Compte rendu de l’audience au ministère de l’éducation et de la jeunesse, 23 mai 2024, 17h

mercredi 29 mai 2024

Représentants de l’APLV :

Jean-Luc Breton, vice-président
Françoise Du, secrétaire générale
Michèle Valentin, présidente

Représentants du ministère :

Catherine Moalic, conseillère territoires au cabinet de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
Yann Bruyère, adjoint à la sous-directrice de l’innovation, de la formation et des ressources, DGESCO

Devant initialement être présente :

Cécile Laloux, conseillère pédagogie au cabinet de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, retenue par d’autres obligations

Préambule

Pour rappel, lors du CA du 20 janvier 2024, nous avions dressé collectivement la liste des priorités de l’APLV, qui s’inscrit dans la continuité des positions adoptées antérieurement :

« Défendre la variété de l’offre des langues ; porter les DNL (Disciplines Non Linguistiques) ; défendre la formation des enseignants des premier et second degrés ; valoriser et défendre la perspective actionnelle ; laisser la responsabilité de l’évaluation aux enseignants ».

Suite à ce CA, nous avons sollicité une audience le 25 mars 2024 avec pour objectifs de :

- porter à la connaissance de la Ministre du MENJ la position de l’APLV sur un certain nombre de points concernant la politique des langues étrangères et régionales en France ;

- prendre connaissance des orientations que son ministère souhaite adopter dans ces domaines, ainsi que dans les domaines appelés à faire l’objet de réformes.

Pour ce faire, après les présentations d’usage puis de l’APLV, nous avions prévu d’aborder les sujets déclinés ci-dessous.

Langues et territoires : les langues vivantes et la langue de scolarisation ; la valorisation des compétences plurilingues des élèves ; la réforme du collège et l’éducation prioritaire.

La réforme du lycée  : valorisation de la LVC ; l’anticipation du départ à la retraite des professeurs de langues rares ; la création d’un enseignement de spécialité au lycée bi-langues ; des programmes de spécialités dans toutes les langues enseignées sur le modèle de l’anglais monde contemporain dont l’ancrage serait davantage culturel et non plus centré pour l’essentiel sur la culture dite « savante ».

La formation des professeurs des 1er et 2d degrés : la formation initiale et continue ; l’éveil aux langues ; les DNL ; l’ETLV (enseignement technologique en langue vivante pour les séries technologiques au lycée) ; l’OIB Option Internationale du Baccalauréat devenue le Baccalauréat Français International (BFI) en 2022.

L’évaluation : Ev@langhttps://www.france-education-international.fr/evalang?langue=fr et ses décalages avec les objectifs de l’enseignement des LV en France.

L’audience s’est déroulée sous la forme d’un libre entretien au cours duquel les échanges ont été nombreux. Bien que l’audience ait duré une heure et demie, la représentante du cabinet de la ministre n’a pas été en mesure d’apporter des réponses précises à toutes nos questions, ce qui s’explique selon elle par le fait que la réflexion sur l’état des lieux et les réformes n’en est qu’à ses débuts.

1. Présentations

1.1 L’APLV

À l’issue de la présentation de l’APLV, dont la spécificité a été rappelée – l’APLV concerne toutes les langues vivantes et régionales, ainsi que le FLE – Mme Moalic nous a posé une première question sur les relations de l’APLV avec le ministère. Le vice-président a rappelé que si nous avions été consultés lors de la réforme Blanquer, nous n’avions pas été réellement entendus, mais que nous restions tout à fait disponibles pour des temps de consultation.

La question suivante a concerné nos relations avec l’inspection générale. Nous avons mentionné les contacts qu’au fil des années, nous avons pu avoir avec des inspecteurs généraux, avec, par exemple, François Monnanteuil (IGEN anglais, doyen des langues vivantes et membre de l’APLV), ou encore Jonas Erin (IGESR) qui est l’auteur d’un article dans le numéro des Langues Modernes consacré à la didactique intégrée des langues (DIL) dont la publication est prévue en juin 2024.

La revue Les Langues Modernes a ensuite été présentéehttps://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?rubrique4 : son organisation thématique, les auteurs de ses articles (enseignants, enseignants chercheurs), sa volonté d’accompagner la réflexion didactique de manière prospective en faisant état des domaines de recherche en cours d’élaboration.

