Journée d’étude de l’APLV le samedi 17 novembre à Paris : « Le point sur l’actualisation du CECRL : perspectives didactiques et pédagogiques pour l’enseignement - apprentissage des langues vivantes étrangères et régionales. »
Intervenants :
Francis Goullier, IGEN honoraire, expert auprès du Conseil de l’Europe
Véronique Repeczky, enseignante d’anglais
Michèle Valentin, IA-IPR d’anglais, chercheuse en didactique
Le 17 novembre l’APLV a organisé une demi-journée d’étude sur l’actualisation du CECRL, suite à la publication du volume complémentaire.
Fidèle à sa tradition d’indépendance, l’APLV a souhaité croiser les approches et les points de vue sur ce document, en sollicitant plusieurs intervenants, et en donnant la place la plus large aux questions et commentaires des personnes présentes. De nombreuses réactions s’étaient par ailleurs exprimées préalablement à cette rencontre auprès des responsables nationaux de l’association.
L’APLV, à travers sa revue, a déjà contribué à plusieurs reprises à la réflexion sur ce document, en s’efforçant de se faire l’écho des préoccupations de tous les acteurs, enseignants et enseignants chercheurs. C’est ainsi qu’en 2006, le n° 1 des Langues modernes était consacré au Plurilinguisme (un dossier coordonné par Xavier North), où l’on pouvait par exemple lire un article de Francis Goullier (le premier intervenant à notre journée d’étude) dans lequel l’auteur interrogeait la polysémie du mot plurilinguisme, et réfléchissait aux perspectives pédagogiques à lui donner. En 2008, le numéro 2, intitulé Le cadre européen, où en sommes-nous ? (coordonné par Pierre Frath) laissait large place aux acteurs de terrain. On pouvait notamment y lire les conclusions critiques d’un colloque qui avait rassemblé des didacticiens germanophones. Ces derniers pointaient une contradiction importante chez les rédacteurs du Cadre, qui n’entendaient pas prendre position sur les enjeux didactiques, par exemple, tout en affichant l’ambition de produire un cadre de référence. En 2012, la question cruciale de l’évaluation était examinée dans un dossier coordonné par Michèle Valentin. Dans un article de ce dossier, Emmanuelle Huver mettait en évidence le surinvestissement que l’on pouvait constater autour des descripteurs, au détriment d’autres composantes comme la compétence plurilingue, la médiation, ou les scénarios curriculaires. Dans le numéro 3/2016, Émilie Perrichon coordonnait un dossier consacré à La perspective actionnelle, état des lieux. Dans son introduction, la coordinatrice soulignait la grande plasticité de cette configuration didactique, tout en se demandant si cette dernière était toujours mobilisée dans son plein empan.
Trois intervenants avaient été sollicités pour cette rencontre. Francis Goullier, IGEN honoraire, depuis l’expertise qui est la sienne, a présenté les perspectives ouvertes par la publication du volume complémentaire. Véronique Repeczky, enseignante d’anglais, a fait état de la perception des changements introduits par la publication du Cadre chez les enseignants. Michèle Valentin, depuis son expérience d’IA-IPR d’anglais et de chercheuse, a mis en évidence quelques-unes des répercussions qu’a eues le Cadre sur les pratiques pédagogiques au quotidien.
Francis Goullier a rappelé que si le Cadre a pu faire l’objet d’un certain nombre de critiques, les auteurs eux-mêmes de ce document en avaient formulé dès 2007, lors d’un colloque qui lui était consacré. On mettait notamment en évidence que cinq points clés n’étaient pas assez investis : la notion d’évaluation positive ; la différence à opérer entre entrainement et évaluation ; la prise en compte de l’apprenant comme acteur social ; celle du répertoire plurilingue de chaque individu ; la construction de la compétence interculturelle. Dans le volume complémentaire, les auteurs se sont efforcés de combler ces lacunes. Ils ont également réfléchi à des situations d’usage de la langue qui n’avaient pas été assez considérées, comme l’interaction avec le texte littéraire, par exemple. Les programmes adossés au Cadre ont évolué : le Socle commun fait allusion aux différentes langues dont l’élève est porteur, apprises ou connues. Les tout derniers programmes en cours de validation pour le lycée tiennent compte de ce que le volume complémentaire apporte en matière de médiation et de compétence phonologique. Du CECRL on a bien souvent retenu surtout les échelles de niveaux, quitte à perdre de vue l’approche générale du document. Les descripteurs présentent des observables, et beaucoup d’entre eux se prêtent peu à une démarche d’évaluation sommative. Dès lors, selon F. Goullier, il serait bon de se recentrer sur les perspectives ouvertes par la notion de compétence plurilingue, ou celle de médiation, par exemple, en ayant en vue les valeurs auxquelles est adossé l’ensemble du texte. Avec le volume complémentaire, la quantité de descripteurs disponible est devenue telle que de toute évidence, les acteurs devront opérer des choix en fonction des contextes d’utilisation. Le Cadre doit être vu comme un outil descriptif de ce qu’il est possible de faire du point de vue des systèmes éducatifs, des enseignants, des élèves, a conclu l’intervenant.
