalité de l’apprentissage, dans l’accomplissement d’une action qu’il est nécessaire de mener à bien. Ainsi la communication est au service de l’action qui seule lui donne du sens, ce qui est explicité dans le troisième point.
- 3.« Si les actes de parole se réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification ». Ceci est un aspect fondamental de la perspective annoncée. Inscrire les actes de parole à l’intérieur d’actions nous invite à dépasser la théorie des actes de parole d’Austin d’un côté, théorie qui repose sur l’intention du locuteur, et la théorie de Hymes autour des situations de communication, de l’autre, deux théories qui ont en grande partie inspirée l’approche communicative. Si les actes de parole n’ont pleinement de sens qu’à l’intérieur d’actions, développer chez les apprenants des aptitudes à comprendre d’un côté et à produire d’un autre, aptitudes qui n’impliquent que le locuteur, n’a pas non plus de sens, à moins de penser que la somme de plusieurs aptitudes donne une aptitude globale, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le Cadre nous invite, par ailleurs, à dépasser un apprentissage de la langue qui serait basée uniquement sur l’intention du locuteur utilisée comme moyen d’action sur l’Autre, sachant qu’une intention ne débouche pas nécessairement sur la réussite d’une action. Tous les chercheurs qui travaillèrent sur l’atome envisageaient-ils qu’un jour la bombe atomique serait créée ?
Le Cadre, d’une certaine manière, met en garde contre une approche réductrice de la compétence langagière, qui peut être une façon pratique de la représenter, mais qui mérite réflexion au niveau pédagogique :
Le choix pour le Cadre d’une présentation taxonomique constitue à coup sûr une tentative pour traiter la grande complexité du langage humain en découpant la compétence langagière selon ses différentes composantes. Ceci nous renvoie à des problèmes psychologiques et pédagogiques d’importance. La communication met tout l’être humain en jeu. Les compétences isolées et découpées ci-après se combinent de manière complexe pour faire de chaque individu un être unique. En tant qu’acteur social, chaque individu établit des relations ave un nombre croissant de groupes sociaux qui se chevauchent et, qui, tous ensemble, définissent une identité. (CECR p. 9)
Les propos précédents soulignent également que, dans la perspective actionnelle, il ne s’agit plus d’ « agir sur » mais d’ « agir en accord avec ».
De ce fait, il ne s’agit plus seulement que l’apprenant développe une aptitude à produire des énoncés dans des situations de communication répertoriées, mais qu’il mette en relation la pertinence de ce qu’il dit avec l’objectif qu’il s’est fixé en accord avec l’Autre.
Prenons un exemple très simple. Votre frère vous demande de lui acheter un livre pour vous distraire pendant les vacances ; vous allez chez le libraire, vous lisez les quatrièmes de couverture d’un certain nombre d’ouvrages (vous aurez accompli une tâche communicative : « lire » ; votre intention de trouver un livre en sera à l’origine) mais pourtant vous achetez ......le CECR ! Je ne suis pas certaine que l’objectif à atteindre « se distraire » soit réellement atteint et que votre frère soit ravi !!
Ceci revient à dire qu’il ne s’agit pas de ne plus développer les aptitudes à communiquer de nos élèves dans l’absolu, mais il faut les développer au service d’actions.
Ces trois points repérés, il s’agissait de voir comment il était possible d’aller dans le sens des préconisations du Cadre sans perdre de vue que l’objectif d’un cours de langue, c’est que les élèves apprennent une langue.
C’est ainsi qu’est née l’idée du scénario d’apprentissage-action.
II. Le scénario d’apprentissage-action
II.1 Genèse : la définition du terme « action »
Au-delà des trois points précédemment soulevés, ma réflexion a porté sur le terme « action ». Ce terme et le chapelet terminologique qui en découle « acteur », « actif »,... n’est pas nouveau dans le contexte de l’enseignement/apprentissage des langues. Pour autant, jusqu’à présent, dans ce contexte, il se référait à des « actions » autour de tâches scolaires, c’est à dire rendre l’élève acteur de son apprentissage en lui proposant des tâches communicatives dans lesquelles il est impliqué ; par exemple, en écrivant une lettre ou en échangeant avec son voisin. Ces actions, bien qu’ayant toute leur place dans le cadre de l’apprentissage, sont réductrices de ce qu’il faut entendre par « action » tel que le définit le Cadre, c’est-à-dire « action sociale ».
