Depuis la création de l’APLV, Les Langues Modernes ont publié un grand nombre d’articles sur la grammaire. Si l’on ne prend que les 40 dernières années, on peut considérer que tous les ans il y a eu, en moyenne, un article traitant d’un point de grammaire, concernant principalement l’anglais, mais également l’allemand, l’arabe ou d’autres langues. Il faudrait plusieurs pages pour les répertorier. En 1973, la revue a même publié les actes du stage de Sèvres consacré à l’enseignement de la grammaire (LM n° 4, 1973).
Concernant les langues de spécialité, ou plus récemment les langues pour les spécialistes d’autres disciplines (LANSAD), on a commencé à s’y intéresser de façon systématique dès la création des IUT [1], notamment à l’Institut National pour la Formation des Adultes (Colloque des 5, 6, 7 décembre 1967 sur l’enseignement des langues dans les IUT), avec l’introduction d’une langue vivante obligatoire, souvent l’anglais, dans les programmes des IUT. Depuis cette date, le Bulletin Pédagogique des IUT (de 1968 à 1982), relayé par Les Échanges Pédagogiques (1982-1986) puis, à partir de 1980, Les Cahiers de l’APLIUT ont régulièrement publié des articles concernant le secteur LANSAD. L’APLIUT [2] organise d’ailleurs souvent des colloques sur ce sujet.
Il n’est donc pas surprenant que Les Langues Modernes aient consacré un numéro aux langues de spécialité en 1975 (LM n° 2-3, 1975), puis un autre en 1982 (LM n°1, 1982). Depuis, la demande dans le secteur LANSAD semble s’être s’ intensifiée avec un public qui se différencie de celui des étudiants spécialistes de la langue sur plusieurs points : besoins langagiers différents, temps limité pour l’apprentissage d’une langue 2, problèmes de métalangue d’un domaine différent.
Je voudrais citer ce qu’écrivaient deux collègues en 1975 à propos de l’anglais de spécialité en biologie, sans qu’il soit question de se référer à telle ou telle théorie grammaticale, compte tenu que les travaux récents de didactique paraissent montrer l’intérêt de l’enseignement de la grammaire, simplement sur le plan pragmatique. Même si l’on n’est pas d’accord avec tous les points développés, il semble bien que l’on puisse cependant encore retenir quelques éléments. Voici la conclusion de l’article de J-M Harmand et A. Harmand intitulé « L’anglais scientifique, un faux problème » (LM n° 2-3, 1975) :
« Si on veut absolument baser l’enseignement de l’anglais sur l’étude de textes scientifiques, l’expérience montre que l’étudiant s’intéresse d’autant plus à l’anglais qu’il apprend réellement en même temps quelque chose sur le plan scientifique ; mais le même étudiant insiste pour que l’essentiel du cours soit consacré à la langue parlée véhiculaire.
C’est ce que nous a appris le cours expérimental organisé depuis quatre ans pour les étudiants de deuxième année de premier cycle en biologie de notre Université. Il était à l’origine destiné à apprendre aux étudiants faibles à lire des documents scientifiques en un an. Or il s’est avéré tout d’abord que les étudiants incapables de déchiffrer des textes scientifiques par eux-mêmes sont extrêmement rares. À notre avis, et l’expérience aidant, il est peu rentable d’organiser un cours avec des étudiants de ce type en fondant l’enseignement sur une analyse purement linguistique de textes scientifiques : le cours est ennuyeux, et l’on hypothèque lourdement la performance orale ultérieure de l’étudiant. Ou alors, pour vivifier l’atmosphère du cours, on en revient à enseigner les structures importantes découvertes dans les textes par des techniques audio-visuelles que l’on aurait mieux fait d’adopter dès le début. Il est donc préférable d’offrir à ce type d’étudiant des cours du genre audio-visuel adapté, basés sur l’anglais véhiculaire, quitte à leur présenter plus tard quelques textes scientifiques à des fins de familiarisation, mais sans jamais négliger, comme ils le demandent eux-mêmes, la pratique intensive de l’anglais véhiculaire, dont ils auront tout autant besoin dans leur vie professionnelle.
Ce cours expérimental a montré ensuite qu’avec des étudiants avancés en anglais on pouvait avoir des discussions fructueuses du point de vue de la langue, à partir de textes scientifiques. Ces discussions sont enrichies par l’usage de nombreux documents (photocopies, films, diapositives) et par des contacts sérieux entre l’enseignant d’anglais et les enseignants scientifiques ; mais elles demandent à l’angliciste un effort disproportionné de recyclage en biologie qu’on ne peut en tout état de cause demander à tout le monde.
Il n’en reste pas moins que les visages des étudiants se ferment quand ils comprennent que la séance va être consacrée à une discussion scientifique. Ils réclament toujours des cours d’anglais véhiculaire qui leur apporte une pratique plus systématique et plus rentable des structures et du vocabulaire de base, ce que ne saurait leur donner qu’un enseignant d’anglais qualifié. C’est pourquoi à notre avis il est impensable d’organiser des cours d’anglais exclusivement « scientifique » pour étudiants avancés en anglais et confiés par exemple à un biologiste anglophone certes, mais incompétent pour l’enseignement de l’anglais langue seconde.
Les problèmes de langue subsistant même à ce niveau sont toujours enseignés de façon plus profitable avec du matériel audio-visuel ou audio-oral se référant à la vie courante, affective, des étudiants, dans des situations où le réemploi par sketches, role-playing, etc... est plus naturel, donc plus fructueux.
En conclusion, l’anglais « scientifique » semble se ramener à des problèmes mineurs de lexique. La seule vraie difficulté serait la prononciation et la compréhension orale de mots que L. Guierre appelle « learned constructions » : ce problème peut se régler par des exercices systématiques, extrapolés de Drills in English Stress Patterns, L. Guierre (Longmans 1970), et intégrés à des exercices de rythme et d’intonation à l’intérieur de cours d’anglais véhiculaire, car la règle d’accentuation pour « biology » est la même que pour « geography » ou « pornography ».
La considération primordiale est que les scientifiques sont souvent peu « vocaux », sur-développés du point de vue écrit, mais inhibés du point de vue de l’expression orale, et que le principal obstacle est dû à des blocages d’ordre socio-psychologiques. Ce qui compte avant tout pour l’enseignant d’anglais, c’est de les mettre dans une situation où ils ont envie de comprendre l’anglais, de poser des questions, de parler, ce qui, bien entendu, dans un milieu scientifique, revient parfois à débattre de sujets scientifiques. Un enseignement portant trop sur des documents écrits, ne fait que renforcer chez les auditeurs leurs attitudes et tendances négatives du départ.
Un enseignement de l’anglais « véhiculaire » de type audio-visuel adapté, incluant jeux, débats, chansons, exposés, et centré sur des activités de groupe est à notre avis, la façon la plus rapide de faciliter leur appropriation de la langue dont ils ont tellement besoin dans leur vie professionnelle ».
C’était dans Les Langues Modernes n° 2-3, 1975.