Article paru dans le n° 3/2002 des Langues modernes, juil.-août-sept. 2002, pp. 55-71, intitulé « L’interculturel » (Paris, APLV, Association française des Professeurs de Langues Vivantes).
par Christian Puren
- Université Jean Monnet, Saint-Étienne
christian.puren@univ-st-etienne.fr
Résumé
Dans cet article, l’auteur passe en revue la succession, dans l’enseignement scolaire français des langues étrangères, des différentes méthodologies constituées, en montrant comment chacune s’est construite sur un mode d’adéquation entre sa perspective actionnelle (à savoir les actions qu’elle prépare les élèves à réaliser en langue étrangère) et sa perspective culturelle (à savoir les compétences culturelles auxquelles elle prépare les élèves). Il défend l’idée que la nouvelle perspective actionnelle proposée dans le Cadre européen commun du Conseil de l’Europe constitue un dépassement de la perspective actionnelle de l’approche communicative, et qu’elle implique par conséquent un dépassement de la perspective culturelle qui lui était liée, celle de l’interculturel. Il ébauche enfin les grandes lignes de ce que devrait être la nouvelle cohérence correspondante, qu’il nomme « perspective co-actionnelle co-culturelle », tout en précisant que dans le cadre de la « didactique complexe » qu’il promeut, il ne s’agit pas de substituer cette nouvelle cohérence aux cohérences antérieures, mais de l’ajouter à la panoplie des instruments déjà disponibles pour la gestion du processus d’enseignement/apprentissage.
Mots clés
Méthodologies, approche communicative, interculturel, perspective actionnelle, co-action, co-culturel
« La pensée naît de l’action pour retourner à l’action. »
Henri Wallon, De l’acte à la pensée, 1942.
« La pensée part de la pratique pour y retourner. »
Paul Langevin, Écrits philosophiques et pédagogiques, 1947.
Introduction
Le titre choisi pour cet article demande explication : j’emprunte l’expression de « perspective actionnelle » aux rédacteurs du Cadre européen commun de référence pour l’apprentissage et l’enseignement des langues du Conseil de l’Europe (1996, 1998, éd. définitive 2001), qui la définissent ainsi au tout début du chapitre (3.1) qu’ils lui consacrent :
Un cadre de référence doit se situer par rapport à une représentation d’ensemble très générale de l’usage et de l’apprentissage des langues. La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (je souligne)
Je vais donner ici à cette expression de « perspective actionnelle » le sens plus large qu’elle me semble mériter, les différents cadres de référence qui se sont succédé dans l’histoire de la didactique des langues-cultures s’étant tous forcément définis chacun à leur époque en fonction d’une conception [1] d’ensemble de l’usage et de l’apprentissage de ces langues.
Sur ce modèle de l’expression de « perspective actionnelle », j’utiliserai celle de « perspective culturelle » pour désigner les conceptions successives de la culture envisagée de même à la fois dans son usage et dans son apprentissage.
Les deux thèses que je vais défendre dans cet article sont les suivantes :
1) La cohérence externe de chaque méthodologie est construite à partir de sa perspective actionnelle au moyen de la mise en adéquation maximale (c’est-à-dire de la recherche de l’homologie) :
― des fins, à savoir les actions qu’on veut que les élèves soient capables de réaliser en langue étrangère dans la société à leur sortie du système scolaire, actions dont l’ensemble constitue ce que j’appelle « l’objectif social de référence » ;
― et des moyens, à savoir les actions qu’on fait réaliser aux élèves en classe dans le but de leur faire atteindre cet objectif.
2) La cohérence interne de chaque méthodologie est construite au moyen de la mise en adéquation maximale de sa perspective actionnelle et de sa perspective culturelle.
Si ces deux thèses sont exactes, la nouvelle « perspective actionnelle » du Conseil de l’Europe implique nécessairement un dépassement de la perspective interculturelle actuellement dominante en didactique des langues-cultures, puisque celle-ci correspond à l’approche communicative élaborée il y a trente ans, au début des années 70.
Je me propose de modéliser les différentes configurations historiques prises en France par cette double adéquation au moyen de quatre paires de concepts (le premier actionnel, le second culturel) : la traduction/les valeurs, l’explication/les connaissances, l’interaction/les représentations, la co-action/les conceptions. C’est pour désigner cette toute dernière configuration historique - actuellement en train d’émerger en Europe - que j’utiliserai l’expression de « perspective co-actionnelle co-culturelle ».
1. La double perspective « traduction/valeurs »
Cette double perspective correspond à la méthodologie traditionnelle scolaire d’enseignement/apprentissage des langues vivantes telle qu’elle s’est calquée à l’époque sur celle de l’enseignement scolaire du latin et du grec, et qui est restée dominante en France jusqu’à la fin du XIXe siècle.
