Aura Luz Duffé Montalván, Griselda Drouet, David ar Rouz, L’apprenant dans l’enseignement et dans l’apprentissage des langues, EME Editions, 38.00€
Cet ouvrage est le prolongement d’un colloque organisé à Rennes en 2019 sur le thème, si fondamental, de la prise en compte de la dimension humaine dans l’enseignement/apprentissage des langues. Il réunit une vingtaine de contributions d’enseignants-chercheurs dans différentes langues, abordant la question centrale de la place de l’apprenant selon quatre axes : les processus d’apprentissage, la place de l’apprenant dans les recherches empiriques, les langues de spécialité et la diversité des langues.
Dans sa contribution, Jean-Pierre Cuq soulève la question de la terminologie : « Le terme d’« apprenant » ne s’est pas imposé sans mal et il est encore aujourd’hui moqué comme jargonnant », mais par quoi le remplacer ? Les alternatives, « enfant », « disciple », « élève », sont, selon Jean-Pierre Cuq, « disqualifiées » parce qu’elles enferment le sujet apprenant dans la passivité ou la soumission. Les termes d’« élève » et d’« étudiant » ont, en outre, l’inconvénient de faire, dans le langage commun, référence à un niveau d’étude particulier.
La vision de l’apprenant telle qu’elle est développée dans le livre est celle d’un acteur social (Jean-Pierre Cuq), d’un « apprenant-chercheur » (Alice Delorme Benites). On l’aura compris, l’ouvrage est un plaidoyer informé en faveur d’un humanisme pédagogique, d’une approche qui privilégie l’individuel et le labile plutôt que le systématique et le mécanique, par humanisme, mais aussi, et c’est fondamental, par souci d’efficacité.
Certains des auteurs s’en prennent explicitement à la rigidité déshumanisante de certaines théories et pratiques dans l’enseignement des langues d’aujourd’hui. Georges-Daniel Véronique, dans sa préface, pourfend le « profilage de l’apprenant » par le CECRL, Jean-Paul Bronckart rappelle que « les éléments de savoir savant à propos des capacités biologiques ou strictement cognitives des enfants (émanant de Chomsky, Fodor, Piaget ou Dehaene) ne sont pas inutiles pour la culture générale des formateurs, mais ne sont pas utilisables dans leur travail concret de formation/éducation ».
Georges-Daniel Véronique rappelle que l’objet de l’enseignement/apprentissage n’est pas l’acquisition « de la langue telle qu’elle est conceptualisée par la linguistique structurale », mais la confrontation « à des pratiques langagières ». En fait, ce que les auteurs de "L’apprenant dans l’enseignement et dans l’apprentissage des langues" conçoivent puis mettent en œuvre dans leurs pratiques de classe, et partagent ici avec les lecteurs, c’est une réelle pédagogie actionnelle, qui tienne compte non d’injonctions généralisantes émanant de théoriciens de la cognition, mais de la réalité des apprenants. Jean-Paul Bronckart rappelle qu’il y a « une importante variabilité inter-individuelle aussi bien qu’intra-individuelle » donc « une pluralité de processus développementaux » et conclut que « les facteurs susceptibles de déclencher [l]es processus de transit entre capacités d’action et connaissances sont de diverses natures (affective, cognitive, sociale, etc.) et leur efficacité respective varie en fonction de l’histoire formative des apprenants ». Jean-Paul Narcy-Combes et Marie-Françoise Narcy-Combes considèrent qu’« il apparaît de plus en plus clairement que l’on gagne à partir de l’apprenant tel qu’il est, pour aller avec lui vers des objectifs négociés si on veut qu’il se sente pris en compte ».
Pour ce faire, il s’agit d’aider les élèves et les étudiants à « abandonner la posture essentiellement réceptive […] pour prendre la barre de [leurs] études et de [leur] apprentissage », c’est-à-dire se lancer dans « une démarche de découverte et d’investigation […] selon le principe de l’apprentissage par la recherche », qui est une « expérience cognitive, émotionnelle et sociale d’un processus dans son ensemble » (Alice Delorme Benites). Une autre des autrices, Christine Evain, encourage à percevoir l’apprenant « sous un jour nouveau : il est acteur de sa propre formation, un acteur exigeant, souhaitant entrer dans une démarche actionnelle, dynamique, durable ». Elle en conclut : « Ce nouvel apprenant est une chance pour le formateur […]. En effet, l’enseignant-concepteur se situe loin de son ancien rôle de rabâcheur de lexique spécialisé, et, tout comme ses apprenants, il entre pleinement dans une démarche de découverte, source d’un plaisir d’apprentissage ». En d’autres termes, l’enseignement devient plus efficace d’être un processus collaboratif entre un « enseignant-concepteur » (Christine Evain) qui ne se place pas « au-dessus » (Magdalena Zehetgruber et Nina Kulovics) et des « apprenants-chercheurs » (Alice Delorme Benites) impliqués.
Par une heureuse synthèse entre articles didactiques et analyses de pratiques, l’ouvrage coordonné par Aura Luz Duffé Montalván, Griselda Drouet et David ar Rouz suscite la réflexion et l’étaye. Il est à ce titre particulièrement intéressant et précieux.
Jean-Luc Breton