Dans ce contexte, l’action se caractérise par l’ensemble des paramètres qu’il faut prendre en compte pour qu’elle réussisse, sachant que l’intention seule ne garantit pas la réussite de l’action.
Comme le suggère Edgar Morin,
Dans chaque situation, l’acteur fait l’expérience concrète d’un spectre de possibilités qui s’ouvrent à lui.....Certes les actions ne sont ni aléatoires ni imprévisibles mais elles ne sont soumises à aucune nécessité irrécusable.
L’action est une décision, un choix, mais c’est aussi un pari.... Or, dans la notion de pari il y a la conscience du risque et de l’incertitude. [2]
Impliquer les apprenants-usagers de langue dans une action revient à définir une situation d’apprentissage qui les amène analyser la situation dans laquelle ils vont devoir utiliser la langue pour en déduire les connaissances dont ils auront besoin plutôt que d’appliquer des connaissances dans des tâches proposées. Il s’agit de passer d’une logique d’optimisation des connaissances - « toujours plus » - à une logique d’adéquation - « toujours mieux » -, le mieux, n’excluant pas le plus bien évidemment. Il faut qu’à la fin d’une séquence d’apprentissage, l’apprenant soit amené à prendre une décision par rapport à un problème posé en utilisant la langue à la fois de manière correcte et pertinente
C’est cette démarche d’apprentissage que permet le scénario d’apprentissage-action.
Il ne faut pas le confondre avec des problèmes qui sont fabriqués en vue de tester la maîtrise de connaissances acquises et dont, de ce fait, la résolution ne donne lieu qu’à une réponse possible. Les propos suivants de C. Barbier expliquent très clairement la différence entre de telles résolutions de problèmes et ce que j’appelle le scénario d’apprentissage-action :
En effet, la réalité sur laquelle doit se fonder une décision dans la réalité, a de toutes autres caractéristiques. La solution n’est généralement pas unique et d’ailleurs pas non plus parfaite. Elle fait l’objet d’un certain nombre de compromis et conduit à une décision d’action dont les conséquences ne sont pas prévisibles exactement. Bien souvent des facteurs humains viennent interférer avec les décisions à prendre. Ces décisions ne sont en outre pas des fins en soi comme l’est le fait d’avoir pu résoudre un problème, mais plutôt le début d’un processus interactif qui conduit à une succession de décisions dépendant en permanence de l’appréciation qui peut être faite d’une situation donnée et évolutive.
On voit que cette description du déroulement d’un processus d’action est d’une grande complexité. Le savoir d’action lui-même ne peut donc être qu’intrinsèquement complexe. C’est là où peut apparaître une approche nouvelle [3].
Il ne faut pas non plus confondre le scénario d’apprentissage-action avec un scénario thématique qui, bien que motivant pour les élèves, se situe en général en aval de l’apprentissage dans un souci de transfert de connaissances comme en attestent de nombreux « case studies » à la fin des manuels d’anglais par exemple.
Ceci étant, chacun a sa place et son intérêt, l’un n’éclipse pas l’autre mais chacun répond à des objectifs différents qu’il est important de connaître pour faire le bon choix.
II.2 Le scénario d’apprentissage-action : c’est QUOI ?
Tenant compte des orientations du Cadre, j’ai défini le scénario d’apprentissage-action comme une simulation basée sur une série de tâches communicatives, toutes reliées les unes aux autres, visant l’accomplissement d’une mission plus ou moins complexe par rapport à un objectif. Cette série d’activités amène à la réalisation de la tâche finale.
Ainsi, le scénario se caractérise par une mission (que l’on peut appeler »projet » [4]) à laquelle l’apprenant-usager de la langue va être confronté et qui va servir de trame au processus d’apprentissage, tout en orientant les activités d’apprentissage proposées par l’enseignant.
La mission donne du sens à la tâche (« toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé » [5])
Cette mission se situe dans un « contexte donné » (« multitude des évènements et des paramètres de la situation propres à la personne mais aussi extérieurs à elle, dans laquelle s’inscrivent les actes de communication » [6])
Enfin, elle est reliée à un « domaine » (« grands secteurs de la vie sociale » [7]) qui permet de définir l’arrière-plan thématique et culturel du scénario.
