Nous avons souhaité pour ce dernier numéro de l’année 2019, proposer une réflexion nouvelle sur une thématique « sous tension » : l’évaluation et les certifications.
Les problématiques soulevées par ces sujets ne sont pas nouvelles. En effet, les professeurs se sont toujours posé le problème des enjeux de la notation de leurs élèves, comment et par qui. Ainsi, dans le numéro 23-25 du Bulletin de la Société des Professeurs de Langues Vivantes de l’Enseignement Public paru en octobre 1905, un professeur se plaint de la façon avec laquelle certains examinateurs ont fait passer l’épreuve orale de langue vivante aux candidats :
À Paris, nous avons vu nos élèves jugés, pour la langue du deuxième cycle, par des examinateurs qui ne paraissaient en avoir qu’une connaissance très approximative, et qui d’ailleurs, se débarrassaient de cette partie de leur tâche, avec une hâte et une insouciance dont les candidats eux-mêmes étaient choqués. Et le caractère de l’épreuve, qu’on s’attendait à voir aussi pratique que possible, devenait souvent des plus fantaisistes : tel professeur d’allemand, en souvenir sans doute de son concours d’agrégation, demandait aux élèves d’improviser la traduction d’un texte allemand en anglais, exercice qui, dans la circonstance, était absolument déplacé, car il s’agissait de donner une note d’anglais, et l’allemand n’avait pas à intervenir. Un autre examinateur qui, comme le premier, se gardait de jamais prononcer un mot d’anglais, faisait rapidement traduire ou résumer en français, quelques lignes d’un texte, et donnait, sans plus d’affaire, une note oscillant entre 8 et 12, annulant ainsi presque complètement, dans l’ensemble de l’examen, l’influence de l’enseignement qu’il avait pour mission de sanctionner. »
« Notes » et « notations » ont longtemps été les seuls termes employés. Le terme d’« évaluation » apparaît pour la première fois dans Les Langues Modernes en 1984 en relation avec les nouvelles épreuves du baccalauréat de 1983. Dans la note de service du 27 juin 1983, reproduite dans le numéro 1/1984, nous pouvons lire à propos de ces nouvelles épreuves :
« Des exigences fondamentales de validité, de fiabilité, de simplicité sont à respecter tant au niveau de la conception que de la présentation des sujets :
– pour être valide, le mode d’évaluation doit correspondre à l’objectif précisément défini qu’il s’assigne, de manière à limiter les risques d’interférences avec d’autres objectifs.
– pour être fiables, les tâches proposées seront nombreuses, diversifiées et conçues de manière à permettre une évaluation aussi objective et aussi précise que possible.
Les recommandations suivantes n’ont pas pour objet d’imposer un modèle uniforme d’épreuves. Le large éventail des tâches proposées à titre d’exemples laisse aux commissions rectorales une grande possibilité de choix. Mais quelle que soit la forme que prendra l’épreuve, les professeurs du second cycle n’oublieront pas que les procédures d’acquisition de la langue et les procédures d’évaluation sont de nature différente.
Le premier numéro des Langues Modernes entièrement consacré à l’évaluation est le n° 4/1984. Dans son article « Programmes et évaluation » Antoine Beck écrivait :
Noter, évaluer, c’est mesurer. Les enseignants mesurent ce qui est mesurable dans le comportement humain, dans les conduites des élèves. Il est donc normal que toute évolution qui se manifeste dans les conceptions pédagogiques ait des répercussions sur la pratique de la notation et de l’évaluation. Or, dans la didactique des langues, nous avons connu depuis à peu près un siècle des modifications profondes, dont les facteurs relèvent de plusieurs domaines.
Ce qui intervient tout d’abord dans cette évolution, c’est le développement des sciences pédagogiques et annexes : linguistiques, psychologiques, mathématiques. Du même coup, se sont modifiées partiellement les idées que l’on se faisait des processus à évaluer dans l’acquisition des langues. Le deuxième facteur qui influe sur l’évolution de la pédagogie – et par conséquent sur l’évaluation – est le développement de la technologie éducative qui a subi, depuis un demi-siècle environ, des transformations d’une ampleur telle qu’on n’en avait connu qu’à l’époque de la Renaissance, avec l’invention et la propagation de l’imprimerie. Ainsi, l’introduction dans l’enseignement de certains dispositifs techniques (livres programmés, machines à enseigner, analyseurs de réponses, ordinateurs) a changé en même temps le système d’évaluation, du fait que celle-ci se trouve désormais associée à chaque pas pédagogique. Enfin – et c’est peut-être l’aspect le plus significatif de l’évolution – il y a eu, dans les dernières décennies, une transformation complète dans notre façon d’envisager la relation maître-élèves.
Tout en faisant référence au numéro 2/2001 intitulé Évaluation et certification en langues ainsi qu’au numéro 1/2012 Évaluer avec le CECRL, ce nouveau dossier est en effet l’occasion de proposer un lieu pour des contributions sur l’évaluation et les certifications en langues dans une perspective renouvelée, 18 ans après la naissance du CECR, deux notions qui non seulement connaissent des tensions mais aussi de nombreuses évolutions et de nouvelles perspectives, à la fois linguistique, pédagogique et didactique.
Ce dossier est publié au moment où les professeurs de langues vivantes de lycée reçoivent les grilles d’évaluation des épreuves communes de contrôle continu. Les copies des élèves sont évaluées avec les mêmes grilles dans toutes les langues vivantes et il est précisé que :
Ces grilles prennent en compte les niveaux de compétences du CECRL et de son Volume complémentaire et s’appuient sur les descripteurs qui y figurent. Cette démarche permet d’entrer directement dans l’évaluation par des niveaux de compétences.
S’interrogeant sur la complexité de leur mise en œuvre, les professeurs ont réservé à ces grilles un accueil plutôt froid.
Jean-François Brouttier, que nous remercions vivement pour la coordination de ce numéro, nous propose dans ce dossier des Langues Modernes un ensemble d’articles permettant de dresser un nouvel état des lieux tant du point de vue des politiques linguistiques que dans l’avancée de la recherche en didactique des langues sans oublier l’analyse de pratiques pédagogiques innovantes.
Les nombreuses contributions que nous avons reçues s’inscrivent autour des trois axes principaux :
1. l’épistémologie et méthodologie autour des notions d’évaluation et de certification en langues,
2. les usages et les pratiques de l’évaluation et des certifications en langues,
3. les perspectives en termes de formation (continue ou initiale) d’enseignants.
Ces articles nous permettent de comprendre les enjeux très actuels des certifications en langues du secondaire au supérieur, et renvoient chacun à un questionnement personnel sur notre propre position en matière de certifications.
En effet, les enjeux sociétaux, éducatifs, et économiques liés au développement des certifications en langues sous-tendent des prises de position politiques importantes de la part des acteurs du monde éducatif, nous avons tous avons un rôle à jouer dans ces évolutions : élèves, étudiants, enseignants, formateurs d’enseignants, et nous pensons que ce numéro permettra d’engager réflexion et discussion pour la compréhension des enjeux actuels et à venir en termes de certification et d’évaluation en langues.
Nous vous souhaitons une bonne lecture à tous et une bonne fin d’année.