publié dans les Langues Modernes 4/2005
Ce numéro des Langues Modernes met en relief l’importance de l’enseignement des langues comme facteur de cohésion sociale. La connaissance des autres et de leur culture est, et cela semble reconnu par tous, important pour l’entente entre les peuples. Le Centre Européen pour les Langues Vivantes de Graz œuvre pour l’enseignement de toutes les langues même si nous déplorons que souvent l’anglais domine et je voudrais citer ici quelques passages d’un article que la lecture d’anciens numéros des Langues Modernes m’a mis sous les yeux. Il me semble que ce texte, hormis les dates, bien sûr, ne serait pas aujourd’hui désapprouvé par nos collègues.
De cet article, intitulé « Et le russe ? », voici donc quelques extraits :
« Tout comme avant la Grande Guerre, l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien continuent à se disputer (si l’on peut dire) la faveur de notre enseignement secondaire.
Dans cet enseignement, quelle place tiennent les langues slaves ? On est bien obligé de répondre : « une place à peu près nulle », même si l’on ne devait en juger que par les rares mots consacrés au russe dans les « Instructions relatives à l’Enseignement des langues vivantes », de 1925.
La carte de l’Europe a pourtant changé depuis 1914, et la France, autrefois l’alliée d’un peuple slave, est devenue l’amie et souvent la protectrice de quelques autres peuples de même race. Et, pour finir, elle vient de reprendre avec la Russie des relations assez longtemps interrompues.
Déjà, certains de nos amis slaves se plaignent que malgré l’ancienneté et l’étroitesse de leurs relations avec la France, malgré la place généreusement faite à notre langue dans leurs établissements d’enseignement, et malgré le nombre parfois impressionnant de leurs nationaux installés chez nous, on semble, en France, ne pas s’intéresser suffisamment à eux. Ils ont beau jeu de nous faire remarquer combien les langues slaves sont peu étudiées dans notre pays !
Disons-le tout net : à ce point de vie, ils ont parfaitement raisons de se plaindre !
Certes, le russe continue à être enseigné dans quelques grandes Ecoles et dans certaines Facultés importantes, et les autres langues slaves sont l’objet de soins attentifs à l’École des Langues Orientales et à l’Institut d’Etudes Slaves, à Paris ; elles ont même obtenu une place dans quelques rares Facultés ; mais le nombre des étudiants qui bénéficient de l’enseignement supérieur dispensé dans ces Etablissement est malheureusement peu considérable.[...]
N’oublions pas que, dans le monde, le russe est, après l’anglais, la langue européenne parlée par le plus grand nombre de gens ! Pour cette raison, et pour d’autres, connues de tous les lecteurs d’une revue comme celle-ci, il est évident que le russe doit enfin trouver place dans nos écoles secondaires, à côté des langues vivantes que l’on y enseigne déjà.
Mais, dira-t-on - peut-être sur la foi d’une affirmation qui a la vie dure - le russe est une langue difficile ; il y a un alphabet spécial ; des déclinaisons ; son verbe a des « aspects » ; il est très riche en tournures idiomatiques ; la prononciation est influencée par l’accent dans les mots, etc., etc.
N’exagérons pas ! Une école secondaire n’est pas une Faculté, et lorsque nous enseignons l’une des langues vivantes figurant au programme de nos lycées, nous ne nous croyons pas obligés d’accumuler pour nos élèves les textes les plus difficiles, ni les règles - ou les exceptions - les moins usitées...
Des professeurs de russe seraient-ils plus cruels que nous ? On serait parfois tenté de le croire en examinant, ou qui pis est, en utilisant certaines grammaires russes ! Mais il ne faut pas oublier que les grammaires auxquelles nous faisons allusion, s’adressent à des grands commençants, à des adultes.
Il est évident que lorsque le russe sera enseigné dans les écoles secondaires françaises, il faudra tenir compte de l’âge et du développement intellectuel de ces nouveaux russisants. Il faudra mettre à leur disposition des livres faits pour eux, et en particulier une grammaire qui, tout en leur enseignant ce qui est vraiment indispensable de savoir, ne leur rende pas l’étude du russe plus compliquée qu’elle n’a besoin de l’être !
Ce livre -dont nous parlons dans la partie bibliographique de cette revue - existe... aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. En effet, la « New Russian Grammar » de Mme Semeonoff, qui enseigne sa langue maternelle dans une école secondaire écossaise, est un livre simple, tout en étant « d’une matière extrêmement riche ».
Lorsqu’on a pratiqué cet ouvrage, on comprend l’optimisme auquel Mme Semeonoff engage le lecteur, dans son introduction ; et celui-ci, se rappelant les déclinaisons latines, grecques ou allemandes, la construction des phrases dans ces langues, la prononciation anglaise et autres choses sur lesquelles il a peiné, n’est pas tenté de battre en retraite devant les obstacles offerts par le russe : il en a vu d’autres, et qui ne l’ont point empêché d’aller de l’avant.[...]
Que l’on se hâte donc de donner à nos écoles secondaires la possibilité de jouer un rôle dans l’établissement d’un contact plus étroit avec les peuples slaves, et en particulier avec le plus importants d’entre eux .
Suivons l’exemple des autres pays, et faisons enfin au russe la place qu’il mérite dans notre Enseignement secondaire .
Émile LAMBERT
Professeur d’anglais au Lycée de Périgueux.
C’était dans Les Langues Modernes n° 5de mai 1936.