L’objectif social de référence correspond à celui d’une époque où les voyages à l’étranger - et les voyages des étrangers en France - sont encore très rares et limités et ne concernent qu’une infime minorité de la population. Il correspond aussi à une époque « pré-médiatique », dans laquelle les documents de langue-culture étrangère sont rares, les plus disponibles étant les grands textes littéraires.
Dans cette méthodologie traditionnelle, la perspective actionnelle est celle de la traduction. Cette méthodologie est d’ailleurs appelée aussi de « grammaire-traduction », le thème y étant mis principalement au service de l’enseignement de la langue, la version au service de l’enseignement de la culture, l’homologie fins-moyens portant sur les deux types de traduction : dans l’enseignement aux adultes, on entraîne les apprenants au thème oral instantané pour les préparer à communiquer en langue étrangère ; dans l’enseignement scolaire, on leur fait traduire des textes classiques en classe pour les préparer à pouvoir plus tard continuer à les lire. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, en effet, la didactique des langues-cultures fonctionne en régime de paradigme indirect, c’est-à-dire que l’on y considère que comprendre parfaitement une langue étrangère c’est faire une version mentale instantanée et inconsciente, la parler couramment faire un thème de même type. On pensait donc logiquement - par application du même principe de l’adéquation maximale fins-moyens - que pour enseigner une langue étrangère, il fallait faire traduire intensivement les apprenants jusqu’à ce que leur traduction devienne instantanée et inconsciente.
On peut parler dans ce cas de perspective actionnelle « universaliste », dans la mesure où non seulement toutes les langues sont supposées relever du même dispositif didactique, mais qu’elles y sont parfaitement réversibles : exception faite de la langue des consignes, un manuel pour l’apprentissage de l’italien langue étrangère à des Français, par exemple, peut être parfaitement identique dans ses textes et ses exercices à un manuel pour l’enseignement du français langue étrangère à des Italiens.
La perspective culturelle de cette méthodologie est tout aussi universaliste : c’est celle dite des « Humanités », dont le noyau dur idéologique est constitué des trois valeurs étroitement reliées du Vrai, du Beau et du Bien. Comme l’explique Émile Durkheim dans l’une de ses conférences pédagogiques des années 1900, ce que l’on cherche à faire retrouver aux élèves dans les grands textes classiques, ce ne sont pas les particularités de telle ou telle culture, mais au contraire le « fonds commun de toute l’Humanité » que sont supposé constituer ces valeurs universelles. On ne s’intéresse pas aux connaissances culturelles, mais à cette « culture générale » que l’instruction du 15 juillet 1890 pour l’Enseignement classique présente en ces termes : « La vraie fin que le maître, tout en s’attachant avec passion à sa tâche journalière, devra constamment avoir présente à l’esprit, c’est de donner, par la vertu d’un savoir dont la majeure partie se perdra, une culture qui demeure. »
Dans la traduction professionnelle telle qu’elle est actuellement conçue, la conscience des spécificités culturelles du texte d’origine amène souvent à les « rendre » au moyen d’équivalences dans la culture du lecteur. Dans la méthodologie traditionnelle, au contraire, l’universalité postulée des contenus culturels (du moins de ceux auxquels on s’intéresse) légitime une traduction censée les reproduire au moyen de correspondances étroites : le sens recherché est supposé donné d’emblée par la traduction littérale, même si celle-ci devra ensuite être réécrite en « bon français ». Perspective actionnelle et perspective culturelle y sont donc en parfaite adéquation, la première étant mise au service de la seconde dans l’enseignement scolaire.
2. La double perspective « explication/connaissances »
Cette double perspective correspond à la méthodologie dite « active » qui est restée en vigueur dans l’enseignement scolaire français des années 1920 aux années 1960 (mais elle commence à s’élaborer dès le début des années 1900 dans la réflexion sur l’application de la méthodologie directe au second cycle, et elle se prolonge comme on le verra jusqu’à nos jours), méthodologie dont l’évolution est marquée par les trois instructions officielles de 1925, 1938 et 1950.
Comme dans la méthodologie traditionnelle, on retrouve dans la méthodologie active la même homologie fins-moyens appliquée à la nouvelle perspective actionnelle. Dans l’objectif social de référence, il s’agit maintenant de rendre les élèves capables plus tard d’entretenir et de développer leurs connaissances en langue-culture étrangère par l’intermédiaire de ces documents variés désormais de plus en plus accessibles à tous : littérature encore, bien sûr (avec logiquement une forte réorientation vers le roman moderne), mais aussi journaux, revues, plus tard émissions de radio et de télévision, les progrès de la reproduction photographique ouvrant très tôt l’accès à de nombreux autres types de documents authentiques. On y prépare les élèves de la même manière, en leur enseignant la langue et la culture étrangères au moyen d’une exploitation didactique de ces mêmes documents calquée sur ce même usage. Le statut et la fonction scolaires du document-support de base de l’unité didactique ― c’est le dispositif dit d’ « intégration didactique », qui a perduré jusqu’à nos jours dans la conception des épreuves du baccalauréat ― correspondent donc exactement à ceux qui leur étaient assignés à l’époque dans l’objectif social de référence.
