L’APLV avait réagi à la mise en place d’une mission, confiée à l’Inspectrice Générale Chantal Manes et au journaliste Alex Taylor, sur l’amélioration de la maîtrise des langues vivantes étrangères par les jeunes Français, puis avait mis en ligne son compte rendu de l’entretien qu’elle avait eu avec Madame Manès . Le rapport de la mission a été rendu au Ministre de l’Éducation Nationale le 12 septembre.
Les auteurs du rapport reprennent en préambule les éléments d’analyse posés par le Ministre. Ils reconnaissent le travail quantitatif et qualitatif fourni par les enseignants de langues et les efforts et la motivation des élèves. Au-delà de cet hommage nécessaire et mérité, Madame Manes et Monsieur Taylor ont beaucoup de mal à expliquer comment un système si manifestement dynamique et performant, voire proposant des cours « parmi les plus innovants » (p.19), « arrive bien au dernier rang des pays européens quant à la maîtrise des langues étrangères » (p.3) et maintient de fortes inégalités liées à l’origine sociale et au genre. Ils reprennent sans vraiment convaincre les explications classiques sur la distance phonologique entre langues : par exemple, on lit que « Les Néerlandais sont surtout bons en anglais en raison de la forte similitude grammaticale et phonétique des deux langues » (p.20) mais qu’« il est plus efficace d’apprendre d’abord une langue très contrastée avec sa propre langue maternelle » (p.50). Les auteurs du rapport convoquent aussi l’argument habituel de la peur qu’induit un système d’évaluation chiffrée qui paralyse les performances des élèves, mais le font de manière par trop caricaturale : « certains professeurs se précipitent pour sanctionner la moindre inexactitude avec toute une armada de points et de fractions de points qu’il convient de soustraire de la perfection totale, à savoir 20 » (p.56).
Les auteurs du rapport se livrent à un autre exercice d’équilibrisme lorsqu’ils détaillent certaines des mesures qu’ils proposent, sans entrer dans la question des moyens. Quand ils évoquent les effectifs, ils indiquent que « la réalité des chiffres est assez difficile à établir » (p.38), puis citent des données contradictoires émanant de différents services du ministère, avant de conclure sur un paragraphe plus lumineux : « Ces données […] établissent […] que les effectifs en France sont parmi les plus élevés d’Europe. […] L’Estonie a des groupes classes de 15 à 16 élèves, y compris en langues […]. Les responsables avec qui nous avons échangé ont confirmé que c’est un des facteurs identifiés des très bons résultats scolaires de ce pays. » (p.39).
En ce qui concerne les horaires, on citera intégralement deux paragraphes du rapport (p.52) :
« La question des horaires de langues vivantes occupe une place centrale dans les préoccupations exprimées par les enseignants. La diminution des heures de la discipline, particulièrement au lycée, est difficilement acceptée. Leur demande porte en priorité sur l’augmentation à trois heures dans le tronc commun, ce qui permettrait de travailler une heure en groupes dédoublés.
La présente mission n’est bien entendu pas opposée à une telle demande tout en étant consciente qu’elle emporte des conséquences budgétaires lourdes qui risquent d’en affaiblir la faisabilité. »
Quand le Ministre supprime des postes d’enseignants par milliers, on ne peut en vouloir aux auteurs du rapport d’avancer avec beaucoup de prudence sur ces questions ! L’APLV, qui avait clairement exprimé son point de vue sur les horaires et les effectifs lors de son entrevue avec Madame Manès, ne peut que rappeler que, pour elle, ces deux questions sont d’une importance capitale et que, si rien n’est fait pour donner aux professeurs et aux élèves de bonnes conditions d’enseignement et d’apprentissage, le constat que l’on fait aujourd’hui sur l’enseignement des langues dans l’école française sera encore d’actualité lorsque, dans quelques années, une autre mission sera mandatée pour produire un nouveau rapport sur la même question.
D’autres propositions volontaristes concernant le collège et le lycée sont faites par les auteurs du rapport, même si elles ne sont en rien nouvelles : développement du numérique, des DNL, de la mobilité, recrutement de locuteurs natifs vivant en France pour pallier le manque d’assistants étrangers. L’APLV souscrit évidemment à ces propositions, mais rappelle que, sauf à aider les enseignants à organiser les activités extrascolaires, à simplifier les démarches administrativo-légales, à créer des postes d’agents chargés du parc informatique dans chaque établissement, à recenser, reconnaître et former les collègues susceptibles d’enseigner leur discipline en langue étrangère ou régionale, c’est-à-dire à se donner les moyens matériels et humains de multiplier ces modalités et techniques d’enseignement, rien ne changera vraiment au collège et au lycée.
En termes de pédagogie, la mission fait preuve d’une prudence normande : elle réaffirme sa foi en l’approche actionnelle, qui « a permis de s’affranchir de la poursuite, dans le cadre scolaire tout au moins, du modèle idéal et inatteignable d’un locuteur natif, au bénéfice de la recherche d’une capacité à communiquer de façon efficace » (p.7) mais propose de lui apporter quelques amendements, surtout en renforçant le rôle de la grammaire, à la demande, semble-t-il, des éditeurs, dont l’objectif n’est pas (faut-il le rappeler ?) principalement pédagogique ; elle regrette que les performances des élèves soient les plus faibles en expression écrite mais propose de renforcer l’oral et de repousser la consolidation de l’écrit au cycle terminal (p.41) ; elle maintient quatre notions communes à toutes les langues en lycée, mais suggère d’en diversifier le contenu en précisant « les étapes de la progression linguistique et culturelle » (p.42) et en proposant que les enseignants puissent faire des choix dans des listes d’objets d’étude (p.42). L’APLV restera vigilante et interviendra auprès du Conseil Supérieur des Programmes et du ministère pour faire entendre ses demandes de clarification et de cohérence en matière de pédagogie des langues vivantes.
Lors de son entrevue avec Madame Manès le 5 juin, l’APLV était longuement intervenue sur la formation des professeurs des écoles. Nous sommes particulièrement satisfaits d’avoir été entendus sur cette question, puisque le rapport reprend notre constat que « la formation initiale des professeurs des écoles ne les arme pas efficacement pour assurer » l’enseignement des langues (p. 32), et fait, sur le court et le moyen terme, un certain nombre de propositions que nous avions suggérées ou défendues : encouragement à la mobilité des enseignants dans les pays de la langue étudiée ; évaluation de leur compétence en langue aux concours de recrutement ; développement de la formation continue. Le rapport envisage aussi, pour l’école élémentaire, la possibilité d’introduire des horaires de langue vivante très importants (le chiffre de 44 %, correspondant à la situation luxembourgeoise, est même cité p. 50), c’est-à-dire un enseignement de DNL substantiel. L’écho médiatique de cette annonce a trop souvent occulté les autres propositions intéressantes du rapport, comme l’encouragement à la mobilité des professeurs de langue, professeurs des écoles et intervenants en DNL ainsi que les nombreuses zones d’ombre et/ou motifs d’inquiétude qu’il contient ou fait naître.