Alain Pastor est chargé de recherches en didactique des langues à l’INRP
Marie Carmen Darne est professeur d’espagnol dans l’académie de Grenoble.
Le programme d’enseignement des langues vivantes pour les classes de seconde est en débat. Actualisant des programmes de lycée déjà anciens, ce texte introduit désormais une référence explicite au CECRL. Pour les enseignants déjà au fait de la perspective actionnelle, il ne constitue donc pas une nouveauté radicale, mais plutôt une reconfiguration des programmes, en précisant les principes sur lesquels sont fondés les objectifs pour la classe de seconde de la discipline Langue Vivante et en posant les jalons d’une nouvelle organisation des parcours scolaires sous la forme de « groupes de compétences ».
Avant la parution de ce projet de programmes, dans l’attente d’un texte officiel auquel se référer, des réticences et des inquiétudes se sont manifestées par rapport au sens à donner aux groupes de compétences et à l’organisation horaire qu’ils supposent. La notion de compétence, polysémique, est diversement entendue : associée à « groupe » et/ou à « niveau » (groupes de niveau de compétence) elle a conduit le débat vers des questions essentiellement organisationnelles en faisant passer au second plan les enjeux didactiques.
Cette contribution au débat a pour objectif de replacer les enjeux didactiques à la place qu’ils méritent dans la réflexion, la première. En effet, sans compréhension de ces enjeux, les débats organisationnels voguent comme un bateau sans compas au gré des rumeurs et des humeurs. Savoir où sont les points cardinaux est nécessaire pour que les contributions s’orientent de manière ouverte et productive plutôt que crispée et défensive, car son enjeu pour les équipes d’enseignants de langue est de s’emparer des questions qui les concernent au plus près de l’exercice de leur métier, dans les établissements. C’est une chance, dans une fenêtre temporelle très réduite, et il serait dommage de la laisser passer sans s’en saisir.
Les compétences au cœur des programmes de langues : pourquoi ?
Les facteurs liés aux évolutions historiques, sociologiques, politiques, économiques, en particulier ceux liés à la construction de l’Union Européenne, conduisent à considérer que, plutôt que la maîtrise des langues en tant que telles, c’est la maîtrise de leur usage social (échanges d’idées, de pratiques, actions communes et projets, y compris économiques, entre individus et groupes sociaux…) qui correspond le mieux à l’évolution des sociétés européennes vers un plurilinguisme accru. Cette orientation ne contredit pas les autres finalités du système éducatif, en particulier, pour les langues, leur finalité culturelle, fondée sur l’étude de textes et d’œuvres marquantes des diverses cultures : au contraire, elle les intègre dans les différents domaines d’un usage social élargi auquel les systèmes éducatifs doivent former les futurs citoyens.
Les langues sont-elles les seules concernées par des programmes fondés sur les compétences ?
Cette orientation concerne toutes les autres disciplines, ainsi que le montre l’adoption en 2006 du Socle commun de connaissances et de compétences pour la scolarité obligatoire. Elle s’inscrit dans une réorganisation des programmes éducatifs à l’échelle de l’Union Européenne (Compétences clés) et au-delà. Ce passage à une organisation des programmes par compétences ne va pas sans poser des questions qui relèvent de toute évolution culturelle majeure.
Qu’entend-on par « compétences » ?
La polysémie apparente du terme compétences rend cette notion difficile à saisir et à utiliser pour le travail d’organisation des parcours d’apprentissage. Cependant, par-delà la diversité des auteurs et chercheurs, on remarque que se dégagent un certain nombre de constantes. Un récent rapport de l’Inspection Générale sur les livrets de compétences formule ainsi ces points communs : « … une compétence repose sur la mobilisation, l’intégration, la mise en réseau d’une diversité de ressources : les ressources internes, propres à l’individu, ses connaissances, capacités, habiletés, mais aussi les ressources externes mobilisables dans l’environnement de l’individu (autres personnes, documents, outils informatiques, etc.) ; cette mobilisation des ressources s’effectue dans une situation donnée, dans le but d’agir : la compétence est nécessairement située ; pour autant, elle s’exerce dans une diversité de situations, à travers un processus d’adaptation et pas seulement de reproduction de mécanismes » [1].