La perspective culturelle, quant à elle, va devoir s’orienter vers les spécificités des cultures étrangères : à partir du moment où l’on accède à des documents plus nombreux, plus variés et plus récents, on perçoit les cultures comme vivantes et différentes les unes des autres. C’est pourquoi la perspective actionnelle correspondante va désormais exiger de la part des élèves l’accès aux connaissances et leur utilisation (je propose pour cette raison de parler de perspective « civilisationnelle »). Adrien Godart, l’un des tout premiers théoriciens de la « lecture directe » des textes littéraires en second cycle, considère par exemple dès 1907 que « ce qui importe, ce sont les impressions qu’ils [les élèves] reçoivent du contact immédiat et personnel des œuvres littéraires, la conscience qu’ils ont de se trouver devant une conception particulière de l’art ou de la vie, la curiosité des problèmes moraux, historiques et sociaux que pose la lecture de ces œuvres » (p. 281). Et près d’un demi-siècle plus tard, le rédacteur de l’instruction de 1950 définit ainsi le « double objet » de l’enseignement des langues étrangères : « exercer les élèves à la pratique de la langue et contribuer à leur enrichissement intérieur par l’étude de textes représentatifs de la vie et de la pensée du peuple étranger. Ces deux préoccupations ne devront jamais être dissociées ».
Dans la méthodologie active comme dans la méthodologie traditionnelle scolaire, c’est la perspective actionnelle qui est mise au service de la perspective culturelle, à savoir désormais la découverte, réception et mobilisation des connaissances correspondantes. Il s’agit de la fameuse « explication » de textes à la française (l’ « étude de textes » de l’instruction de 1950), qui va être ensuite adaptée pour les autres types de documents, et qui sert encore actuellement en France de modèle aussi bien pour l’enseignement culturel en second cycle scolaire que pour l’évaluation terminale de ce cursus (l’épreuve écrite ou orale du baccalauréat). La seule analyse didactique possible de ce modèle d’explication de documents n’est pas de type méthodologique (chaque texte exige en effet une approche spécifique, d’où l’indigence manifeste des fiches méthodologiques proposées dans les manuels scolaires) mais précisément de type « actionnel » : ce qui définit cette « explication » n’est pas une manière de faire exigée des élèves, c’est ce qu’ils doivent faire quel que soit le document (textuel, visuel, audiovisuel ou scriptovisuel), à savoir un ensemble d’actions identiques ― paraphraser et/ou décrire, analyser, interpréter, extrapoler, réagir, comparer et transposer ― mais qu’ils devront eux-mêmes réaliser et organiser d’une manière qui corresponde à la spécificité de chaque document.
3. La double perspective « interaction/représentations »
Cette double perspective est lancée par les premiers travaux du « Groupe Langues » du Conseil de l’Europe, qui vont aboutir à la publication des différents « Niveaux-seuils » du début des années 70 (Threshold Level pour l’anglais, 1972 ; Niveau-Seuil pour le français, 1975 ; etc.), publications qui vont impulser dans toute l’Europe la dite « approche communicative » (désormais siglée « AC »). Les introductions de tous ces documents sont très claires quant au nouvel objectif social de référence : les auteurs se proposent de faciliter le processus d’intégration européenne en mettant l’enseignement des langues au service du développement de rencontres ponctuelles entre ressortissants de pays différents, dans un cadre touristique ou dans un cadre professionnel. C’est pour cette raison que les situations de référence retenues par les auteurs de ces « Niveaux-seuils » pour déterminer la liste des notions et des actes de parole sont celles d’un séjour à la fois initial et de courte durée. On y apprend plus souvent à commencer une conversation qu’à la reprendre, à réserver une chambre pour une nuit qu’à louer un appartement, et les discussions entre un étranger et un autochtone y sont autrement plus fréquentes que celles entre deux résidents ou à l’intérieur d’un couple mixte.
