La presse s’est faite l’écho ces jours-ci de rumeurs annonçant la fin prochaine du financement des programmes Erasmus, et l’APLV ne peut que s’en émouvoir.
Peut-être que le programme Erasmus n’a pas toujours été à la hauteur des espérances parfois exagérées qu’on avait placées en lui, mais tout est loin d’être négatif comme le montrent les nombreux témoignages individuels dont la presse se fait régulièrement l’écho [1]. C’est pourquoi il est nécessaire de rappeler ici le progrès considérable qu’a représenté le programme Erasmus par rapport à la situation antérieure à sa mise en place, il y a 25 ans.
Avant, étudier un an à l’étranger était un privilège réservé à quelques étudiants fortunés. Il fallait d’abord interrompre ses études en France, c’est à dire « perdre un an », ce qui a un coût non négligeable. Il fallait ensuite s’inscrire – moyennant des droits souvent très élevés – dans une université étrangère, laquelle vous délivrait éventuellement un diplôme ad hoc, rarement reconnu dans le pays d’origine de l’étudiant. Cette année à l’étranger était donc excessivement coûteuse, et de ce fait réservée à une toute petite minorité.
Par contre, dans le cadre d’un accord Erasmus, l’étudiant s’inscrit dans son université d’origine, ne repaye rien dans celle d’accueil, et les enseignements qu’il y suit sont validés dans l’établissement d’origine. Bref, il ne perd aucune année, puisqu’il continue à capitaliser des unités d’enseignement pour l’obtention de son diplôme national, avec l’avantage supplémentaire d’être dans un pays étranger et de partager la vie des étudiants du lieu. Les coûts sont donc de fait considérablement réduits, et une année passée à l’étranger ne revient guère plus cher qu’une année en France. Et la bourse Erasmus, cumulable avec une bourse sur critères sociaux, est (était ?) là pour couvrir le surcoût de ce séjour.
Bref, si les programmes Erasmus n’ont pas démocratisé les études à l’étranger autant que l’auraient souhaité certains, on ne peut toutefois nier que cette démocratisation a été bien réelle. Combien d’étudiants qui ont bénéficié du programme Erasmus, n’auraient pu envisager de partir sans lui ? Une enquête scientifique sur ce sujet est difficile à mener, mais les coordinateurs de programmes dans les universités, qui connaissent leurs étudiants, savent qu’ils sont très nombreux.
Il convient également de souligner le principe altruiste sur lequel se fondent les programmes Erasmus, qui est celui de l’échange bilatéral entre deux universités, chacune acceptant par convention de prendre en charge des étudiants de l’autre. Cela génère inévitablement des coûts, que Bruxelles aidait à financer, mais à long terme cela permet de créer des réseaux de collaboration et de partenariat – programmes de recherche, doubles diplômes, etc. – dont on connaît la nécessité dans un monde qui se globalise. Et là aussi, au lieu d’insister sur les coûts à court terme, il serait plus pertinent de considérer les bénéfices à long terme, qui sont très réels, même s’ils sont plus difficilement chiffrables.
Et enfin, on peut se poser la question de savoir si, dans la logique ultra-libérale qui prévaut depuis plusieurs années dans la plupart des pays d’Europe, ce n’est pas justement le principe altruiste de l’échange sur lequel il se fonde qui condamne, à terme, le programme Erasmus. On aura compris que l’étudiant Erasmus n’est pas « rentable » : non seulement il ne rapporte rien, mais en plus, il coûte un peu à l’Université qui le reçoit. Alors, pourquoi l’accepter alors qu’il existe une catégorie autrement plus lucrative : l’étudiant étranger hors programme d’échanges ? Ce dernier paye des droits d’inscription discrétionnaires, souvent fort élevés, pour obtenir un « diplôme d’Université » dont les enseignements sont de plus en plus dispensés partiellement ou totalement en anglais pour éviter à ce « client » le long et pénible apprentissage de la langue française. Ces étudiants sont, pour l’université qui les accueille, une véritable manne, et, en ces temps de menace de faillites des établissements d’enseignement supérieur, la tentation est grande de considérer qu’ils sont les seuls étrangers qu’il est intéressant d’accueillir. Du coup, les Européens peu fortunés ne pourront plus sortir de leurs frontières nationales, mais quelle importance face aux urgences budgétaires ?
Bref, si Erasmus disparaît, c’est une certaine idée de l’éducation qui disparaîtra avec lui : le « service public » essayant d’offrir à tous des opportunités, s’effacera un peu plus au profit d’une conception marchande de l’éducation où seuls les étudiants de famille aisée pourront faire des séjours d’étude de longue durée à l’étranger.
Pour le bureau de l’APLV
Roselyne Mogin-Martin