Les CLICS ont aussi fait l’objet d’une présentationhttps://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?rubrique176.

1.2 Le portefeuille territoires

Mme Moalic a ensuite précisé que le portefeuille territoires est nouveau et a été souhaité par la ministre Belloubet afin de prendre en compte la spécificité des territoires et de répondre en équité aux besoins éducatifs. Notre interlocutrice exprime une volonté ministérielle forte que « notre grande maison » s’ouvre sur les territoires et leurs partenaires. L’école se doit d’être ouverte et de travailler en étroite collaboration avec ses différents partenaires pour, par exemple, traiter les questions du numérique ou encore de la fermeture de classes avec les communes concernées. Il s’agit d’avancer en évitant que des instances différentes traitent des mêmes problématiques sans se concerter, ce qui peut conduire à des redondances inutiles.

« On demande tellement aux enseignants », a ajouté la conseillère, « il faut que chacun prenne ses responsabilités pour la formation et l’éducation de la jeunesse ».

Le portefeuille territoires concerne aussi bien la ruralité, l’éducation prioritaire que l’outremer. Les LVR (langues vivantes et régionales), l’éducation au développement durable et le Conseil national de la refondation (CNR)https://www.ecologie.gouv.fr/presentation-conseil-national-refondation relèvent aussi de ce portefeuille.

2. Éléments de réponses à nos questions

Nous n’avons pas obtenu de réponses précises sur les sujets qui sont l’objet de réformes tels que l’éducation prioritaire, le collège et le DNB, la formation des enseignants, la place exacte des LVR et leur évaluation.

Toutefois, Mme Moalic rappelle que :

- l’éducation prioritaire est un dossier conséquent qui mérite une attention particulière ;

- la loi de 2021 réaffirme l’importance des langues régionales ;

- les consignes du DNB pour la sécurisation des épreuves étaient rédigées en langue française uniquement, ce qui a avait soulevé « beaucoup d’interrogations » de la part de partenaires et enseignants. Le ministère souhaite revenir sur ce qui se faisait déjà sans bousculer ; la question des LVER dans le futur DNB va être posée.

3. La formation des enseignants

Aucun commentaire n’est fait sur la place des LVER dans la formation des enseignants, la réflexion sur la réforme en étant à ses débuts, rappelle notre interlocutrice. La problématique de l’attractivité du métier d’enseignant est ensuite longuement développée. Une rémunération est prévue en master pour les lauréats du concours afin de renforcer à la fois l’attractivité du métier et la professionnalité des enseignants le plus tôt possible. Il s’agit aussi d’inviter les lycéens à se projeter dans ce métier.

Nous avons souligné l’importance de l’articulation entre la formation initiale et la formation continue tout au long de la vie professionnelle et soulevé le problème constitué par la fréquence des réformes et leur absence d’évaluation, sources de déperdition de sens, voire de lassitude.

Les changements sociétaux sont ensuite commentés. La société ayant changé, les attentes des jeunes et des familles ont changé également, ce qui rend le pilotage du système complexe. Plusieurs facteurs positifs se dégagent. Par exemple pour Mme Moalic, à la suite de la période du COVID, on assiste à un changement de regard sur le métier d’enseignant ; on ne parle plus d’ordinateurs pour remplacer les professeurs, dont la présence est sans conteste jugée indispensable.

4. Les LVER et les territoires

L’échange revient sur la question des LVER. La conseillère souligne l’effet dynamique pour le premier degré de la loi du 21 décembre 2021 qui crée la fonction de directrice ou de directeur d’école en tant notamment que pilote du projet pédagogique de son établissement https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044537507. Un nombre conséquent d’écoles prennent ainsi position en faveur des LVER. La gouvernance dans chaque académie par la commission académique sur l’enseignement des langues vivantes étrangères est également dynamisée. Cette instance est essentielle, car si le niveau national donne une impulsion, c’est dans les territoires qu’on mesure les faiblesses, qu’on apprécie les leviers et qu’on est à même de traiter la question de la cohérence des parcours en langue. Mme Moalic insiste à nouveau sur le caractère essentiel de la gouvernance infra-académique et académique.

