Gilbert DALGALIAN, « Présent et avenir des langues : une question de civilisation », Editions Lambert-Lucas, 24€
Gilbert Dalgalian est un homme de convictions, généreux, soucieux d’aller chercher dans tous les domaines les réponses à ses questions, passionné par les langues, leur enseignement et les contacts humains qui les fondent et les nourrissent. Sans jargon, avec le souci de vulgarisation le plus respectueux de ses lecteurs, il leur livre un argumentaire solide en faveur d’un enseignement humaniste, égalitaire et efficace des langues.
« Il n’y a tout simplement pas de langue sans socialisation », rappelle-t-il, et ce qui devrait être une évidence pour tous, parents, enseignants, pouvoirs publics, a encore besoin d’être démontré, étayé et justifié. Gilbert Dalgalian est allé chercher ses arguments chez les neuroscientifiques, chez les théoriciens du plurilinguisme, chez les didacticiens, et il en est revenu avec des convictions, que Georges Lüdi résume dans sa préface : plaidoyer pour la glossodiversité, pour l’éducation bilingue précoce, pour le bain linguistique.
Le concept de glossodiversité, que Gilbert Dalgalian forge sur celui de biodiversité, est la reconnaissance que l’espèce humaine est évolutive, donc éducable, adaptable, diverse et métissée. Comme l’écrit Pierre Escudé dans la postface de l’ouvrage, « le plurilinguisme est la forme naturelle du langage ». Mais la République Française jacobine et son Education Nationale ont érigé le monolinguisme en principe, ce qui les amène à refuser les compétences des enfants multilingues, à les éloigner de la littératie, parfois à provoquer leur refus du système éducatif et de la République et de ses valeurs. Dalgalian le dit superbement : « Nous voilà au cœur du blocage : on recherche l’unité et l’égalité dans l’uniformité des citoyens ; on accorde au nivellement linguistique et culturel des attributs qu’il n’a pas. Ce nivellement n’est pas synonyme de démocratie ni de République ; il est synonyme de non-respect du peuple dans ce qu’il a de plus profond, son parler. Or le respect est le fondement de toute démocratie. »
L’éducation bilingue précoce est, comme on le sait depuis les études canadiennes des années 1960, et comme de nombreuses études le confirment, un levier irremplaçable pour permettre aux enfants de développer de manière inconsciente des aptitudes à conceptualiser, confronter, comparer, se décentrer, qui leur serviront tout au long de leur vie et faciliteront, en particulier, leur aptitude à apprendre d’autres langues de manière tardive. Gilbert Dalgalian fait à son tour la démonstration de l’efficacité de l’enseignement bilingue en comparant les performances en anglais d’écoliers vannetais en classes bilingues breton-français et en classes monolingues traditionnelles.
L’auteur définit le bain linguistique comme « produire des contenus et les échanger dans de vraies interactions avec de vrais interlocuteurs ». Il encourage donc les enseignants à multiplier les contacts avec des intervenants et des classes étrangères, mais aussi à développer ce qu’il nomme des UTL (utilisations transdisciplinaires de la langue) de grande envergure.
« Présent et avenir des langues : une question de civilisation » semble parfois à des années-lumière du système éducatif et de ce qu’il offre, mais ce livre est, comme l’écrit Pierre Escudé, « un ouvrage heureux », un encouragement fourmillant d’idées à lutter pour avoir plus d’heures de langue, à multiplier les classes bilingues et les programmes incluant des cours d’autres disciplines en langue, et à reconnaître et développer les langues de proximité culturelle que sont les langues régionales, celles de l’immigration et celles de nos voisins les plus proches.
Jean-Luc Breton