Dans ce cadre, pour accomplir la tâche définie par la mission, l’apprenant-usager doit effectuer une succession de micro-tâches impliquant 5 activités de communication langagières, toutes reliées les unes aux autres dans l’ordre suivant :
- Activités de réception : lire et écouter (l’ordre de ces activités pouvant varier))
- Interaction orale (face à face ou au téléphone, medium de communication que les apprenants doivent apprendre à utiliser). Remarque : le développement d’internet peut amener à envisager également l’interaction écrite par le biais d’échange de mels.
- Activités de production : parler et écrire
La notion de « succession » est essentielle car elle fait disparaître la possibilité d’action « gratuite ». Chaque micro-tâche est imbriquée dans l’autre et au service de l’accomplissement de la mission. Il est évident que chacune des activités de communication langagières fera l’objet de tâches d’apprentissage à part entière mais toutes seront organisées autour du but à atteindre dans le cadre de la mission. De même, il n’est pas obligatoire, il est même quasiment impossible que dans le cadre d’une séquence chaque activité de communication fasse l’objet d’un travail approfondi, néanmoins, il est recommandé que chacune figure dans le déroulement de la mission et qu’en tous les cas les activités de réception conduisent aux activités de production. De fait, il ne peut y avoir de production sans recherche d’informations auparavant et c’est bien en organisant les informations qu’il a trouvées que l’apprenant-usager va pouvoir faire le choix que lui impose sa mission.
Dans son organisation, le scénario d’apprentissage-action est tout à fait semblable au scénario utilisé dans le Diplôme de Compétences en Langue [8]. Néanmoins, le scénario d’évaluation est un scénario unique pour tout public (relevant de niveaux allant de A2 à C1) ; c’est à travers le degré d’accomplissement de la tâche que sera évalué le niveau de compétence langagière. Dans le scénario d’apprentissage, l’objectif est tout à fait différent. Il s’agit de faire atteindre un niveau à travers les micro-tâches qu’il propose ; de ce fait, la construction d’un scénario d’apprentissage- action doit se faire en tenant compte du niveau de départ des apprenants et de celui vers lequel on veut les amener. On peut envisager qu’un scénario pour une classe de 5e se construira sur A1-A2 en terme de difficultés des textes et des activités de communication langagières, sachant que la production doit viser A2 ; un scénario pour une classe de 3e peut se construire sur A1-B1, etc.
II.3 Le scénario d’apprentissage-action : c’est POURQUOI
La réponse a été en partie donnée dans l’introduction. Il s’agit de donner du sens à l’apprentissage en remobilisant l’intérêt des élèves en les impliquant dans la résolution d’un problème qui fait naître le besoin de connaissances et donc le désir d’apprendre. Dans le même temps, il vise à supprimer le cloisonnement des apprentissages qui sont uniquement reliés par un thème (aujourd’hui, l’apprentissage de la langue se fait autour d’un thème) et ne suscite pas nécessairement l’intérêt.
Par ailleurs, ce type de progression autour d’une mission est tout à fait en accord avec la progression des apprenants-usagers vers un objectif tel que le préconise le Cadre. On mesurera l’atteinte de l’objectif (non langagier) fixé par la mission au niveau de compétence en production défini par les descripteurs du Cadre. En faisant progresser les apprenants-usagers dans la mission, l’enseignant cherche à les amener d’ un niveau de compétence de départ vers un niveau de compétence à atteindre. La construction des apprentissages se fait au fil de la mission et non pas par paliers autour de chaque activité proposée.
Enfin, le scénario est peut être une réponse à un problème très justement posé dans le rapport de l’Inspection générale :
La langue apprise en milieu scolaire est par définition objet d’enseignement puisqu’elle a le statut de discipline scolaire inscrite à l’emploi du temps des élèves. De ce fait, elle est abordée en tant que système qu’il faut acquérir, avec ses codes et ses règles, souvent au détriment de la fonction pragmatique qui est la raison première d’exister d’une langue. C’est sa double nature -objet d’étude et outil de communication- qui constitue un défi en milieu scolaire car les finalités sont inversées : alors qu’en milieu naturel l’usage de la langue a pour but de communiquer et d’agir, en milieu scolaire la pratique de la langue a pour visée l’apprentissage de la langue elle-même. D’où un retour, par effet de miroir, sur le système linguistique lui-même qui détourne l’usage de la langue de sa fonction première. Si l’on admet que c’est la finalité qui donne du sens à l’action, il y a sûrement là une part d’explication à la faible motivation des élèves pour l’apprentissage des langues en milieu institutionnel [9].