C’est pour cette même raison que la perspective actionnelle de l’AC ― ou, si l’on préfère, les actions de référence de cette méthodologie, à savoir les actes de parole, qui correspondent à la fois à un « parler avec » et à un « agir sur » l’autre - sont très clairement orientées à la fois vers la gestion des situations de prise de contact et vers l’efficacité immédiate de la communication interindividuelle, qui constituent les enjeux les plus naturels dans ce type de situation : moins on connaît quelqu’un et plus court doit être l’échange avec lui, en effet, plus l’enjeu naturel consiste à échanger des informations sans se poser la question de savoir ce que l’on pourrait ensuite en faire ensemble. Comme dans les méthodologies antérieures, on retrouve dans l’AC la même homologie fins-moyens, appliquée logiquement au type de communication visé : l’activité de référence de l’AC correspond à un exercice combinant le pair work (travail par deux) et l’information gap (l’écart d’information à combler). À un étudiant en mal de sujet de maîtrise ou de DEA et amateur de statistiques, je proposerais volontiers de déterminer le pourcentage ― dont je fais l’hypothèse qu’il est très élevé ― des actes de parole et des situations d’échanges langagiers qui, dans tous les « Niveaux-seuils » et les manuels qui s’en inspirent, sont marqués des sceaux conjoints de l’inchoatif (ils sont considérés au moment limité de leur début), du ponctuel (ils sont considérés comme devant avoir une durée limitée) et de l’interindividuel (ils sont considérés dans le cadre limité d’une communication entre deux interlocuteurs). Le concept d’« interaction » - qui est avec celui de « communication » l’un des concepts centraux de l’AC ― s’est trouvé historiquement défini en référence à ce type précis d’échanges, comme on le peut le constater par exemple chez C. Kramsch, pour qui « tout discours est de nature interactive [...] au sens large sic d’interprétation mutuelle, c’est-à-dire d’ajustement, dans son élaboration, aux intentions communicatives d’un interlocuteur réel ou potentiel » (1984, p. 17, je souligne).
La perspective culturelle de l’AC ― qui est celle de « l’interculturel » ― ne peut se comprendre qu’en fonction du même objectif social de référence qui a déterminé la conception de sa perspective actionnelle. La citation suivante me paraît très significative à ce propos :
L’exercice de civilisation ne peut se réduire à l’étude de documents, ou à la compréhension de textes. Cette définition minimale n’est opératoire que dans un cadre strictement scolaire. Ce qui est proposé, c’est de mettre en place des compétences qui permettront de résoudre les dysfonctionnements inhérents aux situations où l’individu s’implique dans une relation vécue avec l’étranger et découvre ainsi des aspects de son identité qu’il n’avait pas eu encore l’occasion d’explorer : sa qualité d’étranger qui lui est renvoyée par le regard de l’autre, les particularismes de ses pratiques qui lui étaient jusque-là apparues comme des évidences indiscutables. (G. ZARATE 1993, p. 98)
On retrouve en effet dans ces quelques lignes, après la prise de distance vis-à-vis de la perspective actionnelle antérieure - celle de la méthodologie active (« l’étude des documents » et « la compréhension de textes ») -, les trois caractéristiques de la perspective actionnelle de l’AC que j’ai signalées plus haut, à savoir l’inchoatif (thèmes de la « découverte », de la « prise de conscience », de l’ « ouverture »), le ponctuel (thème de la « rencontre ») et l’interindividuel (thème de l’ « Autre »). Quant à la « représentation » - autre concept central de la perspective interculturelle - on ne sera pas surpris qu’elle se trouve définie à l’intérieur de ce même cadre : c’est principalement la perception stéréotypée, l’image a priori que l’on s’est faite de l’ « étranger » avant de faire personnellement sa connaissance en ayant avec lui les premiers échanges directs.
On retrouve par conséquent dans l’AC le même degré élevé d’adéquation entre la perspective actionnelle et la perspective culturelle que dans les deux méthodologies antérieures (traditionnelle et active). Mais cette similitude ne doit pas cacher l’inversion décisive que l’AC opère : pour la première fois (du moins dans l’histoire de la didactique des langues-cultures en France), c’est la perspective culturelle qui est mise au service de la perspective actionnelle, et non plus l’inverse, la culture y étant en effet considérée comme une composante (dite « socioculturelle ») de l’objectif visé, à savoir la compétence de communication. Le hasard (heureux) des jurys de soutenance a voulu que je tombe récemment, dans une thèse consacrée à l’interculturel, sur l’énoncé très clair correspondant : selon l’auteur, l’objectif de l’AC est de « doter l’apprenant d’une compétence culturelle qui lui permettra de parler de sa propre culture, d’être prêt à s’ouvrir, de respecter les différences, de s’intéresser aux convergences pour pouvoir communiquer efficacement. » (Th. NIKOU 2002, p. 108, je souligne).
4. La double perspective « co-action/conceptions »
Les auteurs du Cadre commun européen de référence de 1996-1998-2001 cités dans l’introduction du présent article opèrent - même s’ils ne le disent pas clairement, voire s’en défendent à certains moments - une nette prise de distance d’avec l’AC des années 70 et son autre concept central d’ « acte de parole », dont ils relativisent doublement l’importance en signalant que les actes ne sont pas seulement de parole, et que les actes de parole eux-mêmes n’ont de signification que par rapport aux actions sociales qu’ils concourent à réaliser (j’invite mes lecteurs à relire maintenant ces lignes).
