Publié dans Les Langues Modernes 4/2008
La chanson semble avoir toujours été un outil privilégié pour les professeurs de langues. La lecture des anciens numéros de la revue en porte témoignage. Les Langues Modernes publiaient, en 1908, le texte d’une conférence faite à l’Association Pédagogique de Lyon par M. Jehl, professeur au lycée Ampère, et intitulée Le chant dans les classes de langues modernes. L’introduction de cette conférence, reproduite ci-après est un véritable plaidoyer en faveur du chant.
« Le chant fait à bon droit partie des matières de l’enseignement. C’est le langage des émotions, des passions humaines, qu’il convient de diriger, d’idéaliser, afin de parfaire l’œuvre de la famille et de l’école. Aussi a-t-il toujours été à l’honneur dans le monde et, sans remonter à la fable ou à la légende héroïque, nous savons que les Anciens lui attribuaient une influence considérable. Le chant était pour eux le meilleur moyen d’habituer les citoyens à l’ordre, à l’harmonie sociale. Un Athénien devait savoir chanter, faute de quoi son éducation passait, comme celle de Thémistocle, pour négligée.
Ai-je besoin de dire l’essor qu’a pris le chant de nos jours ? S’il n’est guère de localité, d’importance même secondaire, qui n’ait sa Fanfare ou son Harmonie, combien en trouverait-on qui soient privées d’une Chorale ? Depuis quelques années, le chant s’est même associé à nos concerts militaires ; avec quel succès, vous le savez. C’est que le chant est naturel à l’homme, c’est qu’il a été pour lui la première et la plus douce des langues, celle qui a provoqué ses premiers sourires et calmé ses premières douleurs.
Chez les enfants, c’est le chant qui est la première forme esthétique de l’éducation. C’est lui qui leur permet de sentir le plus facilement le charme produit par ce qu’ils ont su bien dire bien et la satisfaction délicieuse d’avoir eu leur part dans la production de quelque chose de beau. Est-il nécessaire de démontrer l’importance de telles impressions pour les progrès d’une intelligence ? Peut-on contester qu’elles soient un puissant encouragement à l’activité et aux progrès, un préservatif contre les fautes du premier âge, et plus d’une erreur de la jeunesse ? Et le maître lui-même n’a-t-il point sa part de ces impressions - qu’il fait naître - et où, par répercussion, il trouve un délicat souvenir et un stimulant précieux ?
C’est pour ces motifs, et d’autres, que j’aurai l’occasion de vous exposer que plusieurs - j’aurais voulu dire beaucoup - d’entre nous ont rêvé d’associer le chant à leur enseignement. Attrayant comme exercice, ravissant comme langage du cœur, le chant est de plus, chez nous, un bon instrument de travail, voire de discipline. C’est qu’on ne chante pas chaque jour, dans nos classes. Parfois l’attention n’a pas été assez soutenue ; les moyennes des leçons et des devoirs ont été trop faibles ; il a été commis quelque grosse faute, ou bien un élève a été particulièrement désagréable. Et alors… on ne chante pas.
Il faut avoir vécu ces instants pour juger de l’émotion produite par une mesure qui ne frappe pas que les enfants. La déception se mêle au regret, qu’ils éprouvent, et ils le font à l’occasion sentir au camarade qui a pu être la cause du mal. Le chant est donc un besoin naturel chez l’enfant ; il est pour lui la meilleure des récréations et la récompense la plus appréciée ! Et quand il chantera spontanément, nous saurons qu’il a le cœur en paix et l’âme ouverte au Beau et au Bien.
Wo man singt, da lass dich ruhig nieder !
Bose Menschen haben Keine Lieder.
C’était dans Les Langues Modernes n° 7 de juillet 1908.