Pour autant, il ne faut pas confondre le scénario d’apprentissage-action avec simulations ou jeux de rôles qui permettent de « diversifier la gamme de situations de communication » [10] Le scénario n’est pas une activité parmi d’autres, ce n’est pas non plus un simple « support » comme le serait un texte, c’est réellement une démarche d’apprentissage. En effet, l’objectif n’est pas simplement d’intéresser les élèves mais bien qu’ils apprennent une langue dans toute sa richesse y compris culturelle.
Ceci m’amène au quatrième point de cette deuxième partie.
II.4 Le scénario d’apprentissage-action : c’est COMMENT ?
Il vient d’être clairement dit que la mise en œuvre d’un scénario d’aprentissage-action vise à développer et à construire l’apprentissage de la langue en lui donnant du sens.
1. La première chose qu’il faut donc garder à l’esprit, c’est que langue et culture sont indissociables et que nous devons éveiller les élèves aux différentes cultures (rappelons qu’il y a d’autres sortes de cultures que la « culture savante ») que véhiculent les langues auxquelles ils sont confrontés. Mais là encore, présenter la culture de « manière frontale » à travers un texte ou l’étude d’un thème a peu de chance de susciter l’intérêt de la majorité des élèves, d’autant plus que la représentation de la culture de l’enseignant est souvent en total décalage avec la représentation de la culture chez les élèves. A cet égard, les questions que se pose un stagiaire IUFM dans le cadre de son mémoire professionnel portant précisément sur « comment faire acquérir des connaissances culturelles en classe de langue », sont tout à fait éclairantes. Il dit la chose suivante : « J’éprouve des difficultés à trouver LE document qui réunira apport culturel et apport linguistique et/ou qui correspond au niveau de culture que je souhaite apporter à mes élèves. » [11] Dans le même temps, il déclare, « l’anglais reste pour beaucoup une langue ludique, la langue des séries TV américaines et/ou des chansons à la mode, et est presque exclusivement associée à telle ou telle « star » de la chanson ou (rarement) du grand écran », et de ce fait « le niveau de culture que je souhaite atteindre semble trop élevé ou presque « impossible à atteindre », pour les élèves ».
Le constat de ce stagiaire n’est pas un cas isolé. C’est la raison pour laquelle, plutôt que d’entrer « par la culture », je propose d’entrer « dans » la culture « par le scénario ».
De fait, la mission que doit accomplir l’apprenant-utilisateur est nécessairement contextualisée. Or le contexte de l’action est nécessairement lié à une thématique. Cette thématique est choisie en lien avec le programme culturel donné dans les Instructions Officielles. Ceci veut dire que pour accomplir sa mission, l’apprenant devra retenir les informations d’ordre culturel nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
2. Après avoir choisi une thématique, il faut rassembler un certain nombre de textes sur le thème, textes dont la lecture et les informations qu’ils contiennent amènent l’enseignant à définir une mission dans ses grandes lignes. Dans l’absolu, l’enseignant devrait d’abord concevoir la mission et ensuite rassembler des textes puisque les textes sont au service de la mission. Néanmoins, dans la réalité, il est extrêmement difficile de procéder ainsi. L’expérience prouve qu’en rassemblant des textes sur un thème, on voit se dessiner une mission relativement rapidement.
Une fois la mission définie, il faut choisir parmi les textes rassemblés ceux qui conviennent sur deux plans :
- les difficultés langagières qu’ils présentent ; il est nécessaire de toujours commencer par un texte (oral et/ou écrit) susceptible d’être compris par des petits niveaux en raison de l’hétérogénéité des classes.
- leur potentiel en matière d’informations puisque chacun doit être complémentaire au niveau des informations qu’ils proposent.
Il est important de rappeler que dans le cadre d’un scénario, le texte, écrit ou oral, est un pourvoyeur d’informations au service de la mission et que, de ce fait, l’entrée dans le texte se fait par la recherche d’informations.