Il y a là une évolution qui n’est que suggérée, mais dont on voit bien la direction par rapport aux méthodologies antérieures, que l’on peut aisément prolonger vers l’avenir. Dans la méthodologie traditionnelle on formait un « lecteur » en le faisant traduire (des documents), dans la méthodologie active on formait un « commentateur » en le faisant parler sur (des documents) ; dans l’AC on formait un « communicateur » en créant des situations langagières pour le faire parler avec (des interlocuteurs) et agir sur (ces mêmes interlocuteurs) ; dans la perspective actionnelle esquissée par le Cadre européen commun de référence (à laquelle je réserverai désormais le sigle « PA »), on se propose de former un « acteur social » ; ce qui impliquera nécessairement, si l’on veut continuer à appliquer le principe fondamental d’homologie entre les fins et les moyens, de le faire agir avec les autres pendant le temps de son apprentissage en lui proposant des occasions de « co-actions » dans le sens d’actions communes à finalité collective. C’est cette dimension d’enjeu social authentique qui différencie la co-action de la simulation, technique de base utilisée dans l’approche communicative pour créer artificiellement en classe des situations de simple interaction langagière entre apprenants.
Ce concept de « co-action » n’est pas nouveau : il est en particulier utilisé par certains psychologues constructivistes - parallèlement à celui de « conflit socio-cognitif » - pour intégrer dans la théorie piagétienne la dimension collective de la relation sujet-objet qui leur semble y faire défaut. L’une des formes de mise en œuvre de cette conception de l’apprentissage est connue depuis longtemps en pédagogie sous le nom de « projet », dans ce que l’on appelle précisément la « pédagogie du projet ». C’est d’ailleurs ce terme de « projet » qu’ont spontanément utilisé les auteurs du premier cours de langue (pour l’enseignement de l’anglais à des enfants) où j’ai remarqué les unités didactiques systématiquement construites non plus à partir d’une situation de communication simulée, comme dans l’AC, mais en fonction d’actions collectives authentiques que les élèves doivent préparer et réaliser entre eux : un spectacle de Noël, la fête d’anniversaire de l’un d’entre eux, des mini-olympiades pour tous les élèves de l’école,...
J’utiliserai néanmoins ici le terme de « co-action » et non celui de « projet » pour les trois raisons suivantes : 1) il n’est pas historiquement marqué par les différentes conceptions et mises en œuvre passées de la « pédagogie du projet » ; 2) il marque clairement l’évolution de la perspective actionnelle entre l’AC et la PA, où l’on passe de l’« interaction » à la « co-action » ; 3) il me permet de proposer parallèlement le concept de « co-culturel » en opposition à celui d’ « interculturel ».
L’apparition de la PA ne peut se comprendre, comme celle de l’ancienne AC, que par rapport à l’objectif social de référence, et le passage de l’une à l’autre que par l’évolution de cet objectif. Alors que celui de l’AC, comme nous l’avons vu, correspond principalement à la problématique des rencontres et échanges ponctuels, celui de la PA s’inscrit dans la progression de l’intégration européenne : on va considérer désormais que tout élève doit être préparé à étudier en partie en langue étrangère, à aller suivre une partie de son cursus universitaire à l’étranger, à faire une partie de sa carrière professionnelle dans un autre pays. Et même à travailler en France en langue étrangère : c’était déjà le cas dans les échanges à distance (écrire en portugais à une entreprise brésilienne, téléphoner en allemand à un collègue autrichien) ou sur place (tenir une réunion de travail en espagnol avec des ingénieurs mexicains), mais il s’agissait là d’échanges plus ou moins ponctuels dont l’analyse et la gestion pouvaient encore relever de la perspective interculturelle. L’aboutissement du processus de mondialisation dans certaines entreprises crée dès à présent des situations qualitativement différentes qui ne pourront que se multiplier à l’avenir : d’ores et déjà, par exemple - qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette -, des cadres français sur un site français d’une entreprise française sont amenés à travailler régulièrement en anglais non seulement avec des Allemands, des Américains ou des Italiens, mais avec d’autres Français.
Certes, la perspective interculturelle en didactique des langues-cultures s’est élargie ces dernières années aux questions liées aux situations de contact permanent entre cultures différentes, comme c’est le cas au sein des sociétés multiculturelles et dans les phénomènes individuels ou collectifs de métissage culturel. À tel point que Maddalena DE CARLO peut en 1998 assigner à cette perspective, dans l’ouvrage qu’elle lui a consacré, l’objectif de nous préparer à « vivre ensemble avec nos différences » (p. 39). Mais lorsqu’il s’agit non plus seulement de « vivre ensemble » (co-exister ou co-habiter), mais de « faire ensemble » (co-agir), nous ne pouvons plus nous contenter d’assumer nos différences : il nous faut impérativement créer ensemble des ressemblances. Or cette modification de l’objectif culturel de référence exige rien moins que de passer en didactique de la culture d’une « logique produit » - la seule historiquement mise en œuvre jusqu’à présent, toutes méthodologies ou approches confondues - à une « logique processus » qui se trouve être plus conforme à une représentation moderne, c’est-à-dire dynamique, des réalités culturelles. Il est évident qu’on n’a pu se focaliser à ce point jusqu’à présent, dans la perspective interculturelle, sur le thème de l’ « altérité », que parce que n’y était pas envisagée prioritairement l’action commune, laquelle exige de se forger des conceptions identiques, c’est-à-dire des objectifs, principes et modes d’action partagés parce qu’élaborés en commun par et pour l’action collective.