Ces passage formule clairement le sens actionnel des compétences : en mettant l’accent sur la finalité de la tâche (CECRL), on passe d’une conception de l’enseignement visant l’acquisition par les élèves de connaissances qui seraient à elles-mêmes leur propre finalité à une conception où l’essentiel est d’établir un lien entre ces connaissances et des situations, ou des familles de situations, dans lesquelles ces connaissances sont mobilisées en vue de tâches. En effet, si des situations d’apprentissage de langue sont conçues comme simple restitution de connaissances ou entraînement par des exercices, les compétences développées par les élèves (car il se construit toujours des compétences) seront trop limitées et trop peu autonomes pour rendre ces derniers capables d’agir efficacement en langue étrangère.
Des programmes aux référentiels de compétences
Au degré de généralité le plus élevé, la compétence à communiquer dans une langue étrangère suppose la mise en œuvre de plusieurs composantes ou sous-compétences : linguistique, pragmatique, sociolinguistique, culturelle… Par ailleurs, on communique à propos d’objets du monde physique ou social, ce qui suppose des compétences autres que langagières. A ce degré, les compétences ne s’appliquent à aucun objet ou action spécifique, leur formulation n’est pas directement opératoire pour l’enseignement.
Pour construire de manière opératoire un programme d’enseignement, il est nécessaire de définir plus précisément les situations, les actions et les objets concrets dans, par et sur lesquels s’exercent ces compétences. On le fait en décrivant ce qu’un sujet est capable de faire (certains emploieront alors le terme de capacités), c’est-à-dire des actions ou opérations observables, visibles ou audibles. Si on examine les descripteurs des échelles de compétences du CECRL, on constate bien que ce sont des actions qui sont décrites. Les paramètres synthétisés dans ces descripteurs correspondent à quatre types de précisions concrètes, qui peuvent être classées selon un « grain » plus ou moins fin, comme celui d’une photographie, selon le zoom choisi :
activités langagières : comprendre, s’exprimer, à l’écrit, à l’oral, interagir. Leur niveau de généralité reste encore très élevé.
types de textes dans lesquels les activités langagières se réalisent. Ils sont caractérisés par leurs genres et par des types de discours.
contextes dans lesquels ces textes sont produits : on peut les classer par domaines de la vie humaine, cohérents avec des thèmes spécifiques.
ressources linguistiques qu’il est nécessaire de mobiliser pour la réception ou la production de ces textes. Certains chercheurs nomment « procédures » ces compétences du degré le plus fin pour marquer qu’elles correspondent à un type de traitement cognitif différent des niveaux précédents. Il ne suffit pas d’expliquer ou de travailler un point de langue par un exercice pour que les compétences « procédurales » correspondantes se construisent ipso facto.
Les programmes présentent en général ces catégories de paramètres de manière linéaire. Si l’on n’y prend garde, on peut penser qu’il s’agit alors d’aspects différents à traiter successivement ou séparément. Or, dans une démarche d’enseignement par compétences, tous ces paramètres sont forcément présents simultanément dans les actions accomplies par les élèves, aucun n’existe isolément des autres. Les compétences, telles qu’elles sont décrites dans le CECRL, synthétisent ces quatre types de paramètres, avec parfois d’autres, dans chaque descripteur.
Si les programmes sont présentés en fonction des paramètres spécifiques de la discipline, les descripteurs de compétences sont organisés par paliers de progression (A1 à C2 dans le CECRL) dans des référentiels. Il faut donc soigneusement distinguer ces deux modes de présentation, qui constituent pour les enseignants deux types de textes de référence pédagogiques complémentaires mais non équivalents.
Des compétences à la programmation différenciée des objectifs
Il ne sert à rien de courir plusieurs lièvres à la fois, ou de viser trop d’objectifs distincts simultanément. Le fait de programmer les objectifs rend l’enseignement plus cohérent. Mettre en œuvre une programmation, c’est focaliser l’enseignement sur tels ou tels des paramètres à telle période, sans, pour autant, les traiter de manière cloisonnée et exclusive.
