Pour le clic de l’APLV du jeudi 30 mai, nous avons eu le plaisir d’accueillir Karin Fischer, enseignante-chercheuse en civilisations britannique et irlandaise à l’Université d’Orléans.
Dans un premier temps, Karin Fischer a brossé un panorama des évolutions politiques et sociétales de la République d’Irlande depuis son indépendance. Dans un désir de se différencier du Royaume-Uni, ancien pays colonisateur et plus proche voisin de la République, celle-ci a fait dès ses débuts le choix d’une « projection identitaire » selon deux dimensions, catholique et celtique. Ces dimensions sont tellement prégnantes qu’un siècle après l’indépendance, elles fixent encore le cadre du système éducatif du pays. Par exemple, malgré les réticences des élèves et des familles, l’enseignement du gaélique reste obligatoire et les cours d’histoire font la part belle au récit national gaélique et catholique. Malgré la baisse drastique de la pratique religieuse et les scandales divers révélés depuis les années 90 sur le traitement des orphelins, des enfants de familles pauvres, des mères célibataires ou des « femmes pas suffisamment catholiques » par l’Eglise, les politiciens irlandais continuent d’affirmer le caractère chrétien de l’Irlande.
Les années 90 constituent un tournant pour le pays. Le boom économique du « tigre celtique » attire à cette époque-là une « immigration importante et rapide » ainsi qu’une « rémigration » d’Irlandais dont les ancêtres avaient quitté le pays au 19e siècle ou au début du 20e. Ces « nouveaux Irlandais », bien évidemment pas tous catholiques, ont amené un changement net des mentalités en s’affranchissant des dogmes et des pratiques de l’Eglise. L’Irlande connaît une évolution sociétale « marquée », manifestée lors des référendums successifs qui, depuis les années 90, ont légalisé le divorce, les mariages entre personnes du même sexe et l’avortement. Aujourd’hui, l’Irlande reste une terre d’accueil, deuxième pays le plus mondialisé derrière les Pays-Bas, avec 12% d’étrangers (beaucoup plus qu’en France, où ils représentent moins de 8% de la population), et sans partis politiques xénophobes.
Malgré cette évolution sociale et cette ouverture aux autres, le système éducatif n’a pas suivi. Karin Fischer note « très peu d’évolutions », une « permanence structurelle » de la mainmise de l’Eglise catholique et, dans une moindre mesure, de l’Eglise d’Irlande (anglicane). Près de 90% des écoles primaires sont catholiques et 48% des écoles secondaires sont interconfessionnelles. Il reste encore beaucoup d’écoles non-mixtes, les églises sont présentes dans les conseils d’administration, et même si la possibilité d’exemption de l’enseignement religieux existe, elle est peu appliquée.
Bien sûr, des résistances existent. Des associations comme Educate Together ou les Community National Schools se constituent pour fonder et administrer des écoles non-confessionnelles ou multi-confessionnelles, mais elles ne représentent que moins de 1% des écoles du pays. Finalement, selon Karin Fischer, ce sont les enseignants qui constituent le fer de lance de l’évolution, avec des organisations syndicales puissantes et « assez radicales ». Les gouvernements se sont en 2020 et en 2022 engagés à amener le sujet de la laïcité de l’enseignement devant le peuple par le biais du référendum, mais pour l’instant, sans concrétisation de ces engagements.
Le prochain clic de l’APLV aura lieu le jeudi 13 juin. L’intervenante sera Aura Duffé, enseignante-chercheuse d’espagnol à l’Université Rennes 2, qui nous parlera des deux "faces" de l’enseignement des langues : celle de l’enseignant et celle de l’apprenant. Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire en écrivant au webmestre de l’APLV : web@aplv-languesmodernes.org