3. Les textes étant sélectionnés et la mission définie dans ses grandes lignes, il faut définir le/les objectif(s) langagiers à atteindre. Sachant que la réalisation de la mission passe par la production, le type de production demandée devra correspondre à l’aptitude d’un élève du niveau visé. Dans ce cadre, les descripteurs du Cadre en matière de production sont d’une grande aide. Par ailleurs, les descripteurs n’étant que des énoncés, l’enseignant doit décliner ces descripteurs en critères et indicateurs de performance en termes linguistiques, pragmatiques et socio-linguistiques et comme le préconise le Cadre [12]. Les éléments linguistiques et pragmatiques définis devront faire l’objet d’un apprentissage au fur et à mesure que se déroule le scénario, apprentissage qui ne sera pas déconnecté pour les élèves du besoin qu’ils en ont pour accomplir la mission.
4. Il s’agit enfin de revenir aux activités de compréhension. Après avoir défini les informations que les élèves devront être amenés à trouver pour accomplir la mission, l’enseignant doit repérer les problèmes linguistiques susceptibles d’être une entrave à la recherche d’informations (à l’oral, à l’écrit et en interaction) et prévoir les activités à mettre en place pour pallier un manque de connaissances préjudiciable.
De ce fait, alors que dans la réalité les activités de compréhension laissent peu de place à un travail sur la langue mais sont plutôt source à un travail sur le fond, le scénario réhabilite l’apprentissage de la langue au service de la recherche d’informations.
Ainsi, le projet de l’enseignant ne sera pas seulement « une analyse approfondie sur le support de cours utilisé et la définition d’objectifs pour chaque cours de langue » [13]. En préparant un scénario d’apprentissage-action, ce n’est pas tant le support qui doit faire l’objet d’une analyse approfondie, que la mission qui est demandée, car c’est elle qui va guider de manière intégrée les tâches communicatives demandées aux élèves en relation avec les activités de communication langagière qui seront les unes après les autres au service de l’accomplissement de la tâche finale.
Cette démarche évite le cloisonnement des différentes séances car elle invite l’enseignant à concevoir sa séquence selon un processus et non plus autour d’un « produit » qu’il s’agisse d’une activité de communication langagière, d’un thème ou d’un élément langagier.
Ceci évitera par là même que l’élève ait l’impression de recommencer à zéro à chaque séance et, de ce fait, se démobilise.
Bien évidemment une telle démarche deviendrait caduque si l’évaluation se faisait selon une tout autre logique ; c’est la raison pour laquelle il est impossible de terminer cette présentation sans parler d’évaluation bien que ce ne soit pas directement le thème proposé.
III.Évaluer dans la perspective actionnelle
Avant toute chose, il s’agit de faire une mise au point sur le terme « évaluation ». Très souvent, il est utilisé (à la place de « contrôle » mais ceci n’est pas l’objet de cette présentation) dans le sens de l’activité proposée, à savoir « une évaluation » : donner comme « évaluation », un texte à écrire, un résumé à faire, ..... Or, ce n’est pas l’activité qui pose problème, c’est d’abord la « validité » de ce que l’on propose (est-ce que ce que je propose va réellement me permettre d’évaluer ce que je veux évaluer ?) et surtout la modalité d’évaluation. C’est sur cet aspect que je voudrais insister en relation avec la perspective actionnelle. Vous pouvez choisir de prendre un scénario pour évaluer vos élèves, si vous mettez une note en fonction d’une nombre de fautes de grammaire, le support retenu n’aura aucun intérêt.
Quels sont les points dont il faut tenir compte pour définir des modalités d’évaluation cohérentes [14] :
- 1. Dans la perspective actionnelle, deux dimensions doivent être prises en compte, la dimension pragmatique autour de la pertinence des informations retenues dans le cadre de la mission et du respect des éléments culturels et la dimension linguistique. De fait, une production peut être linguistiquement correcte et pragmatiquement non pertinente.
- 2. Il s’agit de mener les élèves d’un niveau vers un autre et donc l’évaluation sert à les positionner sur une échelle dont le point bas sera leur niveau de départ et le point haut le niveau à atteindre. Il faut donc créer des grilles d’évaluation qui prennent en compte le niveau bas et le niveau haut mais aussi un intermédiaire afin de positionner les élèves sur ce « curseur ». Puisqu’il est nécessaire de mettre une note, on peut imaginer de mettre des points pour chacun des niveaux, mais il ne saurait être question de « sanctionner » dans l’absolu quelqu’un qui n’a pas atteint le niveau visé. Les grilles ont tout autant d’intérêt pour l’évaluation formative (dans ce cas le nombre de critères retenus dépendra de l’avancement dans la séquence) que pour l’évaluation sommative pour laquelle tous les critères afférents aux différents éléments ayant fait l’objet d’un apprentissage seront présents. Il est conseillé de ne pas réduire les critères aux seuls points abordés pendant une séquence mais aussi d’inclure ceux abordés lors des séquences précédentes afin que l’élève n’ait pas l’impression de repartir à zéro à chaque séquence mais et qu’il ait une vision claire de sa progression (ou non progression).