On peut décider que cette programmation s’adresse de manière indifférenciée à tous les élèves d’un établissement. Mais on peut aussi tenir compte des besoins spécifiques de certains élèves, ayant atteint un certain palier de compétences. Alors, on est conduit à organiser ce qu’on appelle des groupes de compétences. Les groupes de compétences croisent un mode de programmation différenciée qui, contrairement au premier, permet de moduler les objectifs, avec les besoins des élèves dans leur diversité.
Selon quels principes organiser une programmation ?
De par leur degré de généralité, les activités langagières sont particulièrement adaptées pour constituer un principe essentiel de programmation des objectifs d’enseignement. Plutôt que de traiter de manière indifférenciée toutes les activités langagières chaque année ou dans chaque séquence, on décide de donner la priorité sur (un temps donné dans) une année aux activités langagières de réception (CO et CE) ou aux activités orales (CO, PO)… puis l’année suivante à d’autres. L’échelle de programmation couvre les trois années du lycée.
Les choix de programmation peuvent être orientés par les complémentarités suivantes entre activités langagières :
- de la réception à la production
- de l’oral à l’écrit
- des activités langagières « simples » (écoute, parole, lecture, écriture) aux activités langagières « composées » (l’interaction orale combine réception et production).
Chaque activité langagière constitue alors un module d’enseignement, qui est un sous-ensemble du programme global. A l’intérieur de chaque module d’activité langagière, les contenus sont organisés selon une progression cohérente, préférable à une progression aléatoire. Idéalement, cette progression constituera une référence commune à tous les enseignants de langue pendant les trois années d’enseignement du lycée.
De tels modules d’enseignement sont compatibles avec un fonctionnement souple, articulant groupes classes et groupes de compétences pour des périodes, ou cycles, déterminés par les équipes en fonction d’objectifs clairement définis. Cette alternance peut constituer un des principes d’organisation de parcours différenciés modulables. La composition des groupes n’est pas figée : il est tout à fait possible, selon son profil, qu’un élève soit affecté à un groupe pour une activité langagière et à un autre pour une différente ultérieurement.
Le choix des activités langagières privilégiées selon les groupes et les périodes devrait tenir compte des points faibles ou forts révélés par les évaluations diagnostiques et des paliers spécifiques à atteindre en fin de lycée. Pour les élèves, l’efficacité des parcours organisés selon la progression de ces modules sera d’autant plus assurée qu’ils serviront de référence à tous les enseignants. Elle devra être évaluée régulièrement.
Il est tout à fait possible de concevoir une programmation en fonction d’autres paramètres que les activités langagières. On peut choisir une programmation axée, par exemple, sur un type de discours (argumentatif, narratif) sur un thème donné (lié par exemple à une DNL ou des TPE), voire par rapport à un type de question linguistique. Mais il est clair que les activités langagières constituent un critère de portée plus large, mieux adapté à la planification de grands modules d’enseignement communs.
Groupes de niveaux ou groupes de compétences ?
Une part importante des malentendus par rapport à la réforme des lycées se cristallise pour les langues autour de la notion de « groupes de compétences ». Plus exactement autour de celle de « groupes », car les mots qui suivent varient considérablement selon les interlocuteurs : groupes de niveaux, groupes de besoins, groupes homogènes ou hétérogènes, groupes de niveaux de compétences… Tant qu’on ne sait pas de quels groupes on parle et à quoi ils doivent servir, il est difficile de s’entendre.
Les rédacteurs du projets de programmes pour la classe de 2de utilisent l’expression « groupes de compétences ». Nous avons donné au § précédent une définition de ce qu’on peut entendre par groupes de compétences, dont le fondement pédagogique est une programmation différenciée des objectifs. Pour autant, nous n’avons pas établi ce qui distingue groupes de compétences et groupes de niveaux.
C’est une lapalissade que de constater que les élèves qui arrivent au lycée en classe de 2de ont développé des compétences sensiblement différentes. Ce qui est important, c’est l’interprétation qu’on tire de ce constat, certains considérant l’hétérogénéité des niveaux comme un handicap et d’autres comme une valeur. Dans tous les cas, se pose la question de savoir comment prendre en compte cette hétérogénéité : faut-il réserver un traitement spécifique aux élèves en difficulté et/ou aux plus avancés (ceux issus de parcours bilangues, par exemple) ou faut-il traiter tout le monde de la même manière ?
