Robert Terrasi-Fiorini, « La scolarisation des élèves allophones en France et aux Etats-Unis », Ed. L’Harmattan, 2021, 27.00€
L’ouvrage de Robert Terrasi-Fiorini s’ouvre sur deux chapitres où l’auteur détaille les mesures prises depuis 70 ans environ en France et aux Etats-Unis pour faciliter l’intégration linguistique, scolaire et sociale d’enfants allophones, c’est-à-dire « dont la langue maternelle est une langue étrangère dans la communauté où elle se trouve ». Au passage, un nombre important de définitions et d’éclairages sur les différentes théories didactiques et neurodidactiques et les programmes de remédiation qui s’en inspirent sont donnés.
Le troisième chapitre, intitulé « La didactique de la littératie scolaire en L2 », pose, avec beaucoup d’honnêteté et de finesse, la question centrale, qui intéressera les professeurs de langues vivantes, de la manière dont une langue s’acquiert et s’enseigne efficacement. Certaines théories préconisent le bain linguistique total, appelé quelquefois par dérision « sink or swim », d’autres défendent l’idée qu’il faut maîtriser sa langue maternelle (L1) pour réussir l’apprentissage de la langue de scolarisation (L2), vouant donc les programmes de remédiation à l’échec, d’autres insistent sur l’apprentissage formel des éléments de la langue, d’autres enfin choisissent l’étayage (« sheltered instruction ») dont le but est, au sein de structures spécifiques, de guider l’appropriation de la L2 à travers ses variétés et ses usages, compétences communicatives interpersonnelles de base d’une part, compétences scolaires, puis compétences académiques et intellectuelles de haut niveau d’autre part. Les programmes destinés aux allophones aujourd’hui, en France comme aux Etats-Unis, s’appuient sur ces théories de l’étayage, développant, en parallèle des cours de L2 du type FLE ou ESL (English as a second language), des cours de DNL dans diverses disciplines.
S’appuyant sur les travaux de Jimenez, Garcia et Pearson, l’auteur fait justement remarquer le rôle primordial des représentations que les élèves allophones et leurs familles se font de l’apprentissage de la langue du pays de résidence. Les trois chercheurs américains cités ont mis en évidence que les enfants qui réussissent sont ceux qui font confiance à leurs compétences en L1 et savent s’appuyer sur elles pour acquérir L2. On comprend dès lors que les classes d’accueil d’enfants allophones sont aussi des lieux de vie et de mise en confiance et que le travail des professeurs qui les encadrent va bien au-delà de l’enseignement de compétences langagières.
Les deux derniers chapitres de l’ouvrage s’intéressent justement à l’observation du terrain dans six structures différentes en France et aux Etats-Unis. Au-delà de l’hétérogénéité des dispositifs d’accueil, dans ces chapitres, Robert Terrasi-Fiorini réussit à mettre en évidence que l’on a bien affaire à deux conceptions radicalement différentes du métier d’enseignant et des politiques scolaires. Les enseignants français sont libres de leur pédagogie et de leur choix de supports (l’une des enseignantes dit « Nous n’avons aucun programme ni curriculum à respecter émanant d’une quelconque hiérarchie »), l’institution n’évalue en général pas le travail des classes d’accueil et se contente d’exiger que les élèves ne passent que deux années (exceptionnellement trois) dans ces structures avant de rejoindre des classes ordinaires, en général sans soutien linguistique ou scolaire. Robert Terrasi-Fiorini évoque d’ailleurs avec humour le flou théorique dans les propos des enseignants impliqués, qui pratiquent certaines pédagogies sans le savoir et nient les employer lors de leurs entretiens avec le chercheur qui les a pourtant vues mises en œuvre dans leurs cours.
Aux Etats-Unis, à l’inverse, malgré la décentralisation de l’éducation et l’éloignement géographique entre les trois structures étudiées, prévaut une organisation de type managérial. Les objectifs des cours d’ESL sont fondés sur des référentiels en principe établis par chaque état mais en fait presque toujours adoptés à partir de programmes développés par des universités et reconnus nationalement, et les progrès des enfants sont évalués avec régularité, parfois chaque semaine lors d’entretiens informels, au moins chaque année, de façon formelle. Les professeurs reçoivent des formations fréquentes, parfois obligatoires, organisées par les organismes qui publient les manuels et les supports pédagogiques utilisés. Les élèves qui quittent les programmes pour allophones sont suivis et, en cas de nécessité, aidés à nouveau, pendant plusieurs années.
Robert Terrasi-Fiorini ne prend parti pour aucun des deux systèmes, et on lui en sait gré, parce que le corps enseignant français est attaché à son indépendance et n’apprécierait pas que, sous prétexte de l’aider à accomplir sa tâche, on lui impose manuels, formations et évaluations émanant de structures commerciales. A tout prendre, les professeurs français préfèrent le stress créatif de la préparation des séquences et de la conception des supports au stress évaluatif d’une gestion managériale. La comparaison des deux systèmes aide cependant à mettre en perspective attitudes et pratiques, ce qui est, après tout, la raison d’être d’ouvrages tels que celui-ci.
Jean-Luc Breton