Dans une interview pour le numéro de septembre 1999 de la revue Sciences Humaines, le psychologue et pédagogue André Giordan définissait la conception comme « le système de pensée mis en branle à propos d’un projet ». Elle est plus exactement, à mon avis, un « système d’action » qui à la fois produit un système de pensée et est produit par lui, dans une boucle récursive que suggèrent les deux citations placées en exergue du présent article. C’est le saut qualitatif impliqué dans le passage des représentations de l’autre (mobilisées dans le parler avec et dans l’agir sur) aux conceptions communes (créées pour et par l’agir avec) qui explique certains faits d’expérience bien connus, comme celui (vécu par l’auteur de ces lignes comme sûrement aussi par quelques-uns de ses lecteurs...) de vieux amis qui en arrivent à ne plus se supporter au bout des quelques semaines du premier voyage ou du premier travail en commun. Contrairement aux représentations - qui ne sont liées qu’à la perception -, les conceptions sont en effet liées à l’action, de sorte que ce sont celles-ci, et non pas celles-là, qui se révèlent en dernière instance déterminantes lorsqu’il s’agit de faire ensemble.
Il en est de même des valeurs, qui ne s’acquièrent ni par l’enseignement (elles ne sont pas de l’ordre des connaissances) ni par le simple contact (elle ne sont pas non plus de l’ordre des représentations), mais par et pour l’action elle-même. Pour l’action : il n’y a ainsi de respect de l’autre que s’il y a volonté de le respecter et actes correspondants. Par l’action, comme l’explique par exemple É. DURKHEIM dans L’éducation morale : « Pour que la moralité soit assurée à sa source même, il faut que le citoyen ait le goût de la vie collective. Mais [...] pour goûter la vie en commun au point de ne pouvoir s’en passer, il faut avoir pris l’habitude d’agir et de penser en commun » (p. 197, je souligne). C’est pourquoi, contrairement à l’argument principal utilisé depuis deux décennies par ses promoteurs en milieu scolaire, la perspective interculturelle est à elle seule insuffisante pour assurer la formation éthique des élèves dans le cadre de leur apprentissage d’une langue-culture.
Cette perspective interculturelle est tout aussi insuffisante au regard du nouvel objectif social de référence. Lorsque l’on travaille avec des « étrangers » (mais peut-on encore considérer comme « étrangers », par exemple, des collègues avec qui l’on travaille depuis des années dans leur propre pays, comme cela m’est arrivé à plusieurs reprises au cours de ma carrière ?...), il ne peut plus s’agir seulement de gérer au mieux les phénomènes de contact (même permanent) entre des cultures différentes en étant conscient des représentations qui vont déterminer les perceptions, attentes, attitudes et comportements des autres et de soi-même : il faut, pour parvenir à faire ensemble, élaborer et mettre en œuvre une culture d’action commune dans le sens d’un ensemble cohérent de conceptions partagées : c’est très précisément ce processus qui constitue l’objet et l’objectif de ce que je propose d’appeler la « perspective co-culturelle ».
Conclusion prospective
À la fin de cet article, j’aboutis à la modélisation suivante de l’évolution historique des formes d’adéquation entre perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique scolaire des langues-cultures :
L’élaboration de la toute dernière perspective, co-actionnelle-co-culturelle, n’est pas seulement nécessaire pour 1) mettre notre discipline en adéquation avec le nouvel objectif social de référence. Elle est indispensable pour au moins les quatre autres fortes raisons suivantes :
2) Cette double perspective co-actionnelle-co-culturelle permet de repenser les deux questions reliées - et désormais incontournables dans nos classes scolaires, comme on le sait - de la motivation et de la responsabilisation des élèves :
― En ce qui concerne la motivation, je ne puis ici que renvoyer mes lecteurs à l’excellent chapitre que le pédagogue cognitiviste Jacques TARDIF a consacré, dans son ouvrage de 1992, à la « motivation scolaire ». On y trouve développée l’idée que cette motivation ne peut se construire que dans une perspective actionnelle - celle des « tâches » à réaliser -, parce qu’elle dépend simultanément de la perception et de la conception que les élèves ont de ces tâches.