Le constat de cette diversité des niveaux n’est ambigu que s’il s’exprime en termes de jugements de valeur sur la personne même des élèves (du type élève « fort, moyen, faible »). Dans ce cas, à un instant T du développement des élèves, on attribue aux personnes en tant que telles un qualificatif qui fige leur potentiel de manière quasi irrémédiable. De plus, les critères selon lesquels ce jugement de valeur est porté demeurent dans l’ombre pour les principaux intéressés, y compris lorsque sa traduction prend la forme apparemment objective d’une note : en réalité, les « forts » ne sont forts que par rapport aux « moyens » et aux « faibles » d’un groupe de référence, le plus souvent une classe. Mais changeons le groupe de référence et le niveau de chaque élève risque fort d’être différent, sans que cela change pour autant la relativité de l’évaluation. Cette culture évaluative, totalement intégrée dans les pratiques professionnelles depuis des lustres, apparaît comme une évidence indiscutable mais est dépourvue d’objectivité réelle, en dépit de sa traduction chiffrée : cette évaluation ne vaut que relativement à un groupe d’élèves donné, elle est fondée sur le principe de la comparaison des élèves entre eux. Au cœur de cette culture se trouve la notation chiffrée, tout particulièrement sous sa forme de « moyenne » trimestrielle qui, sous une apparence d’objectivité « mathématique », met en fait les élèves en concurrence les uns avec les autres. La conséquence est qu’on admet comme normal, quel que soit le groupe, qu’un certain nombre d’élèves restent chaque année sur le bord du chemin : c’est le phénomène de la « constante macabre », mis en lumière par A. Antibi [2].
Dans cette conception, être partisan, a priori, des groupes homogènes ou des groupes hétérogènes ne change guère à l’affaire en termes de progression. Homogénéité et hétérogénéité constituent un couple infernal dont les deux termes relèvent indistinctement du paradigme de la comparaison entre élèves. La question qui est posée aux enseignants est de décider s’il souhaitent sortir ou non de ce paradigme de l’évaluation relative pour entrer dans celui de l’évaluation objective. Quel est ce nouveau cadre de référence ?
Il est directement en prise avec la notion même de compétences. Parler de compétenceS (au pluriel) n’implique, contrairement à ce qu’on peut penser, aucun jugement de valeur sur les personnes en tant que telles mais constitue uniquement l’évaluation de ce qu’elles sont capables de faire à un instant T de leur développement. Pour déterminer ce qu’une personne est capable de faire, il faut naturellement avoir décrit auparavant en quoi ce faire consiste. C’est un des apports essentiels des contributeurs au CECRL que d’avoir réalisé cette tâche considérable (mais infinie) de description de ce que peut faire un être humain, quel qu’il soit, en utilisant une langue (les descripteurs), et d’avoir gradué ces actions sur une échelle progressive de compétences. Le terme « progressive » doit être pris au pied de la lettre, car il s’agit bien d’une échelle de progression des élèves, de tous les élèves, qui n’a de sens que dans une perspective dynamique : en effet, son intérêt principal n’est pas de contrôler le niveau atteint à un instant T (situation de certification ou d’évaluation sommative) mais de formuler les objectifs à atteindre en vue du palier de compétences supérieur à l’instant T+1. On passe ainsi à une conception de l’évaluation qui permet à chacun de se situer en dynamique par rapport à des compétences définies indépendamment de quelque groupe d’élèves que ce soit, l’échelle de référence étant commune à tous. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le terme « objective » et non dans une acception fondée sur l’illusion d’une vérité évaluative absolue, quelles que soient les circonstances et les acteurs.
Le fait que tout apprenant passe par des paliers de développement successifs de plus en plus complexes n’a rien de ségrégatif, on voit même mal comment il pourrait en être autrement. C’est ne pas prendre en compte ces paliers de progression qui devient incompréhensible et, en masquant cette réalité, contribue à accentuer les écarts, sous couvert d’une égalité de traitement superficielle. En tenir compte, par contre, permet à chacun de recevoir un enseignement adapté aux compétences qu’il a à développer. Il s’agit de faire progresser tous les élèves selon des paliers de compétence communs, mais pas de conduire tous les élèves en même temps au même palier de compétence, quel que soit leur point de départ.
