Le clic de l’APLV sur « Les deux "faces" de l’enseignement des langues : celle de l’enseignant et celle de l’apprenant » - compte rendu

jeudi 20 juin 2024
 BRETON Jean-Luc

Pour le dernier clic de l’année universitaire, l’hispaniste Aura Duffé a, le jeudi 13 juin, proposé une réflexion de nature épistémologique sur la didactique.

Le concept de « face » qu’Aura Duffé reprend a été développé initialement par le sociologue américain Erving Goffman pour caractériser les interactions langagières dans un contexte social. Il faut comprendre le terme dans le sens qu’il a dans des expressions comme « perdre la face » ou « sauver la face ». Appliqué, comme le fait Aura Duffé, à la situation d’interlocution dans le cadre scolaire, ce concept rend manifeste que ce qui se joue dans une salle de classe est de l’ordre d’une tentative de la part de l’enseignant et de celle des apprenants de protéger « leurs territoires » de « l’invasion de l’autre » en préservant à tout prix, et parfois au-delà du raisonnable, leur « face ».

Le corpus analysé par Aura Duffé dans sa recherche, provenant de classes de réseau REP, met en évidence une série de propos enseignants tenus pour ne pas perdre la face, soit afin d’affirmer une autorité, soit pour rétablir un cadre propice aux apprentissages. Aura Duffé analyse ces interventions d’enseignants en fonction de la nomenclature des attitudes (ou « faces ») posée par le psychologue Elias Porter, qui classe les rapports sociaux en termes d’action sur les interlocuteurs. Selon Porter, l’attitude et les discours des enseignants peuvent être de différentes natures, paternalistes, évaluatifs, interrogatifs, interprétatifs, de démission ou d’écoute. Dans le corpus analysé par Aura Duffé, les professeurs sont très souvent dans une posture de préservation de la face, et donc imposent leur parole par l’ironie, l’autoritarisme, la démission (« Ce n’est pas mon problème »), rarement par l’écoute (quand « on s’efforce de rentrer dans le monde de l’autre »). Et évidemment, les élèves réagissent en fonction des catégories de comportement prédites par Porter : refus, inhibition, dissimulation, provocation, surenchère, etc., également dans le but de préserver leur face.

En d’autres termes, parmi les six types d’attitudes d’Elias Porter, il conviendrait d’orienter les pratiques enseignantes vers davantage d’écoute. Selon le psychologue américain, lorsqu’ils sont écoutés, les apprenants prennent confiance, deviennent plus responsables, « s’ouvrent » davantage à l’enseignant et à son discours. Mais, évidemment, comme le dit Aura Duffé, se pose la question : « Comment maintenir une attitude d’écoute, par exemple face à un élève qui ne cesse de parler en classe ? »

L’analyse des Bulletins Officiels révèle que l’institution assigne des places aux deux parties. Elle définit primordialement le rôle de l’enseignant en termes d’expertise et celui de l’apprenant en termes de respect (des règles, des personnes, des délais, de la déontologie). Aura Duffé fait remarquer que ces deux « faces » préconisées ne sont pas symétriques et elle se demande si cette asymétrie n’a pas pour effet d’entraîner les deux parties à l’échange vers une lutte pour garder la face qui favorise le conflit et rend moins efficaces la négociation et la communication acquisitionnelles.

Même si l’asymétrie est constitutive de la situation d’interlocution dans un cadre scolaire, une conception où expertise et respect sont davantage partagés (les élèves ont des domaines d’expertise, comme la connaissance de langues familiales ou des expériences de vie communicables ; les enseignants respectent leurs élèves en reconnaissant cette expertise) pourrait contribuer à l’amélioration du climat scolaire et à l’efficacité des apprentissages.


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