En ce qui concerne la responsabilisation (qui consiste en la volonté personnelle d’agir socialement en mettant en œuvre certaines valeurs), il se trouve que c’est précisément dans les classes les plus difficiles que l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère doit impérativement se faire à l’intérieur d’un cadre à la fois co-actionnel et co-culturel définissant explicitement, sur la base de valeurs partagées, les conceptions communes indispensables au travail collectif.
3) Plus généralement, toute classe de langue constitue en tant que telle un certain cadre co-actionnel-co-culturel, puisque l’enseignant et les apprenants ont à y réaliser une action conjointe d’enseignement/apprentissage d’une langue-culture qu’ils ne pourront mener à bien ensemble que sur la base d’un minimum de conceptions communes. La double perspective proposée ici se trouve donc être en adéquation naturelle avec tout type d’environnement d’enseignement/apprentissage, contrairement à l’AC, dans laquelle l’environnement scolaire était constamment ressenti comme artificiel (d’où le recours systématique à la simulation dans cette méthodologie).
4) Cette double perspective co-actionnelle-co-culturelle est la mieux adaptée à tous les dispositifs collectifs - ils se sont multipliés ces dernières années et il est probable qu’ils se généraliseront dans les années à venir - où la langue est enseignée/apprise pour et par l’action à dimension sociale, en particulier :
― l’enseignement primaire : les enfants sont en effet moins intéressés par la langue étrangère en elle-même que par les activités intéressantes qu’on leur propose de réaliser ensemble en langue étrangère ;
― les classes dites « européennes » et les cursus bilingues, où la langue étrangère est un instrument collectif d’apprentissage d’autres matières scolaires ;
― les différentes formes d’ « apprentissage collaboratif » (telles que l’apprentissage en tandem), dans lesquelles les apprenants mènent à bien entre eux leur projet commun qui est à la fois d’apprentissage et d’enseignement ;
― les « travaux personnels encadrés » (TPE) en lycée, où la langue étrangère peut être mobilisée en tant qu’outil (documentaire, par exemple) au service de la réalisation d’un dossier de recherche à soutenir devant un jury ;
― la préparation au CLES (certificat de langues pour l’enseignement supérieur), pour lequel les étudiants devront faire preuve d’une certaine compétence dans l’utilisation de la langue étrangère pour leurs études universitaires : être capables de prendre des notes sur une conférence en langue étrangère, de préparer un exposé en langue étrangère, etc.
5) Cette perspective co-actionnelle-co-culturelle est aussi la plus adaptée à l’Internet, dont la nouveauté et la spécificité consistent moins dans l’accès à la documentation (il existait déjà les bibliothèques et les médias), dans le multimédia (déjà mis en œuvre systématiquement, par exemple, dans les cours audiovisuels des années 60) ou dans la communication synchrone ou asynchrone (il existait déjà le téléphone, le minitel, le fax et le courrier postal), que dans le travail collaboratif assisté par ordinateur (TCAO, en anglais CSCW, Computer-Supported Cooperative Work), pour lequel ont été créés des « collecticiels », systèmes informatiques intégrant le traitement de l’information et les activités de communication avec comme objectif d’aider les utilisateurs à réaliser un travail collectif.
« ... mais avec comme objectif... », aurais-je pu écrire ci-dessus pour marquer très précisément la ligne de partage entre l’approche communicative et la perspective co-actionnelle. À force d’appliquer depuis 30 ans en didactique des langues-cultures le principe interne de l’homologie fins-moyens à la communication (faire communiquer pour enseigner à communiquer), on a fini en effet par oublier que dans le monde extra-scolaire, la communication n’est pas une fin en soi mais un moyen au service d’activités socialement significatives.
De la même manière, à force de focaliser dans la perspective interculturelle sur la relation entre la découverte personnelle de l’altérité et la prise de conscience de sa propre identité, on a alimenté le fantasme latent d’une sorte d’« essence individuelle », en oubliant du coup deux questions fondamentales que l’objectif éthique de l’enseignement scolaire rend pourtant incontournables : la « question existentielle » (on connaît par exemple la formule de Sartre, pour qui le problème n’est pas tant de savoir ce que l’on est que ce que l’on va faire de ce que l’on est), et la « question sociale » (que faire ensemble, à la fois malgré et avec nos différences ?).
L’élaboration de cette perspective co-actionnelle-co-culturelle, avec ses modes de mise en œuvre dans les matériels didactiques et les pratiques de classe, va bien au-delà des limites de cet article aussi bien que de mes compétences actuelles : elle relève en effet d’un programme de recherche qui reste à concevoir et à réaliser. Mais il me paraît évident que ce programme devra commencer par une énergique remise en cause des approches communicative et interculturelle telles qu’elles se sont aujourd’hui trop confortablement installées dans leur position dominante en didactique des langues-cultures. Après y avoir pendant trois décennies impulsé et représenté l’innovation, elles se retrouvent en effet aujourd’hui, comme toutes celles qui les ont précédé, à leur tour fatalement dépassées par l’évolution de la société.