Elle illustre l’importance des réalités des territoires quant à l’adaptation des orientations nationales en prenant l’exemple de l’allemand, dont l’enseignement, menacé, est soutenu différemment selon les régions. Puis elle aborde la valorisation de la langue régionale, soumise à deux conditions : 1. entrer dans leur enseignement par la réussite des élèves et non pas par militantisme ou snobisme ; 2. s’interroger sur comment aider les élèves à s’ouvrir sur le territoire et à mieux réussir à l’école. Elle en veut pour exemple l’appui sur la L1 des élèves d’outremer pour maîtriser la langue française de manière plus efficace.

Mais « l’Éducation nationale ne peut pas tout faire toute seule » a souligné à plusieurs reprises Mme Moalic. En ce qui concerne les langues régionales, le souhait des familles, le temps scolaire, les conventions avec les offices publics régionaux jouent également un rôle important.

Nous avons ensuite abordé l’importance 1. des LVC (Langue 3 au lycée), dont le coefficient au baccalauréat, dérisoire, n’encourage pas les élèves à se lancer dans cet apprentissage ; 2. puis d’un enseignement de spécialité qui pourrait être bi-langues afin notamment de contourner la place trop importante de l’anglais au détriment des autres langues, et de favoriser la maîtrise à un niveau plus élevé de deux langues au moins. Le plurilinguisme (à comprendre ici comme la maîtrise de plusieurs langues) joue en effet un rôle essentiel dans la promotion sociale que souhaitent certaines familles pour leurs enfants.

Puis la conseillère est revenue sur la nécessité d’une dynamique de motivation et de parcours, qui nécessite de s’intéresser au premier degré, comme point de départ essentiel. Pour notre interlocutrice, il s’agit là d’un « pari gagnant ». Elle en veut pour exemple les écoles maternelles Élysées[[« Axe fort de la coopération éducative franco-allemande, le réseau des écoles maternelles bilingues « Élysée 2020 » vise à favoriser le développement de la langue allemande en France par un apprentissage précoce et une réflexion dès l’amont sur la continuité du parcours. » https://www.education.gouv.fr/le-reseau-franco-allemand-des-ecoles-maternelles-bilingues-elysee-2020-8198. C’est à l’échelle des territoires que la possibilité de poursuivre une langue débutée à l’école trouve des solutions.

Enfin, elle souligne que la qualité de l’enseignement doit aussi se travailler à l’échelle locale, grâce notamment à l’aide des laboratoires de recherche attachés aux universités du territoire.

5. L’évaluation : Ev@lang

Nous sommes également interrogés sur les objections que nous faisons à Ev@lang. Nous argumentons que ce test de positionnement pose des problèmes de faisabilité et qu’il est en contradiction avec l’enseignement actionnel et les objectifs portés par les textes institutionnels. Les programmes d’enseignement des langues s’organisent à l’école primaire comme dans l’enseignement secondaire autour d’entrées culturelles et de séquences d’apprentissage fortement contextualisées, à la fois par leur thématique et les projets que les élèves doivent réaliser. Or, Ev@lang propose des QCM décontextualisés axés sur la langue, sous l’influence des évaluations PISAhttps://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo47/MENE2234752C.htm. Il s’agit là d’une contradiction forte, qui n’a pas donné lieu à commentaire.

6. Ce que nous retenons de l’audience

Nous avons particulièrement apprécié la courtoisie et la qualité d’écoute de Mme Moalic et de M. Bruyère.

Nous n’avons malheureusement pas obtenu de renseignements précis sur les réformes. Ces réformes nous semblent ambitieuses : elles touchent à la fois le modèle de la formation des enseignants et l’enseignement des premiers et seconds degrés, c’est-à-dire l’enseignement obligatoire. La notion de parcours en langues, d’ancrage territorial semblent primer, y compris peut-être au détriment du pilotage central.

Pour qu’elles puissent réussir, le ministère Belloubet devra trouver un équilibre entre pilotage local et pilotage central, entre pilotage national et pilotage par les tests internationaux, entre la place des langues premières, de l’anglais, et des autres langues, entre une possible nostalgie pour un passé où les choses étaient plus simples (les écoles normales et leurs hussards noirs) et un avenir à même de faire face aux changements sociétaux. Le tout est de savoir où le curseur sera placé et s’il permettra de réduire les tiraillements et les contradictions parfois fortes qui résultent à la fois d’aspirations différentes et de la juxtaposition de plusieurs échelles de gouvernance.