Le thème de l’inspection - on dit plutôt maintenant évaluation, ce qui semble marquer une certaine évolution - n’a pas été souvent traité dans notre revue, en dépit de son rôle institutionnel et de son impact sur la vie professionnelle individuelle des enseignants. En 1980, la Régionale de Lille avait lancé une enquête sur le rôle de l’inspection (compte rendu dans Les LM, n° 3, 1980) qui n’avait pas plu aux IPR locaux. Puis, en 1982, la revue avait publié [1] une grille d’évaluation - observation élaborée par un IPR d’anglais où l’on découvrait que la qualité principale du professeur était sa capacité d’animation. Les commentaires accompagnant cette grille avaient provoqué une réaction indignée de l’auteur. Cela semble prouver que, dès que l’on aborde le sujet de l’évaluation des professeurs, on a souvent tendance à mélanger institution et individu. Enfin, en 1998, après beaucoup d’hésitations, le comité de rédaction publia un numéro consacré à l’inspection que je conseillerais de relire…
Parmi les articles, un texte de Christian Puren suggérait un débat sur l’évaluation des enseignants et je voudrais reproduire ici la conclusion de son article qui me paraît toujours d’actualité puisqu’il est question de rétablir la formation des professeurs dans des établissements qui remplaceraient les IUFM.
Voici ce qu’écrivait notre collègue :
« Dans le cadre, qui se dessine très clairement depuis quelques années, du recentrage de la fonction des inspecteurs sur leur activité première d’inspection, ainsi que du découplage entre cette activité d’inspection et l’activité de formation, il est urgent me semble-t-il de revoir la conception même de l’activité d’inspection, dont le modèle actuel n’est plus adapté ni crédible. Le nouveau modèle devra être connu et accepté de tous, ce qui implique qu’il soit discuté entre le ministère, l’inspection, les IUFM... et les enseignants eux-mêmes : ce que souhaitent en effet ces derniers dans leurs rapports avec les inspecteurs, c’est exactement ce que souhaitent les lycéens dans leurs rapports avec les enseignants, selon les premières synthèses des questionnaires qui leur ont été adressés en janvier 1988, à savoir une « évolution fondamentale des attitudes (...), une meilleure qualité des relations humaines fondées sur le respect et l’écoute » (Le Monde du 13 avril 1998). Cela suppose déjà que l’on se mette d’accord sur la notion de qualité de l’enseignement. La définition proposée - cohérence construite intentionnellement au service d’une recherche d’efficacité en contexte - est sûrement à discuter, mais la définition retenue devra me semble-t-il, comme celle-ci, faire le choix des cohérences d’enseignement contextuelles contre les normes générales, et celui de la recherche construite d’efficacité maximale contre les résultats effectifs.
Cette définition implique en effet que l’évaluation d’un enseignant doit porter sur la qualité de l’enseignement, et non sur la qualité de l’apprentissage (même si la qualité d’un enseignement contextualisé s’évalue en particulier au degré de prise en compte des motivations, capacités et stratégies d’apprentissage des élèves) : les résultats des élèves dépendent en effet dans la pratique de très nombreux paramètres sur lesquels l’enseignant n’a pas ou peu de prise, et dont on sait que certains ont plus d’effet sur l’apprentissage que l’enseignement lui-même. C’est le cas en particulier du degré d’adaptation globale des élèves au système scolaire et de leur degré de motivation personnelle à l’apprentissage. Cette motivation est dite « interne », par opposition à celle que l’enseignant peut créer de l’extérieur par son enseignement, mais dont on sait qu’elle est limitée en intensité...et /ou en durée. Une évaluation intégrant le critère de la qualité de l’apprentissage constituerait en outre une injustice flagrante, puisqu’elle reviendrait à favoriser dans leur carrière les enseignants déjà favorisées dans leurs conditions de travail.
Cette définition implique enfin qu’un enseignant soit évalué principalement dans le cadre strict de sa discipline (l’enseignement de telle ou telle langue étrangère, dans notre cas), et c’est sans doute en partie parce qu’il rappelait cette exigence fondamentale - et non négociable pour des enseignants - que l’article de Régis Debray dans Le Monde du 3 mars 1998 a été affiché si longtemps dans autant de salles de professeurs. Les lecteurs se souviennent sans doute de ce texte. Répondant à un article antérieur de Claude Allègre, Régis Debray le mettait en garde contre une dérive qui consisterait à « faire noter les profs non plus par les inspecteurs de leur discipline, mais par les élèves, les chefs d’établissement, les notables locaux, au gré des régions et des bastions d’emploi », et que « le devoir d’un chef d’établissement est d’assurer l’indépendance pédagogique du maître, face aux pressions et aux violences du dehors et du dedans ». Voilà qui est assurément bien pensé et bien écrit, et je ne puis qu’y souscrire comme sans doute tous les enseignants. Tout au plus remarquerai-je que le Le Monde a préféré, aux multiples réponses à l’article de Claude Allègre qu’il a reçu des enseignants et de leurs associations (dont l’APLV), une réponse de Régis Debray. On m’objectera peut-être que c’est un collègue, puisqu’il est professeur au Collège de France, mais je ne crois pas qu’il ait jamais eu à recevoir la visite d’un inspecteur de sa discipline.
En définitive et en conclusion - et je terminerai par cette revendication actuelle de l’APLV que je fais entièrement mienne - nous ne pourrons plus longtemps encore nous passer d’une Charte de l’inspection qui fixe clairement en la matière droits et devoirs des inspecteurs et des enseignants. Les IUFM ont commencé à mettre en œuvre une nouvelle philosophie de la formation. Il est maintenant urgent de mettre en cohérence la formation et l’inspection, d’assainir les rapports entre inspecteurs, enseignants et formateurs. Cela ne pourra se faire sans une réflexion collective sur une nouvelle philosophie de l’inspection. »
C’était dans Les Langues Modernes n°3 de août, septembre, octobre 1998