Qu’elles soient « dépassées » ne signifie aucunement qu’il faille les rejeter pour les remplacer par d’autres plus récentes, si du moins on a abandonné la conception ancienne du progrès par substitution au profit d’une conception moderne et plus adaptée à la nature complexe de la problématique didactique, celle d’un progrès par enrichissement de perspectives différentes devant être utilisées constamment les unes et les autres en fonction des objectifs, situations et besoins évolutifs du processus d’enseignement/apprentissage :
― Les conceptions mobilisées dans les actions sociales, comme nous l’avons vu, mettent en jeu les valeurs, et elles demandent de nos jours des formes diversifiées de traduction - à la fois interlangue (traduction simultanée ou consécutive, interprétariat,...) et intralangue (résumé, synthèse, compte rendu, montage de citations, réécriture après collage d’extraits d’origines diverses,...) - que les auteurs du Cadre européen ont regroupées sous l’appellation générique de « médiations » et dont ils considèrent à juste titre qu’elles « tiennent une place considérable dans le fonctionnement langagier ordinaire de nos sociétés » : on retrouve là, même si sa conception en est bien sûr modifiée par l’évolution des besoins, des idées et des techniques, la configuration caractéristique de la méthodologie traditionnelle (traduction-valeurs).
― Il est évident d’autre part que les configurations propres à la méthodologie active (explication-connaissances) et aux approches communicative et interculturelle (interaction-représentations) restent actuellement toutes deux indispensables à la gestion des processus d’enseignement/apprentissage en milieu institutionnel (en particulier scolaire).
La perspective co-actionnelle-co-culturelle présentée ici est donc à considérer dans une logique opposée à celle qui a prévalu jusqu’à présent en didactique des langues-cultures, non plus linéaire mais récursive, non plus exclusive mais intégrative :
― En ce qui concerne sa perspective culturelle, les connaissances culturelles et la conscience des représentations interculturelles aident bien évidemment à l’élaboration de conceptions pour l’action commune, mais cette élaboration ne peut se faire elle-même que sur la base de valeurs partagées dont la mise en œuvre dans l’action suscite un besoin de nouvelles connaissances et amène à réinterroger les représentations en place, ce qui entraîne une modification des conceptions initiales, et ainsi de suite :
― En ce qui concerne sa perspective actionnelle, la notion de « projet » (dans le sens très général de conception d’une action) met en boucle le déplacement objet ―> sujet, déplacement dont j’ai montré dans mon article déjà cité de 1998 comment il permettait de mettre en évidence les trois versions historiques de la perspective interculturelle, en même temps qu’il en limitait les possibilités d’évolution autonome, désormais épuisées. L’idée de projet, en effet, repose en pédagogie sur la valeur formative d’un processus permanent de modification de l’objet par le sujet, et d’adaptation du sujet à l’objet ainsi modifié par lui-même :
― En ce qui concerne enfin le préfixe appliqué à sa double perspective (« co-actionnelle-co-culturelle »), la notion d’ « action sociale » du Cadre européen réintroduit clairement en didactique des langues-cultures la dimension collective qu’avait fait oublier dans l’AC le développement unilatéral des notions de « centration sur l’apprenant » et d’ « autonomie ». L’objectif de l’enseignement/apprentissage scolaire des langues-cultures, en effet, n’est pas seulement la formation d’individus autonomes, mais également celle de citoyens tout à la fois créatifs et responsables, actifs et solidaires. De ce point de vue aussi, le déplacement historique objet (collectif) ―> sujet (individuel) en didactique des langues-cultures a désormais atteint ses limites. Il est temps, dans notre discipline, de nous rappeler qu’un individu ne peut pas être libre seul ou dans une collectivité dépendante et qu’il ne peut trouver de sens à sa vie que dans des projets qui vont forcément impliquer d’autres que lui-même ; d’intégrer les notions d’ « intelligence collective » et de « société apprenante » déjà développées dans d’autres lieux ; et de considérer par conséquent que c’est aussi le groupe-classe et les groupes restreints en tant que tels qui doivent devenir des « apprenants autonomes ». Dans son Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin donne comme exemple de boucle récursive « la société produite par les interactions entre les individus, mais qui, une fois produite, rétroagit sur les individus et les produit » (1990, p. 100). Il s’agit de même, dans nos classes, de mettre en boucle l’apprenant individuel et l’apprenant collectif :
Ce n’est certainement pas le moindre intérêt historique de cette perspective co-actionnelle co-culturelle que d’impulser enfin dans la réflexion sur l’enseignement/apprentissage des langues-cultures ces mises en boucle récursive caractéristiques de la pensée complexe, et en tant que telles constitutives de cette « didactique complexe des langues-cultures » désormais indispensable pour penser les nouveaux enjeux et répondre aux nouveaux défis de notre temps.
Bibliographie
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