Il n’ y a aucune raison qu’évaluations formative et sommative relèvent de démarches différentes. La seule différence, c’est que l’une se fait en cours d’apprentissage et l’autre en fin de « séquence » d’apprentissage ; une évaluation sommative ne doit pas être vue comme un aboutissement, mais comme une étape dans un apprentissage qui doit se faire tout au long de l’année. A cet égard, le Cadre, en tant qu’outil utilisable tout au long de la vie, de l’école primaire au supérieur et à la formation adulte, nous invite à éviter toute sorte de rupture. On pourrait d’ailleurs envisager que la même grille soit utilisée tout au long de l’année pour que l’élève ait une vision globale de sa progression sur un an et non au coup par coup. - 3. Ces grilles ne doivent pas seulement contenir des critères, mais aussi et surtout des « indicateurs de performance ». En effet, comment peut-on évaluer « grammaire correcte » sans indicateurs qui spécifient précisément ce que l’on entend par « grammaire correcte ». Ne pas définir d’indicateurs, c’est d’une certaine manière pervertir l’évaluation qualitative qui, de ce fait, devient subjective, et ne peut plus servir de repère objectif commun à tous.
- 4. Cela signifie que la construction d’une grille d’évaluation se fait en trois étapes :
- partir d’une échelle de descripteurs et d’un niveau cible
- définir des critères
- définir des indicateurs de performance en fonction du niveau ciblé et en lien avec des contenus linguistiques, pragmatiques et sociolinguistiques ayant fait l’objet de l’apprentissage.
CONCLUSION
Le scénario d’apprentissage-action et l’approche communic’actionnelle, émergences des orientations données par le CECR ne révolutionnent pas l’enseignement/apprentissage des langue car tout ce qui se faisait est toujours présent, les activités de communication langagières, le travail sur la langue, la dimension culturelle,....., tout est présent, mais autrement.
Les activités de communication langagière ne sont pas travaillées de manière cloisonnée autour d’un thème et donc de textes qui font l’objet d’une série d’activités, entre autres sur la langue, ce qui donne l’impression aux élèves d’un perpétuel recommencement à chaque nouvelle séance.
Les activités langagières sont présentées de manière intégrée au service de la mission et l’apprentissage se fait selon un processus porteur de sens. Les tâches d’apprentissage proposées, qu’elles soient d’ordre linguistique ou pragmatique, autour des activités langagières, sont directement liées aux besoins des élèves en liaison avec leur mission, ce qui non seulement donne du sens à l’apprentissage en évitant des ruptures successives, mais les amènent à réfléchir au lien entre les connaissances et leur utilisation, entre intention et action et, de ce fait, les responsabilise.
Pour autant, le scénario d’apprentissage-action correspondant à une démarche, il ne saurait y avoir une « formule » type. L’important est de susciter l’intérêt des élèves en leur faisant se poser la question POURQUOI (pourquoi j’ai besoin de connaissances en langue) avant que n’arrive la question du COMMENT.
Nous pourrions terminer avec ces propos de J.L Lemoigne,
Dis-moi quels sont les projets par rapport auxquels tu ordonnes, tu organises, tu donnes sens, tu articules, les propositions que tu me proposes. Si j’entends ce projet, les connaissances que tu me transmets m’iront ; si je n’entends pas ce projet, j’aurai une attitude a priori dubitative sur les connaissances que tu me proposes, mais je m’efforcerai de les interpréter par rapport à mes projets, élaborant alors des connaissances que tu pourras peut-être trouver intelligibles. [15].
BIBLIOGRAPHIE
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Bourguignon C., « De l’approche communicative à l’approche communic’actionnelle : une rupture épistémologique en didactique des langues-cultures », in Synergie Europe N°1, 2006
Bourguignon C., Delahaye P., Puren C., Évaluer dans une perspective actionnelle - l’exemple du Diplôme de Compétence en Langue, Février 2007, référence sur le site de l’APLV
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