Stéphane Pichelin, « Robert Flaherty : une mythologie documentaire », Presses Universitaires de Rennes, 28 €.
Cet ouvrage, consacré au cinéaste américain Robert Flaherty, est une mine pour les professeurs d’anglais, du fait de la très fine érudition de son auteur, qui rend possible une lecture à différents niveaux.
Robert Flaherty est un grand du cinéma, qui a inscrit son œuvre dans un cadre atypique, sans se soucier d’Hollywood et de ses obsessions de normativité, de rentabilité, de starisation. Dans une mouvance que Stéphane Pichelin rapproche fort justement de la distinction faite par Eisenstein entre le cinéma (américain) qui « montre » et le cinéma qui « signifie », Flaherty choisit de faire des films à la limite du documentaire et de la fiction, et l’exploration, très peu hollywoodienne, de cette marge est sans doute ce qui condamne Flaherty à un certain oubli aujourd’hui.
L’ouvrage de Stéphane Pichelin repose surtout sur les trois « grands » films de Flaherty, « Nanook of the North », « Man of Aran » et « Louisiana story », tous disponibles sur Internet et particulièrement intéressants à travailler avec des collégiens ou des lycéens, par leur portée civilisationnelle, quasi ethnographique, à cause des univers particuliers explorés, le monde des Inuits, celui des habitants des îles d’Aran et celui des cajuns des bayous. Les trois films interrogent sur les rapports entre les hommes et la nature, le progrès et la technologie, et, au-delà, sur le rapport colonisateur que le capitalisme technophile occidental impose à des populations davantage en prise avec la réalité de leur milieu ambiant. Stéphane Pichelin montre avec acuité que, malgré l’étiquette d’auteur de documentaires qu’on colle à Flaherty, il soigne la fictionnalisation de ses films, non pas en inscrivant la dimension ethnographique dans un récit, mais en utilisant une conscience de personnage(s) comme liant entre les divers moments du film. En termes plus savants, on peut, avec Stéphane Pichelin, distinguer ici récit et diégèse : s’il y a diégèse dans les films de Flaherty, il n’y a pas de récit, en tout cas pas au sens hollywoodien.
Les consciences qui nous aident à voir l’univers en question sont, souvent dans les deux premiers films et quasi exclusivement dans « Louisiana Story », celles de jeunes garçons, et cela rend ces films faciles d’accès aux élèves les plus jeunes, là où les lycéens y trouveront des quantités d’éléments d’analyse anthropologiques, ethnologiques, économiques, à exploiter.
Stéphane Pichelin guide d’abord ses lecteurs dans l’analyse détaillée des trois films, à différents niveaux (images, son, scénario, rapports interpersonnels), puis, dans les quatrième et cinquième chapitres, se livre à des analyses plus générales de l’art et de la technique du cinéaste, avant de terminer par un chapitre plus érudit, qui ancre sa recherche dans les théories récentes du cinéma et de l’anthropologie. Dans toutes ses dimensions, son ouvrage sera d’un grand intérêt pour les professeurs d’anglais.
Jean-Luc Breton