Cela n’implique nullement de figer des catégories d’élèves sur la totalité des horaires de langues. Les perspectives de progression ne passent pas uniquement par des groupements différenciés selon les paliers de compétences mais pourquoi exclure ce dispositif de travail de la panoplie des outils pédagogiques disponibles ? C’est parce que les paliers de compétences sont des références communes qu’ils rendent possible une différenciation des parcours individuels sans que s’y attache une valeur ségrégative.
Quels principes de progression dans chaque module d’activité langagière ?
Tout d’abord, il faut distinguer la programmation des objectifs (qui relève de décisions globales) de la progression en vue d’atteindre ces objectifs, cette dernière dépendant préférentiellement de micro équipes d’enseignants ou des enseignants individuels. Il existe dans le même établissement, sur fond de programmation commune, des progressions différentes.
Sur quels paramètres fonder les progressions dans les modules ? Reprenons les constituants mêmes des compétences, évoqués dans un paragraphe précédent. Si les activités langagières sont des unités particulièrement adaptées à une programmation générale des objectifs, les autres types de constituants des compétences sont aussi à prendre en compte pour déterminer les progressions. Il n’est pas possible, dans le cadre de ce texte, d’en développer les principes. Rappelons pour mémoire les principaux paramètres à prendre en considération :
- la typologie des textes :
- les différents contextes d’usage de la langue et les thèmes cohérents avec ces contextes :
- les « constituants » de la langue, selon la terminologie du projet de programmes.
Nous développerons brièvement ce qui concerne non plus les contenus d’enseignement mais les paramètres liés aux situations didactiques :
Les situations didactiques relèvent aussi de paramètres susceptibles d’être pris en compte dans la détermination des progressions :
- le temps : la difficulté des activités augmente ou diminue selon le temps laissé aux élèves pour réaliser l’activité, selon la latitude de planifier une tâche ou de se rapprocher des conditions du temps réel (improvisation dans une conversation), selon le nombre d’écoutes ou la segmentation d’un enregistrement dans une compréhension orale… La langue orale est particulièrement dépendante du facteur temps, une progression des compétences orales devra le prendre en compte de façon déterminante.
- le degré de guidage ou d’autonomie dans la réalisation d’une tâche et dans son aboutissement. L’autonomie tend à croître en fonction du développement des compétences, la dévolution de responsabilités aux élèves dans la planification et la réalisation d’une tâche, en l’articulant avec des pratiques d’évaluation formative, est donc un paramètre essentiel de progression.
Des outils collectifs de planification et d’évaluation des progressions :
Programmation et progressions sont complexes à établir. Il serait illusoire d’établir une progression type sur la base de décisions précipitées et non contextualisées. Il est sans doute plus opératoire de concevoir un outil souple, que les équipes renseigneront progressivement, en fonction des activités réelles et de leur efficacité par rapport aux différents groupes d’élèves.
Cet outil, appelé tableau de progression, est en cours d’élaboration. Il est directement lié aux critères de programmation et de progression évoqués précédemment : il tient compte à la fois des présentations de type programmes et de celles de type référentiels (descripteurs du CECRL ou du PEL). Dans sa forme et son contenu, il s’inspire des tableaux de présentation des programmes de LP de février 2009 [3]l. Les lecteurs qui veulent bien se référer à ces programmes auront une première idée de cet outil, en cours d’élaboration. A l’intérieur de chaque tableau de progression, correspondant à une activité langagière, le classement progressif est fondé sur une typologie des textes, selon des critères de complexité du genre et de type discursif. En face de chaque type de texte, figurent des descripteurs et des exemples de tâches correspondantes. Reste à chaque enseignant utilisateur à concevoir les séquences d’enseignement correspondant à ces tâches.
Un outil de ce type a pour fonction d’organiser et de mutualiser les progressions suivies par une équipe, qui se dote ainsi d’une vue d’ensemble de la progression des élèves selon les échelles de compétences.