Véronique Repeczky a fait état de son expérience d’enseignante, aux prises avec différentes injonctions contradictoires, ministérielles et au sein des établissements, et manquant souvent de marge de manœuvre pour y faire face. Les échelles de compétences ont été mobilisées dans des documents ministériels pour figurer dans des grilles d’évaluation sommative, alors qu’elles n’ont pas été conçues dans cet esprit. Quant aux familles, leur représentation d’une évaluation pertinente reste puissamment celle des notes chiffrées. Et lorsqu’il s’est agi de se référer aux descripteurs pour des actions concertées entre enseignants de langues, les dispositifs étaient si contraints que l’ensemble n’avait plus grand sens. À cet égard, Véronique Repeczky considère que l’expérimentation des groupes de compétences a été un échec : le mot même de compétence (présenté soit au singulier, soit au pluriel) n’a d’ailleurs jamais été défini avec la clarté suffisante. Quant à la compétence de médiation, développée dans le volume complémentaire, elle n’est encore que peu diffusée parmi les enseignants ; et si la formation continuée ne prend pas le relais, incompréhensions et frustrations pourraient à nouveau perturber le quotidien d’enseignants en charge de groupes toujours lourds avec des horaires toujours aussi réduits.
Michèle Valentin a présenté sa réflexion sur les diverses formes d’influence du Cadre sur les pratiques enseignantes, depuis son double point de vue d’IA-IPR et de chercheuse. Pour cette présentation, Michèle Valentin avait préalablement mis en ligne un questionnaire à l’attention des enseignants, entre août et octobre 2018, qui a recueilli 294 réponses. Elle en a présenté les principaux résultats, tout en s’adossant à deux concepts de didactique professionnelle, celui de genre professionnel, et celui de style professionnel. Ces concepts lui permettaient de mesurer les changements éventuels dans des pratiques par ailleurs très sédimentées à partir d’héritages didactiques.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la Perspective actionnelle, l’approche par tâches est privilégiée, mais la typologie est diverse. On note beaucoup de travaux en situations d’interaction, organisé par paires ou en petits groupes. Les productions écrites consistent souvent en la rédaction de lettres ou de mails, à un destinataire plutôt fictif. La dimension complexe de la tâche n’apparaît pas très souvent. C’est ainsi que la part de réflexivité, la prise en compte de points de vue, le cas échéant contrastés, sont peu évoquées par les enseignants qui ont répondu. Ces tâches finales, préparées par des tâches intermédiaires, sont évaluées dans la plupart des cas, dans la mesure où elles sont présentées comme l’aboutissement de la séquence. Quant à la prise en compte de la médiation ou de la compétence plurilingue et pluriculturelle, très peu d’enseignants répondent. En conclusion, Michèle Valentin pense que dans les pratiques quotidiennes, le Cadre avance bien quand il est en congruence avec ce qu’elle appelle les héritages didactiques. Là où l’on constate encore des freins, c’est lorsqu’il s’agit de didactique complexe, de compétence pluri-, de réflexivité, d’esprit critique à l’occasion de pratiques de classe relevant de l’éthique du travail collaboratif.
Au terme de cette journée riche en apports et en échanges, Pascal Lenoir (APLV-Les Langues Modernes) a tiré quelques enseignements. Manifestement, le volume complémentaire a été publié dans l’ambition de combler des lacunes ; la Perspective actionnelle y est mieux assumée ; la médiation est un concept porteur, si les enseignants s’en emparent. Mais on a pu remarquer au cours des échanges que les enseignants sont aux prises avec de nombreuses injonctions contradictoires, et qu’ils manquent énormément de moyens. Dans ce contexte, les enseignants ont tendance à confondre les programmes scolaires et le Cadre. Enfin, on retiendra le poids des héritages didactiques (notamment le paradigme direct des méthodes active et orale). Seule une formation initiale et continuée ambitieuse serait de nature à aider les enseignants à s’engager résolument dans la didactique de la complexité.
Compte rendu de Pascal Lenoir