Jean-Marc Delagneau, germaniste et président de l’APLV, et Jean-Luc Breton, angliciste et vice-président, ont été reçus au Ministère par Monsieur Eric Tournier, conseiller chargé du premier degré auprès de la Ministre, et Madame Isabelle Robin, chef du bureau des lycées d’enseignement général et technologique.
L’entretien a eu lieu à la demande de l’APLV afin de pouvoir faire part de ses préoccupations concernant l’absence de politique nationale des langues vivantes. C’est donc par un exposé des analyses de l’APLV que l’entretien a commencé. Notre association rappelle ses inquiétudes face à la situation actuelle, où décentralisation et délocalisation semblent être la règle à tous les niveaux de l’enseignement. Cette situation semble faire fi du principe d’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire et posera de plus en plus d’obstacles à la mobilité des familles et de leurs enfants, comme des étudiants, alors que cette mobilité est encouragée paradoxalement au niveau économique. En particulier, l’APLV réitère ses prises de position concernant le baccalauréat, dont les épreuves orales sont organisées dans chaque lycée, fait part de ses craintes suite à la suppression par certains recteurs de classes bilangues et l’imposition par d’autres de critères restrictifs quant à leur maintien, regrette que la règle dans les universités devenues autonomes soit aujourd’hui celle d’une gestion financière sous le signe de la rigueur, qui provoque suppressions de postes et mise en danger en première ligne de sections de langues, d’enseignements de langues pour spécialistes d’autres disciplines ou de programmes internationaux importants liés à ces enseignements. Toutes ces décisions locales à court terme semblent être en totale contradiction avec la politique nationale de relance économique et de nouvelle compétitivité pour les années futures où les acquis linguistiques diversifiés de l’ensemble des acteurs engagés dans des coopérations dans tous les domaines, en particulier dans les secteurs de la recherche et de l’innovation, seront des facteurs majeurs de la réussite pérenne de notre pays au niveau des marchés européens et mondiaux.
L’APLV insiste aussi sur le fait qu’il y a, du fait de cette gestion délocalisée de l’enseignement, une vraie rupture dans la continuité entre formation des étudiants (et donc aussi des futurs professeurs des écoles et professeurs des lycées et collèges), enseignement élémentaire et collège, collège et lycée. Il s’agit bien d’un problème systémique, qui exige un traitement global et de long terme de la part du Ministère.
Les deux interlocuteurs de l’APLV ne répondent pas sur cette préoccupation d’un traitement global de la question, puisque la Ministre doit intervenir sur la politique des langues vivantes dans les semaines qui viennent. Lorsque l’APLV s’est étonnée de ne pas être associée plus étroitement à la réflexion du Ministère, notre remarque a été ignorée et il nous a été répondu qu’il y avait une vraie démarche de concertation au sein de l’administration de l’Education Nationale, entre les différents services concernés.
Le premier cycle :
Nos interlocuteurs partagent nos analyses sur l’absence de continuité entre l’école élémentaire et le collège, qui sont d’ailleurs aussi celles des parents. La Ministre annoncera des mesures visant à renforcer cette continuité.
L’APLV fait part de ses inquiétudes concernant la diversité linguistique, en rappelant que, selon la dernière enquête CEDRE sur l’école élémentaire, en 2010, 89% des écoliers apprenaient l’anglais et que la part des autres langues avait diminué sensiblement depuis l’enquête précédente en 2004. Le Ministère semble ne pas s’inquiéter de la situation et dessine le schéma d’un enseignement très majoritairement limité à l’anglais, à l’exception de certaines écoles à effectifs importants dans les grandes villes, où 2, voire 3 langues différentes, pourraient être proposées, à condition que l’on puisse assurer aux familles continuité dans l’enseignement de ces langues au sein de l’école même et entre celle-ci et le collège.
L’APLV a rappelé la nécessité de repenser la formation en langues vivantes des professeurs des écoles et de réintroduire une épreuve de langue dans les concours de recrutement. Elle n’a pas eu de réponse sur le second point, et celle qu’elle a obtenue sur le premier n’est pas vraiment satisfaisante. Le Ministère pense à développer de nouvelles ressources pour les professeurs des écoles, faisant fi d’un autre constat de l’enquête CEDRE, celui de la sous-utilisation des ressources pédagogiques et technologiques déjà existantes par les professeurs des écoles. Madame Robin impute cette sous-utilisation à des préconisations d’inspecteurs et de formateurs.
Une autre piste que le Ministère explore est la mise en place d’une attestation du niveau A1 en fin de CM2, qui pourrait encourager professeurs des écoles et écoliers à une plus grande mobilisation dans le domaine des langues vivantes.
La continuité école-collège :
Les dispositifs particuliers que sont les classes bilangues et les sections européennes sont critiqués par les interlocuteurs de l’APLV, parce qu’ils sont souvent liés dans l’esprit des parents à des pôles d’excellence et donc permettent l’évitement des classes ordinaires. Les expériences menées par certains recteurs, qui ferment ou limitent ces dispositifs, sont suivies avec intérêt au Ministère. La Ministre annoncera des mesures sur ce point, peut-être l’enseignement de la langue 2 à partir de la 5e.
On s’interroge aussi au Ministère sur la durée et la fréquence des séances de langues vivantes. L’APLV rappelle que les professeurs de collège (mais aussi de lycée) souhaitent majoritairement un renforcement global de l’horaire de langue. Mais il lui est répondu que cette demande est celle de toutes les disciplines. La spécificité de la nôtre n’est visiblement pas prise en compte par nos interlocuteurs.
Les épreuves du baccalauréat :
L’APLV s’étonne qu’aucune modification n’ait été annoncée pour la session 2015 sur les deux points où, lors de l’entretien du 20 février 2014, Madame Caroline Pascal, doyenne de l’Inspection Générale, et Madame Robin elle-même avaient laissé entendre que des évolutions pourraient être possibles (allongement de l’épreuve de compréhension orale et allègement de la grille d’évaluation de l’épreuve de LELE). La réponse de Madame Robin est claire et sans appel : aucun changement n’aura lieu lors des sessions 2015 et 2016 de l’examen, puisqu’il n’y a eu aucune remontée négative des chefs de centre cette année. Elle souligne par ailleurs la réactivité des services dans un délai très court pour les quelques aménagements auxquels il a été nécessaire de procéder.
L’enseignement supérieur :
Aucune réponse n’est apportée aux questions et remarques de l’APLV, puisque ses interlocuteurs ne sont pas des spécialistes ni des responsables du secteur.
Conclusion :
L’APLV remercie ses interlocuteurs pour la cordialité de leur accueil, mais ne peut se satisfaire en l’état des réponses qui lui ont été apportées par rapport à la problématique globale qu’elle avait posée dans son courrier de demande d’audience à Madame la Ministre. L’APLV continuera donc d’œuvrer avec l’ensemble de ses adhérents, des associations de linguistes adhérentes et de ses partenaires pour une prise en compte au niveau gouvernemental de l’enjeu majeur que constitue pour notre pays la nécessité d’une véritable politique nationale des langues vivantes. L’APLV espère néanmoins que les mesures annoncées ultérieurement par Madame la Ministre en matière de langues vivantes intégreront au moins une partie de ses réflexions et remarques formulées lors de cette entrevue dans un esprit constructif de contribution à l’amélioration du service public d’enseignement.
Jean-Luc BRETON, Vice-Président de l’APLV