Pour être opératoire, le travail de programmation implique que les équipes se dotent aussi progressivement d’une batterie de tests éprouvés, étalonnés, correspondant aux différents paliers à évaluer.
L’ensemble de ces outils ne peut être élaboré et mis à jour que progressivement, à moyen terme, et collectivement, à l’échelle de l’établissement voire à celle du bassin.
Des dispositifs souples pour organiser ces progressions
Les modes d’organisation et de regroupement d’élèves ne sont jamais une fin en soi mais un moyen au service du projet pédagogique élaboré par les équipes d’enseignants.
Cependant, certains types de fonctionnement, comme l’organisation en micro-équipes avec alignement des horaires en barrettes (total ou partiel), laissent ouvertes plus de possibilités d’adaptation que d’autres. Il peut apparaître souhaitable de choisir un mode d’organisation le plus ouvert possible, qui demeurera compatible avec un degré de liberté individuelle à préserver et avec les inévitables évolutions futures du projet pédagogique de l’équipe langues, quelles qu’elles soient.
Les modes d’organisation et de regroupement des élèves répondent à deux fonctions principales, que l’enseignement par compétences rend particulièrement pertinentes :
- créer les conditions du travail d’équipes : la coordination entre enseignants prend sens par la nécessité d’organiser collectivement la progression des élèves vers les paliers de compétences attendus en lycée.
- adapter les types de groupement d’élèves aux besoins et profils en vue de cette progression : les effectifs de la classe sous sa forme actuelle sont trop rigides pour permettre cette adaptation. Les solutions recherchées visent souvent la réduction des effectifs des groupes (24, 20 élèves…). Mais l’habitude de raisonner à l’échelle d’une classe empêche souvent de percevoir qu’un échelon d’effectifs supérieur, rendu possible par le regroupement de plusieurs classes (2 classes ou 3 classes) ouvre des marges de manœuvre bien plus grandes : à l’échelle de 70 ou 100 élèves, l’effectif et, dans une certaine mesure, l’horaire deviennent modulables, dans certaines limites, pour s’ajuster au mieux aux décisions pédagogiques de l’équipe. La distension du lien du groupe-classe avec son enseignant de référence, pendant les périodes de groupement différencié, est atténuée par le fait que la classe reste le groupe de référence le plus stable.
Les conditions de réussite des équipes pédagogiques
Avec la mise en avant des compétences, c’est toute l’équipe des enseignants de langue de l’établissement qui est, collectivement, responsable de la progression des élèves. La responsabilité des équipes de langues est d’organiser des parcours cohérents en vue des objectifs à atteindre, quels que soient les enseignants avec lesquels les élèves passeront les trois années de lycée.
Cette nécessaire cohérence n’est pas attentatoire à la liberté pédagogique des moyens et démarches pédagogiques. Le principe de liberté pédagogique dans le choix des moyens d’enseignement ne s’oppose pas, au contraire, à l’existence d’un cadre de réflexion et d’organisation commun, plus propice à des choix personnels éclairés et responsables, en même temps qu’il améliore l’efficacité collective de l’enseignement.
Les niveaux de responsabilité doivent être différenciés pour que chacun situe clairement son rôle et son intérêt dans le cadre de cette responsabilité collective. Qui fait quoi ?
L’alignement des horaires et des objectifs de LV1 et LV2 tend à indiquer que le premier niveau de cette coordination est celui de l’équipe composée de tous les enseignants de langue d’un établissement, et pas uniquement celui des enseignants d’une même langue. Sont inclus dans ce groupe les enseignants de LV3 et les enseignants de DNL, qui contribuent dans leur domaine disciplinaire, au développement des compétences en langue. Ce niveau de décision est celui de la programmation, entendue comme définition et étagement dans le temps des grands objectifs prioritaires. Les questions traitées à ce niveau sont, de façon non limitative :
- les équilibres et complémentarités entre activités langagières (par exemple, en donnant à l’une ou l’autre des activités langagières un certain degré de priorité à tel ou tel moment d’une année ou des trois années de lycée) ;
- les décisions concernant les évaluations communes qui ponctuent la scolarité : leur nombre, leur fonction, leur périodicité, les classes concernées… Evidemment, ces décisions sont liées au premier groupe de questions ;
- les questions communes d’organisation, par exemple l’organisation horaire, le choix d’emplois du temps en barrettes, le nombre de classes concernées, les temps de concertation entre enseignants etc ;
- les priorités en matière de formation, les demandes à faire remonter aux instances académiques…
Toutes ces questions requièrent, de fait, la participation de la direction d’établissement aux décisions.
A l’autre pôle, se situe la classe, dans son fonctionnement habituel. Les enseignants sont souvent attachés au maintien d’un contact privilégié avec le groupe classe stable. Les raisons en sont nombreuses et fondées. Dans ce cadre, chaque enseignant est pleinement responsable de ses choix, qui seront d’autant plus pertinents qu’ils auront pu être discutés avec d’autres enseignants dans des temps de concertation.
Entre ces deux pôles, il y a place pour un niveau d’initiative et de décision intermédiaire. Ce peut être l’affaire d’un petit groupe d’enseignants, au sein d’une micro-équipe ayant la responsabilité d’un groupe d’élèves constitué par le rassemblement de deux ou de trois classes, appelé « cohorte » (ou autre terme à proposer) de 70 à 100 élèves environ. A cet échelon de concertation, on échange sur des décisions opérationnelles en termes de progression (et non de programmation) : choix des activités, organisation des séquences, croisements entre classes, répartitions différenciées d’élèves sur des créneaux et des volumes horaires à déterminer etc. Tous ces paramètres ne relèvent nullement des décisions d’une équipe à l’échelon de l’établissement, sauf à concevoir un fonctionnement indifférencié et bureaucratique.
Pour que ce type de dispositif fonctionne correctement, certaines conditions doivent être réunies :
- que les décisions prises à un échelon soient répercutées et réappropriées aux autres échelons ;
- qu’existe une coordination générale de l’équipe langue, assumée par une coordination collective représentative des enseignants, bénéficiant pour cette charge d’une reconnaissance institutionnelle ; la charge de coordination peut (doit ?) tourner à échéance régulière ;
- que des horaires banalisés de concertation permettent aux enseignants de se rencontrer en fonction des besoins, ce temps étant indispensable aux tâches de coordination ;
- que chaque enseignant se sente co-responsable du dispositif global et ne se contente pas de « déléguer » aux coordinateurs la responsabilité de l’ensemble, en se réservant ensuite le droit de critiquer les décisions de manière acerbe ;
- que les équipes se dotent de quelques outils et repères didactiques communs, ce qui nécessite en général une formation ou un accompagnement par un tiers.
Penser l’enseignement de langue en termes de compétences a, par conséquent, des incidences non seulement sur la définition des finalités, des contenus et objectifs d’enseignement, sur leur programmation, sur l’organisation des parcours d’apprentissage pour les élèves, mais aussi sur la conception même du métier d’enseignant : la figure de l’enseignant seul face à sa classe ne disparaît pas mais, à côté, apparaissent d’autres modalités d’intervention et d’exercice du métier, à d’autres échelons de l’établissement que celui de la classe, qui impliquent le développement de comportements ou, plutôt, de nouvelles compétences professionnelles.
De ce fait, cette perspective suscite nombre de questions et de réserves liées aux habitudes professionnelles actuelles, c’est compréhensible et il est légitime que cela soit exprimé. Le contexte général de limitation des moyens attribués aux systèmes éducatifs n’est évidemment pas pour rien dans l’expression d’autres critiques et inquiétudes. Mais il est tout aussi légitime que, en regard de ces enjeux, les questions didactiques ne soient pas occultées car elles aussi sont directement liées à l’efficacité sociale de l’enseignement des langues. Les formes sociales de la professionnalité enseignante n’existent pas isolément des finalités du système éducatif. A côté de l’organisation historique en disciplines scolaires, qui ne disparaît pas, un autre type d’organisation didactique se développe progressivement autour des compétences, créant de nouvelles dynamiques éducatives qui constituent une réponse efficace au désintérêt et à l’échec total ou relatif de trop nombreux élèves. Ce fait constitue un événement majeur dont il est essentiel que les enseignants, de langue et d’autres disciplines, s’emparent.